Alors que je m'apprêtais à lâcher sur cette traverse de plancher une folie destructrice contenue retentit soudain la douce sonnerie de mon interphone. Qui donc pouvait avoir l'outrecuidance de profaner la quiétude de cette séance d'éradication massive et organisée de puces de plancher à laquelle j'allais me livrer avec un certain entrain, il faut le dire ? Je décrochais donc et prononçai un nonchalant " Quoi ? ".
Salutations échangées, je reconnaissais rapidement la voix de mon fonctionnaire de poste attitré, avec lequel je n'avais jusque-là échangé que de vulgaires banalités concernant des référentiels aléatoires quant à la notion de météo du jour. C'est alors qu'il me dit : " Il y a un disque adressé à votre nom, M. Bourracho ". Diantre ! Un album de musique ?! Je dévalais la marche me séparant du hall d'entrée (oui, j'habite au rez-de-chaussée) et me précipitais sur le zélé agent de la fonction publique pour le remercier puis, j'entreprenais de regagner mon humble demeure et mes colocataires d'infortune, non sans fébrilement décacheter avec la lenteur laconique d'un conseiller de la CAF les plis de la dite enveloppe.
C'est à cet instant précis qu'une sourde angoisse s'empara de moi... Je ne tenais peut-être, entre mes dix doigts potelés, que cette compilation de musiques d'ascenseur qu'un célèbre établissement de vente par correspondance essayait en vain, depuis des mois, de me refourguer faute d'avoir répondu à temps à leur catalogue, que je n'ai par ailleurs jamais ouvert. C'en était trop : il me fallait savoir ! Prenant mon courage à deux mains, ainsi qu'un short – m'apercevant que je venais de rencontrer mon facteur en caleçon – j'ouvrais l'emballage postal. Et... Miséricorde ! Alleluia ! Guten Tag ! Me voilà à l'aube d'une opération d'extermination d'envergure armé du plus beau recueil de chants de guerre : le dernier album de A Place To Bury Strangers ! Courrez, puces de plancher : fuyez loin de l'abomination qui vous guette d'un œil amusé, sachant qu'aucun sang d'agneau versé sur vos portes n'épargnera le vie de vos nouveaux-nés.
Je me dirigeais vers mon ordinateur, plaçais la précieuse galette dans mon lecteur, puis dans un silence religieux dont seul Pie XII aurait pu se targuer, lançais le lecture.
L'introduction de It Is Nothing me laissait à peine le temps d'effectuer un débonnaire saut carpé visant à me munir d'un marteau et d'un burin, avant de m'attaquer avec une frénésie sans commune mesure aux rainures de mon parquet, dirigé par le rythme implacable d'une boite à rythmes qui donnait à mon entreprise des allures de Blitzkrieg. Obnubilé par la mise en application de stratégies militaires ayant fait leurs preuves au siècle dernier, je décollais lattes, arrachais clous et déracinais joints, le tout en symbiose totale avec la musique qui s'écoulait par les baffles de ma station de travail. Jusqu'au moment où retentirent les premières notes de Deadbeat Je déchirais alors mon t-shirt, afin d'exacerber au monde des puces la virilité sauvage d'un homme décidé à en finir une bonne fois pour toutes.
Haletant, les yeux hagards, je profitais de Smile when you smile pour diriger mes pas vers mon réfrigérateur, afin de m'octroyer une courtoise pause qui devait donner à mes adversaires l'illusion d'une possible organisation de révolte contre mon joug intraitable.
Souriant devant l'ampleur de la tâche dans laquelle je m'étais lancé, je profitais de la rage que me donnait l'écoute de Everything always goes wrong pour ouvrir un nouveau front de combat, à l'est de mon appartement. J'y envoyais mes meilleurs divisions afin d'engager un combat sans merci, rapide et précis, profitant de la clémence du printemps pour gagner une à une les larges plaines de mon plancher, ne laissant pas à mon ennemi et à ses partisans le temps de mettre en pratique la méthode la terre brûlée. Je balayais un à un les îlots de résistance que je rencontrais, investissais une à une les rues des places fortes des belligérants sans laisser de prisonniers derrière moi, le concept de STO étant difficilement applicable aux puces.
Les accords de Exploding Head, le titre éponyme de l'album de A Place To Bury Strangers, me laissait à peine le temps de construire quelques fortifications derrière lesquelles j'abritais mes outils de terreur. J'arpentais cette forteresse imprenable, tel Erwin Rommel en maillot de bain parcourant le mur de l'atlantique, avec le sentiment qu'aucun être vivant ne pourrait passer au travers de mon système de défense.
Je prenais une longue inspiration quand vint à mes oreilles la mélodie de clôture : I lived my life to stand in the shadows of your heart. Hymne qui sonnait le glas de celles qui avaient mis des mois et des mois à infiltrer les réseaux de mon parquet. Je m'emparais de mes bombes de produit chimique et déversais sur mes ennemis le flot mortel d'un gaz inodore qui les vit une à une rendre leur dernier souffle.
Il était alors 11H38, un mardi matin.
Je contemplais, au doux son des guitares saturées de saturation de la montée finale de l'album des new-yorkais, les vestiges d'une guerre sans merci qui venait de voir l'extinction pure et simple d'une race : celle de mes puces de plancher.
Le verdict de l'écoute de cet album me fit alors l'effet d'une révélation : si A Place To Bury Strangers avait sorti Exploding Dead en 1939, j'aurais sûrement écrit cette chronique en allemand. Je ne saurais donc que trop vous conseiller cet album, afin de mener à bien, avec une rigueur germanique authentique, vos tâches ménagères.
Une prochaine fois, je vous raconterai comment j'avais purifié à grandes lampées de kérosène les étangs d'eau stagnante à proximité de mon logis afin de me protéger de la menace des moustiques, au son du tout premier opus de A Place To Bury Strangers.
A PLACE TO BURY STRANGERS sur le net :
http://www.aplacetoburystrangers.com
A PLACE TO BURY STRANGERS sur My Space :
http://www.myspace.com/aplacetoburystrangers