Une fois n'est pas coutume, La Grosse Radio reçoit parfois des albums sortant de la pure tradition rock mais qui méritent tellement l'écoute qu'on s'autorise une petite digression. Ainsi, l'artiste danoise Nanna.B a fait un magnifique démarrage avec son premier album Vitaphone, enregistré en 2012, et paru en mai dernier chez Underdog Records.
Le label nous la présente ainsi : "Nanna.B délivre une soul moderne, enivrante, scandinave quelque part entre Erykah Badu, Jenny Wilson et Jill Scott. Actuellement basée à Copenhague, Nanna.B a enregistré son album en 2012, bien au calme dans un studio d’enregistrement dans l’arrière pays danois, avec son producteur Damp avec lequel elle collabore depuis le printemps 2011. La plupart des morceaux est enregistrée avec des instruments joués live et enrichis par des samples et des compositions électroniques recevant quelques précieux featurinq tels que Diverse, rappeur de Chicago, Nappion, champion de beatbox et rappeur danois, et des productions par Stacks et Rewolmer."
Ce qui est admirable dans cet album tient autant à la démarche qu'à la qualité du produit fini lui-même. Jugez plutôt :
Le nom de l'album Vitaphone est inspiré d'une toile de l'artiste Jean-Michel Basquiat, peintre américain au style contemporain plein de vitalité. J'apprécie énormément ce croisement des arts. Quand la vie ("vita") et le son ("phone") se conjuguent pour donner Vitaphone, l'inspiration vient à Nanna.B, elle-même diplômée en Art visuel contemporain de l’école Danoise "The Funen Art Academy". Le design du disque a ainsi été composé par ses soins, non seulement c'est home made mais en plus c'est beau !
Si l'album a été enregistré au Danemark, le label distributeur est lui bien français ; cela m'a donné envie de jeter un œil à la politique de la maison. Underdog Records se décrit comme un promoteur du groove ; "100% indépendant, le label ne dépend d’aucune logique économique et n’appartient à aucune chapelle. Certains labels préfèrent leur image de marque, nous préférons de loin mettre en avant les artistes sans lesquels nous n’existerions pas". Voilà une philosophie qui mérite elle aussi d'être mise en avant !
Quant à l'album, même en cherchant bien, je n'y vois que du bon ; rien qui bouleverse l'équilibre délicat d'une musique à cheval entre soul moderne et ambient ultra soyeuse, et qui sait délasser sans ennuyer. Aucune faute de goût, même lorsqu'un morceau plus new soul mêle le phrasé du rap aux nappes synthétiques ("Mind reader"). Cet album se déroule comme un charme, expression qui me semble d'autant plus adaptée aux ambiances oniriques mâtinées de vaudou que l'on découvre par exemple sur "Fresh new thing", ou sur "It all comes out".
Le chant de Nanna.B est posé avec élégance et finesse, sous ses airs de discussion rêveuse. L'art du parlando a été bien travaillé, et s'entremêle avec bonheur aux changements d'acoustiques et autres jeux de reverbs. L'acoustique et la sculpture de l'espace sonore sont d'ailleurs un des éléments fort de cet album, qui sait par exemple combiner le timbre mat d'une batterie intimiste avec la brillance de cuivres bien dosés ("Sum O'sometimes", "Keep on moving") ou le charme d'un Rhodes old school récurrent (d'ailleurs joué par Nanna B elle-même) avec des sons synthétiques plutôt classieux.
La musique de Nanna.B a un bel effet suggestif sur les sens et sur le corps. "Follow me through" nous engage sur une rythmique beatbox des plus réussies ; on croirait participer à une célébration tribale, toute nimbée de halos lumineux. La musique se fait visuelle ;" if you can't see, then I'll be your eyes" nous dit d'ailleurs Nanna.B. "It all comes out of something" se pare de reflets mélodiques qu'on jurerait voir scintiller, pour enchaîner sur une rythmique de subs tellurique délectable et sans agressivité. On ne s'étonne pas de savoir que Nanna.B a étudié les percussions africaines très jeune ! Le soleil domine sur cet album, et joue avec les suggestions sensorielles jusqu'à la touche finale et les sonorités liquides pleines de fraîcheur d'"Arrows".
Le label nous a promis du groove, et il tient promesse ! On retiendra par exemple celui de "My groove" qui ouvre l'album et prend délicieusement le temps de s'installer, ou bien le groove organique de "People", que ne renierait pas Jamiroquai (un autre aficionado des plumes ornementales, que je vénère également pour son talent à équilibrer des sonorités multiples). Autre tempo, autre groove, celui de "Sunday high", lent et insidieux, nous donne des envies de live : j'aimerais vraiment voir comment sonne l'ensemble en concert, ce qui est tout de même très bon signe.
J'ai gardé en mémoire cette citation trouvée sur le net, qui dit que Nanna.B et son producteur voulaient créer un son qui sonne "comme un concert qui se jouerait sur la Lune". Si je qualifierais plutôt l'album de solaire, l'image me plait, et traduit bien l'impression d'espace de l'ensemble. L'album se termine sur un bonus track, "Arrows", à base d'inspiration ethnique et de pulsations quasi-cardiaques ; décollage assuré, magnifique.
En bref : un parcours sans faute, beaucoup de style et de finesse, un album superbe à écouter pour garder les reflets du soleil en mémoire en cette fin d'été.
Les photos sont issues de la page Facebook de Nanna.B.