Après Wars of The Roses, album magnifique mais qui prenait un virage toujours plus prononcé vers l'ambient, et l'album de reprises Childhood's end, Ulver revient avec un nouveau véritable album studio au titre mystérieux. Ulver, combo encore aujourd'hui classé au rayon "métal extrême" des grandes enseignes du fait de ses débuts black métal, chroniqué sur le webzine rock ? C'est que de métal, cela fait longtemps qu'il n'en est plus question (de rock non plus vous me direz). Bien longtemps que les musiciens ont abandonné toute velléité de s'inscrire dans un courant stylistique balisé, avec ses règles et ses interdits. Bien au contraire, Ulver n'a cessé de se diriger vers des contrées toujours plus lointaines, au risque, peut-être, de finir par perdre son public pour de bon, ce dont les musiciens semblent se contrefoutre, ayant toujours privilégié leur volonté d'avancer et d'évoluer, jusqu'à se passer des instruments conventionnels qui sont bannis de cette nouvelle offrande.
Pas de batterie, juste quelques percussions. Un chant qui n'est là qu'à de TRES rares occasions, tout comme les guitares. Réalisé avec le Tromso chamber orchestra, soit le seul orchestre de chambre professionnel de Norvège, l'album est bien plus proche du classique et de l'ambient que d'autre chose. Ce qui ne veut pas dire pour autant que l'identité du groupe ait disparu. Ne nous en cachons pas, les premières écoutes sont difficiles. Certes, écouter Ulver a toujours été une expérience qui réclame une certaine ouverture d'esprit, mais jamais le groupe ne s'était autant éloigné des courants qui nous sont familiers. Il y a donc fort à parier que beaucoup seront déçus. Ce serait pourtant dommage, car l'album ne révèle ses richesses qu'une fois la surprise passée. Ce n'est qu'après avoir fait le deuil du Ulver que l'on connaissait et avoir monté le son pour profiter pleinement des ambiances déployées que l'ont peut véritablement participer à la communion proposée par les norvégiens.
Le Tromso chamber orchestra
La première piste, qui tutoie les 12 minutes, fait presque office de rite de passage. Un titre à coucher dehors ("As syrians pour in, lebanon grapples with ghosts of a bloody past"), une ambiance ténébreuse ponctuée de hululements sinistres d'où émergent lentement des mélodies étranges, sombres et peu amènes avant un final plus volontiers mélodique et chaleureux, tout en conservant une note tragique. Si vous parvenez à apprécier cette entrée en matière, alors vous pourrez pénétrer plus avant dans ces contrées étranges que son les esprits des musiciens d'Ulver, qui sont peut-être finalement parvenus à la forme d'expression qui leur convient le mieux. Complètement débarassés d'une quelconque exigence de format (c'est pourtant pas comme s'ils faisaient du couplet/refrain avant), les loups semblent avoir pris un pied monstreueux à pouvoir collaborer avec une autre sphère et pousser encore davantage l'expérimentation pour aboutir à une musique toujours aussi riche en émotions malgré des mélodies plus discrètes, pour un résultat qui lorgne autant vers le classique que vers les bandes originales.
Curieusement, l'absence des instruments typiques du rock prend alors tout son sens, comme si Ulver se rapprochait toujours plus de son essence la plus pure. Les moments de poésie ne sont pas absents, ils sont juste plus diffus mais bien présents, comme le montre cette tension qui n'en finit plus d'oppresser l'auditeur sur "Glamour box (ostinati)", tandis que les débuts tâtonnants de "Son of Man" laissent place à une montée en puissance saisissante. Avec cet album, Ulver pousse sa démarche et son expression musicale à leur paroxysme. Si le groupe n'en finit plus de se rapprocher de son graal, du but d'accomplissement artistique qui est sa raison d'être, sa musique s'éloigne toujours davantage du style qui l'a fait connaître, au moins dans la forme. Car le fond n'a peut-être jamais été aussi présent, aussi apparent, aussi imposant. Les fidèles du groupe vont être soumis à rude épreuve, mais n'est-ce pas précisément l'une des principales raisons de leur intérêt pour Ulver ? Un loup sauvage qui continue sa route, indomptable et magnifique.