Avant même de sortir, ce nouvel album de Blackfield aura fait couler beaucoup d'encre. D'abord du fait d'un 3e album, Welcome to my DNA, qui marquait un tournant aussi radical que bienvenu : car après un second album qui peinait à tenir les promesses du premier, un certain renouveau s'avérait indispensable pour maintenir le bien-fondé du projet, qui jusqu'alors peinait à justifier le buzz qu'il avait généré. Ensuite, parce que Steven Wilson, qui préfère se concentrer sur sa carrière solo, a annoncé son départ, tout en conservant beaucoup d'affection à son ami Aviv Geffen (il s'occupe encore de la production, a composé quelques passages et chante ici et là, mais a préféré annoncer son "départ" pour bien signifier qu'il abandonnait les rênes à son collègue). Ensuite, parce que le dit Steven Wilson aura mis tout le monde d'accord ou presque avec son dernier album en date, The Raven that refused to sing, et que beaucoup de monde se demandait comment le projet allait sonner avec un pilote de moins dans l'avion. Bref, le Blackfield nouveau était attendu de pied ferme.
Autant le dire tout de suite, les déçus de Welcome to my DNA feraient mieux de se faire une raison : la direction voulue par Aviv Geffen, qui tend vers plus de simplicité, est une fois de plus privilégiée, et ce sont des compos extrêmement courtes qui constituent un album qui ne l'est pas moins (à peine plus de 30 minutes). Est-ce vraiment un mal ? Le premier album, s'il était sympathique, peinait à assumer son statut de "collaboration-de-malades-qui-va-tout-défoncer", tandis que son successeur avait quasiment enterré tout espoir de voir le groupe parvenir un jour à se hisser vers les sommets auxquels il semblait initialement promis. Alors que Wilson est épanoui dans sa carrière solo et qu'il se décidera bien à remettre Porcupine Tree en branle un de ces quatre (avec si possible un meilleur album que The Incident à la clé), Blackfield ne peut véritablement justifier son existence qu'en allant explorer d'autres territoires. Et si tout n'était pas forcément parfait sur Welcome to my DNA, l'album avait l'immense mérite de s'avérer bien plus équilibré que ses deux prédécesseurs, quelque peu vampirisés par Wilson. Cette fois, l'équilire entre deux univers devenait effectif et donnait lieu à quelques chansons de très haute volée.
Ce nouvel album, sobrement intitulé IV, poursuit dans cette voie, vers une simplicité synonyme non pas de course à la facilité mais à la pureté. En écrivant quasi exclusivement des chansons de tout juste 3 minutes, Aviv Geffen cherche bien à se concentrer sur des mélodies imparables dont la mission est dès lors de s'imposer à l'auditeur sans forcer. Pas de démonstration, pas de prises de tête, pas de format tubesque non plus : l'approche est en cela intéressante qu'elle cherche à prouver que l'accessibilité peut également être synonyme d'exigence. De sorte que quand le musicien y parvient, il nous offre de véritables instants de grâce, magnifié par le travail de Steven Wilson, qui n'a pas perdu la main derrière la console. Le bonhomme a également ajouté quelques arrangements pas piqués des vers, notamment de splendides cordes typiques de son univers qui viennent sublimer des mélodies déjà très réussies (le single "Jupiter", mais aussi cet incroyable "springtime" qui est là pour montrer qu'une belle mélodie bien amenée vaut toutes les démonstrations du monde).
Outre quelques réussites qui confinent au sublime, Blackfield peut compter sur l'apport plus qu'appréciable de quelques invités, comme Vincent Cavanagh d'Anathema sur le magnifique "Xray", ou Jonathan Donahue de Mercury Rev et The Flaming Lips sur le court mais splendide "The only fool is me", sur lequel sa voix ressemble à s'y méprendre à celle de Steve Hogarth de Marillion. Ce qui est un peu plus gênant, ce sont ces chansons qui elles ne touchent pas au but ("Firefly", beurk), ce sont ces emprunts à la pop guimauve qui ne font pas mouche comme ils le devraient (ces horribles ohohoooh sur "Sense of Insanity"), ou une inspiration un peu trop beatlesienne pour être honnête ("Kissed by the devil, un bon titre au demeurant). Rien toutefois qui empêche d'apprécier Blackfield pour ce qu'il est devenu après avoir opéré une mue nécessaire.
Bien sûr, les aficionados de wilson ne manqueront sans doute pas d'être déçus de voir Geffen poursuivre dans sa voie, mais vu la productivité du premier nommé, qu'ils se rassurent : il y a de la place pour tout le monde. Et puis c'est devenu tellement rare de réussir à marier accessibilité et qualité... Les mélodies sont simples, certes (voire un peu banales), mais l'essentiel n'est-il pas qu'elles soient bien trouvées et fassent mouche en touchant l'auditeur ? Non, si on peut avoir des regrets, ils sont surtout contenus dans ces quelques compos et passages plus dispensables, forcément d'autant plus voyants sur un album aussi court. Rien de dramatique toutefois, et rien qui risque d'empêcher Blackfield de poursuivre sa route. Reste qu'il est dommage que le groupe n'ait jamais véritablement été à la hauteur des espoirs qu'il a fait naître.