Dans le genre inclassable, Stamp se pose un peu là : fondé par trois musiciens issus de trois styles bien distincts (classique, jazz et métal pour nepas les citer), Stamp est une ode à la liberté, à la vitalité, à l'audace et au panache. Car Stamp fait du Stamp, tout simplement. Les pistes, instrumentales la plupart du temps, ne se fixent aucune limite. Le saxophone apporte une ambiance inégalable, les rythmes tantôt rock tantôt électro se succèdent, l'influence du classique est palpable, et les guitares restent toujours en embuscade, prêtes à mettre un coup d'accélérateur à tout moment. "Estampes" correspond bien à cette description, mais c'est encore bien trop peu pour qualifier la musique de cet excellent groupe, qu'on ne peut réellement appréhender dans sa totalité qu'après avoir écouté l'album (en écoute intégrale sur leur Bandcamp).
Car on retrouve également des touches reggae ou musiques du monde, un intérêt pour les bandes originales également, avec ces extraits de films samplés ("Lost Highway", "Fight Club", et d'autres), des changements de direction impromptus qui peuvent envoyer un titre dans une toute autre direction que celle qui était initialement empruntée... Autant dire que celles et ceux qui ne peuvent se passer du couplet / refrain peuvent passer leur chemin tout de suite. Pour les autres, les curieux, voilà un sujet de choix. Le travail de composition est digne d'éloges, les ambiances magnifiquement soignées et ce, sans aucune répétition. Capable d'évoquer le moyen-orient, ou l'orient tout court comme avec ce début de "Red Sand", qui après avoir commencé par nous emmener en Asie, ajoute une boucle de claviers limite hip-hop, avant de lancer un rythme légèrement électro. Impossible de deviner la transition, qui s'effectue tout en douceur vers une mélodie plus douce et touchante.
Quand un groupe parvient à allier la grâce et la classe, forcément, ça fait du bien. Ne cédant jamais à la facilité, Stamp laisse couler ses compositions, se met à leur service, laisse la musique parler en se refusant à la violenter pour caser à tout prix un gimmick accrocheur. Pourtant, l'accroche est bien là, que ce soit grâce à quelques notes de piano, à une voix féminine inattendue (la volcanique "Telluric Blaze" et son ambiance fabuleuse), et tout simplement à de belles mélodies magnifiquement interprétées. Stamp parvient en effet à éviter le double écueil de la facilité : s'il se refuse à user de "ear worms" (ces petites mélodies qui trottent et trottent dans la tête pour ne plus en sortir), il n'est pas davantage attiré par la complication à outrance. Ici, on n'aura jamais l'impression que les musiciens ont maladroitement cherché à assembler plusieurs titres en un.
Si l'album n'est pas foncièrement rock, il s'abreuve néanmoins à ce courant qui nous est cher, tout en prenant ce qui l'intéresse ici et là. Et si on ajoutait une boucle de piano hip-hop ici ? Ou commencer ce titre par un piano classique ? Pourquoi ne pas mettre un rythme électro qui irait ensuite vers du jazz ? Pourquoi ne pas faire ce qu'il y a de mieux pour sortir un superbe album, pourquoi ne pas laisser les conventions de côté et essayer de créer, d'écrire une musique qui nous ressemble, qui ait quelque chose à dire ? Facile à dire hein... Et pourtant ce premier album est tout ça à la fois. A l'instar de celui de Sikala et de quelques autres, il montre que notre scène nationale peut faire bien plus que copier ce qui se fait (en mieux) chez nos voisins. Alors que le trip-hop peine à se renouveler, que le progressif a tendance à tourner en rond, et que le post-rock fait la même chose depuis bien longtemps, Stamp fait partie de ces projets fous, de ces réussites éclatantes qui montrent qu'on peut allier exigence et accessibilité tout en proposant de l'original, voire de l'unique.