Si la Suisse n'est pas nécessairement réputée pour sa scène rock, elle n'en abrite pas moins quelques beaux spécimens, en grunge ( Progstone ), rock puissant (Pure INC) et même en Acid Rock avec les Forks. Ce quatuor nous propose un premier album constitué de titres longs et particulièrement psychédélique s. L'Acid Rock, apparu à la fin des années 1960 et qui a inspiré le stoner, porte bien son nom puisqu'il est souvent constitué de riffs répétitifs, joués de façon lancinante avec des solos quasi incessants et de nombreux effets de guitare. La référence à la drogue n'est pas un hasard puisque le but est de faire tomber l'auditeur dans une certaine transe, la même qui habitait de nombreux musiciens de rock de l'époque, alors que les revendications pour de nouvelles libertés s'accompagnaient parfois de prises de substances illicites en tous genres (ce qui explique aussi que beaucoup ne soient plus là aujourd'hui).
Forks se pose en parfait héritier de ce courant : de l'Acid Rock légèrement modernisé, avec une touche garage et quelques accents stoner, la bande n'hésitant pas à accélérer le tempo quand elle l'estime nécessaire ("La Muerte Pelada" et son gros break). La voix féminine ajoute une couleur inhabituelle bienvenue, et pour le reste, ça tricote avec talent. Les musiciens s'y entendent pour pondre des morceaux en apparence interminables, dont l'auditeur ne souhaite d'ailleurs pas voir le bout tant il est bon de se laisser entraîner ("Snake", "12h48", "Hannah"), tant l'ambiance est là, grâce à un gros savoir-faire et surtout une véritable aisance : les musiciens ne font pas semblant de jouer le revival, ils comprennent véritablement ce style, elle leur est naturelle, condition sine qua non pour faire de la bonne musique en général, mais plus particulièrement encore dans un genre aussi exigeant.
Car la limite entre transe et répétition imbuvable n'est jamais loin pour les musiciens assez braves pour naviguer sur les eaux du psychédélisme. Forks s'en tire vraiment bien, même si on peut regretter par moments que le groupe manque un peu de recul. C'est notamment le cas sur "Ayahuasca", à la fin de laquelle arrive une accélération bien sentie. Las, alors qu'un solo semblait prêt à démarrer, il n'en sera rien, et l'auditeur de regretter que le groupe ne soit pas allé au bout de son idée. Après tout, des compos de près de 10 minutes doivent bénéficier d'habillements bien trouvés, au risque de devenir longuettes. Dans le même ordre d'idées, l'album est long (pas loin de 70 minutes), et si la qualité est au rendez-vous, l'efficacité s'en ressent. Petit défaut de jeunesse classique : beaucoup de générosité, et l'envie d'en faire trop. L'essentiel est ailleurs, reste qu'un album plus court, quelques morceaux un peu rabotés ici ou là auraient pu faire passer ce premier jet au rang de coup de maître.
Reste qu'il ne s'agit encore que d'un premier album et que ces quelques petits défauts n'ont rien de rédhibitoire. Au contraire, Forks est d'ores et déjà assez impressionnant, à plus forte raison dans un genre aussi casse-gueule. Parvenir à éviter l'écueil de la compo répétitive et imbuvable est un petit exploit en soi. Les suisses ont livré un album de très haut vol, l'aspect jam les prédestine déjà à faire très mal en concert et pour peu que tout se passe à peu près bien, ils ont encore une bonne marge de progression pour le futur. Reste plus qu'à espérer qu'on aura l'occasion de les voir de ce côté-ci de la frontière. En attendant, si le terme "psychédélique" vous attire en musique, voici un groupe à côté duquel vous auriez bien tort de passer votre chemin !
7,5 / 10
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