Chroniquer une affaire de viol, c’est toujours chroniquer un fait-divers, c’est-à-dire précisément ce que le viol n’est pas. D’abord car ces crimes sont d’une ampleur systémique, ensuite car les viols à chroniquer, les prétendus « vrais viols » c’est à dire ceux commis par un parfait inconnu dans une ruelle sombre, ne représentent qu’une petite minorité de ces crimes. La grande majorité est le fait d’un proche dans un appartement. Mais comme ces affaires sont compliquées (demandent à la Police de faire de vraies enquêtes…) et que les femmes sont tentatrices et manipulatrices depuis la Genèse, alors ces viols n’existent pas.
Par Maître Nicolas Gardères, avocat au barreau de Paris.
L’histoire de Mia Zapata existe, car elle représente l’archétype du « vrai viol » et qu’elle est doublée d’un meurtre. Dans pareil contexte, difficile de dire qu’il y a eu « quiproquo », « conjugopathie » ou que « non c’est quand même un peu oui quoi ».
Cette histoire, ou plutôt donc cette régularité empirique digne d’une expérience de laboratoire, se déroule dans les rues de Seattle la nuit du 6 au 7 juillet 1993. Il y a une jeune femme seule, forcément. Mia Zapata, 27 ans comme il se doit, lead singer de The Gits, groupe de punk rock fondé dans l’Ohio et délocalisé dans la cité émeraude à partir de 1989. Un groupe qui monte, après un premier album remarqué, une signature chez Atlantic Records et une première tournée nationale bookée.
Mia Zapata passe la soirée à boire des coups avec ses potes à la Comet Tavern, repère grunge de Capitol Hill, le quartier underground de Seattle. On y fête le premier anniversaire de la mort d’un ami zicos. Puis Mia passe une heure chez un autre ami dont l’appartement est non loin de là. A 2h du matin, elle le quitte pour rentrer chez elle. Elle a dit qu’elle rentrait en taxi.
Pas de taxi mais un homme qui la frappe, la viole et la tue en l’étranglant avec le cordon de son hoodie The Gits, avant de reprendre son chemin. Son corps sans vie, les bras disposés en croix, sera découvert dans une impasse à 3h30 du matin et deviendra bientôt un cold case. Aucun témoin, aucune image, aucun suspect, juste un peu de salive récoltée sur la poitrine mordue de Mia. Dix ans après les faits, cet ADN est enfin identifié à celui d’un certain Jesus C. Mezquia, pécheur cubain de 48 ans vivant en Floride, mais ayant résidé à Seattle de 1992 à 1994 et dont l’ADN vient d’intégrer la base de données nationale en lien avec une affaire de cambriolage.
Mezquia nie les faits. Il est condamné en 2004 sur la foi de son ADN par la Cour Supérieure du Comté de King à Seattle à une peine de 440 mois d’emprisonnement soit près de 37 ans.
Cependant, il fait appel de ce jugement devant la Cour d’Appel de l’Etat de Washington, à la fois sur sa culpabilité, mais également sur la violation du 6ème amendement de la Constitution américaine, garantissant le droit d’être jugé par un jury populaire en matière pénale. Si Mezquia avait bien été jugé par un jury, sa condamnation à une peine « exceptionnelle », c’est à dire supérieure à ce que le droit pénal des différents Etats américains considère comme une peine standard (dans ce cas entre 240 et 320 mois d’emprisonnement), nécessite que les motifs justifiant cette peine exceptionnelle soient soumis au jury. Cette règle venait d’être établie par un arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis en 2004, Blakely vs Washington. Le premier jugement est donc annulé sur ce point par un arrêt d’appel d’août 2005, considérant que la procédure relative à une peine de 10 ans supérieure à la fourchette haute de la peine standard n’avait pas été respectée. La Cour d’Appel confirme en revanche la culpabilité de Mezquia à l’unanimité et renvoie l’affaire aux premiers juges de la Cour Supérieure du Comté de King.
L’histoire ne dit pas si Jesus C. a rencontré le Christ en prison, mais contre l’avis de son avocat, il a finalement renoncé à son droit constitutionnel d’être rejugé par un jury. En janvier 2009, sa peine de 440 mois d’emprisonnement a donc été confirmée définitivement, le Tribunal de Seattle justifiant l’ « exceptionnalité » de la peine par le caractère exceptionnel des blessures infligées à Mia Zapata.
Mezquia est mort en détention début 2021. Les quelques articles à ce propos ne mentionnent pas s’il est mort les bras en croix.