The John Butler Trio a encore changé de formule avant de proposer son 6e album, Grant Gerathy remplaçant Nicky Bomba derrière les fûts. On est désormais habitués, le format jam band du trio implique selon Butler des changements de musiciens réguliers pour garder les choses fraîches et intéressantes. On pourrait rétorquer que des gens qui se connaissent bien jammeront d'autant mieux, mais après tout ça les regarde. John Butler Trio, c'est bien sûr avant tout un début de carrière énormissime, avec les 2e et 3e albums (le premier n'a à l'origine pas été distribué en dehors d'Australie, la patrie des zicos), Three (2001) et surtout Sunrise Over Sea (2004), sur lesquels Butler parvenait à marier avec brio son amour du folk, du rock, de nombreuses autres influences (en vrac, reggae, soul, blues...), sa virtuosité à la guitare et l'esprit jam des répétitions et concerts. Des albums qui restent aujourd'hui encore des références dans leur genre, dépoussiérant l'esprit folk en l'inscrivant dans les années 2000.
Le public ne s'y est pas trompé, la popularité du groupe est montée en flèche, ce qui a attiré l'attention de producteurs avisés qui sont venus taper sur l'épaule de John : "tu sais, t'as une belle voix, un look de hippie gentil, un petit côté écolo et tu te débrouilles bien à la guitare, faut aller chercher le public de Ben Harper !". Le résultat, Grand National (2007), s'avère en toute logique terriblement décevant. Sans être foncièrement mauvais, on sent néanmoins le formatage à tous les niveaux, jusque dans les clips, jolis mais trop travaillés, au final trop froids et pas honnêtes. L'album n'est pas un échec, mais n'est pas le carton envisagé. Qu'à cela ne tienne, John sort alors son album leplus rock à ce jour, April Uprising (2010), histoire d'envoyer ballader tout ça et se remettre les idées en place. Album sympa, mais qui ne correspond pas complètement à ce que le musicien sait faire de mieux. Après une grosse tournée (Butler est une star absolue en son pays), il était temps de retourner en studio.
Flesh and Blood, disponible depuis hier, signe le retour d'un John Butler plus intimiste, qui redécouvre avec plaisir ce qu'il sait faire de mieux : du folk enrichi d'autres influences. Une guitare enchanteresse, une belle voix, des mélodies inspirées, quelques coups d'accélérateur ici et là pour ne pas s'endormir et varier les plaisirs... Pas aussi bon que ses albums les plus connus, c'est néanmoins un plaisir de retrouver le John Butler qu'on aime. L'homme a souvent agacé, parce que trop mou, commercial etc. Mais c'est pas parce qu'un musicien a l'air sympa, a une bonne tête, une belle voix et s'avère talentueux qu'il faut systématiquement lui coller un procès aux fesses.
Sa force, c'est avant tout de savoir varier les plaisirs : "Spring to come" fait figure de chanson de bienvenue, avant que "Livin' in the City" ne démarre vraiment. Ultra groovy, accrocheuse, avec un break pas piqué des vers. Le fait que le trio soit avant tout un jam band se ressent notamment dans ses arrangements et dans ses breaks, qui sont bien évidemment beaucoup plus longs en concert. L'énergie reprend alors le dessus, avec une batterie qui s'emballe. Encore que sur ce point, il faut mettre les choses au clair : l'album est globalement bien plus calme que ses prédécesseurs. Le groove reste l'élément clé, qui soude l'ensemble des chansons, tandis que des slide de guitare parfaitement maîtrisés font leur apparition. Décidément, l'homme sait faire plaisir et après s'être bien amusé, revient avec bonheur à des compositions plus douces, des ambiances et atmosphères qui parviennent à marier simplicité et réussite. Même une ballade comme "Bullet Girl" est une franche réussite, grâce à des arrangements bien trouvés.
La simplicité, l'évidence, c'est sans doute le retour à ces saines valeurs qui caractérisent ce nouvel album et qui ne peuvent que découler d'une confiance pleinement retrouvée. C'est de cette confiance que vient la possibilité de passer d'un registre à l'autre sans soucis : après une ballade émouvante, pourquoi ne pas se tourner vers un bon vieux blues en lui collant un rythme improbable au passage, pour un ésultat aussi hybride que détonnant ? "Devil Woman", soit 3 minutes de bonheur. Et de démarrer ensuite "Blame it on me" sur quelques notes de gratte à la Hendrix pour un morceau qui s'avère finalement très reggae / blues. Quand on vous disait que c'était la diversité qui faisait la force du John Butler Trio...
Le premier single, "Only One", arrive étonnament tard dans l'album, preuve supplémentaire que le musicien a de nouveau décidé de n'en faire qu'à sa tête et s'est promis que cette fois, il ne cèderait pas aux chants des sirènes qui lui suggéraient d'aller braconner sur les terres de ses voisins (et de pondre des titres insipides). Il en profite pour revenir aux ambiances gaëlliques de ses débuts, avant de montrer qu'il suit quand même un peu ce qui se fait actuellement avec le très moderne "How you sleep at night" et la rythmique électro du lancinant "You're free". Un peu plus de 50 minutes, soit un album plus court que ce à quoi nous sommes habitués, ce qui n'est pas forcément un mal.
On peut donc retenir un retour réussi, sans doute le meilleur de John Butler depuis Sunrise over Sea, sans que ce nouvel essai parvienne pour autant à égaler le top de sa discographie. Mais c'était pas loin. Le côté plus intimiste sied bien au son du groupe, mais quelques compos plus énergiques n'auraient pas été de refus. Ses détracteurs ne changeront sans doute pas d'avis avec cet album, si toutefois vous vous êtes faits une idée sur le bonhomme au moment de la sortie très médiatisée de Grand National, nous vous conseillons de lui redonner une chance. Pour les amateurs, le cru 2014 est d'une excellente facture, et vous pouvez y aller les yeux fermés, l'écoute de cet album devrait vous faire le même effet que les retrouvailles avec un bon copain que vous 'naviez pas vu depuis longtemps et qui a l'air d'aller très bien. De belles retrouvailles.
7,5/10