NIN, un cas épineux... Cela fait bientôt 15 ans que Reznor n'a pas sorti d'album référentiel. Après une trilogie magique (à laquelle il faut ajouter le EP Broken), le maître a arrêté de boire, et surtout a appris à composer sans se rendre malade à force de s'infliger une pression de tous les instants. Auparavant hanté par la peur de décevoir, Trent est désormais apaisé, a affronté ses démons et n'a en toute bonne logique plus du tout la tête à se torturer devant la page blanche. Musicalement, la transition n'a pas été sans effets : malgré des albums de (grande) qualité, chacun marqué par quelques chansons à tomber par terre, NIN n'a plus sorti de véritable tuerie, d'album excellent d'un bout à l'autre. Il y avait toujours quelques titres un cran en dessous, et surtout cette furieuse impression que le maestro ne parvenait plus à surprendre, quand l'un des grands intérêts de NIN était que l'on ne savait jamais à quoi s'attendre. Autant le dire tout net, ce n'est pas Hesitation Marks qui va renouer avec les plus belles réalisations du groupe. Pourtant, les motifs de satisfaction sont bel et bien là.
Après avoir rechargé ses batteries durant quelques années de break, Reznor est donc revenu à une approche plus minimaliste. Ce nouvel album se veut globalement dépouillé (bien que l'on y retrouve le génie de son maître d'oeuvre pour les arrangements), ce qui lui a valu d'être à tort comparé à Pretty Hate Machine (1989), première réalisation sous le nom NIN. Au niveau du son, il est vrai qu'on peut trouver certaines similitudes : le retour des boîtes à rythme programmées au millimètre fait plaisir à entendre, tout comme cet aspect vicelard à souhait qui faisait un peu défaut ces derniers temps. Pourtant, les presque 25 ans qui séparent les deux albums sont un gouffre béant : alors que Pretty Hate Machine était viscéral au possible (Reznor fut le premier surpris de voir le succès rencontré par ce qui était un projet très personnel), ce nouvel opus s'avère bien plus réfléchi et moins rentre-dedans. N'espérez pas trouver de "Head like a hole" ou "Terrible lie" ici. Trent n'est plus un jeune homme torturé qui crache ses angoisses à la face de l'amérique bien pensante, il a 48 ans, s'est marié, a fait des gosses, et il ne lui manque plus qu'un break renault pour devenir le parfait daron. Oui mais...
C'est bien connu, rentrer dans le lard n'est pas forcément le moyen le plus sûr d'arriver à ses fins. Or, ce Hesitation marks renoue avec le côté sombre, glauque et salace de NIN. Certes, des compositions comme "Copy of A" ou "Came back haunted", les premières dévoilées, quoique fort agréables, n'apportent pas beaucoup d'eau au moulin pour qui connaît bien la discographie du groupe. Pourtant, le troisième titre rapidement joué en live (et donc mis en ligne sur Youtube), "Find my way", ballade magnifiée par des arrangements hyper simples mais terriblement bien trouvés (la marque de fabrique de Reznor), laissait entrevoir un album peut-être plus intéressant qu'il ne pouvait en avoir l'air au premier abord. Et si certains ne manqueront sans doute pas d'être déçus par le fait que Trent a vieilli et ne reviendra vraisemblablement plus à la fureur de sa jeunesse, il est particulièrement agréable de constater que le ver est plus que jamais dans le fruit, tandis que des ambiances déglinguées et provocantes s'enchaînent parfaitement. Ce n'est plus la rage qui anime Reznor, mais son expérience lui permet de distiller le malaise de façon insidieuse et sournoise.
NIN au Fuji rock festival avec le nouveau titre "Copy of A" interprété en ouverture
"All time low" et son rythme lascif, la tension retenue de "Disappointed", le groove imparable de "Satellite"... Autant de compositions qui ne cherchent pas à attaquer de front. Moins flamboyantes que les plus belles réalisations de NIN, elles n'en possèdent pas moins un grand pouvoir de par leur capacité à diffuser un malaise rampant qui fait froid dans le dos. Autre motif de satisfaction, le maître s'est enfin décidé à relever le nez de ses machines et partitions pour se concentrer sur l'écriture de chansons. De vraies chansons. Alors que certains titres de Year Zero (2007) tenaient plus de l'expérimentation un peu bancale qu'autre chose, que l'on pouvait regretter le côté plus pop de The Slip (2008), et que Ghosts (2008) tenait davantage de la parenthèse que d'un véritable nouvel album, on a cette fois le penchant sombre et industriel de NIN qui est amplement remis en avant, le tout au service de compositions qui peuvent toutes être appréciées par le commun des mortels et pas uniquement par les ingénieurs du son. Car c'est bien la mélodie qui est ici largement privilégiée ("Various methods of escape", le splendide final "While I'm still here"). Certes, Reznor n'étonne plus comme avant, mais il ravit, et c'est déjà beaucoup.
D'ailleurs, il reste quelques moments surprenants pas piqués des vers : difficile de ne pas écarquiller les yeux la première fois que l'on écoute "Everything", pur délire post-punk presque naïf (sauf quand il se met à bastonner), judiceusement placé en milieu d'album. Une fois la surprise passée, la chanson s'enfile d'une traite et fait ressortir encore davantage la noirceur maîtrisée du reste de l'album qui se conclut sur deux titres plus barrés et plus volontiers tournés vers David Bowie (l'idole de jeunesse de Trent) tout en conservant la patte NIN (notamment cet excellent "In Two" qui porte particulièrement bien son nom). Alors au final, on ne va pas se mentir, Hesitation marks n'est pas aussi marquant que Pretty Hate Machine, The Downward Spiral ou The Fragile. Il n'en reste pas moins qu'il se révèle très consistant, que le retour à un son plus dépouillé, industriel et sombre est bienvenu et qu'il réserve également quelques surprises. De ce fait, il n'a nullement à rougir dans la discographie de NIN et justifie pleinement le retour du groupe. Le bilan est donc globalement très positif, mais pour ce qui est d'un nouvel album référentiel, il faudra encore patienter.