Il est un album de pop anglaise que je possède depuis longtemps et que j'ai plaisir a réécouter de temps à autres : il s'agit de l'album éponyme de The La's, groupe de Liverpool ayant percé au début des année 90. L'histoire du disque et du groupe est aussi succinte que notable, et j'ai eu envie de partager avec vous quelques éléments qui m'ont marquée en les découvrant.
Fait notable n°1 : ils ont sorti un unique et excellent album studio.
Si l'unique album studio de The La's, sorti en 1990 mais tout chargé d'ambiance 60ies, fait encore parler de lui de nos jours, et que les apparitions de l'ancien frontman ont été longtemps surveillées du coin de l'oeil, c'est que cet album aura su marquer son époque.
J'ai écouté pour la première fois l'album The La's il y a une bonne quinzaine d'années maintenant ; j'ai de suite apprécié la sensation d'espace et de clarté qui se dégageait de l'album, la richesse mélodique, et les incartades de style qui ne sacrifiaient en rien à l'identité forte du compositeur principal, j'ai nommé Lee Mavers. L'album a bien fonctionné principalement en Angleterre et en Europe, même si le groupe a tourné aux Etats-Unis ; il a été classé 30e dans les charts anglais. C'était d'autant plus notable que le pays baignait en plein mouvement "Madchester", avec des groupes phares tels que The Stone Roses ou les Happy Mondays.
La chanson la plus connue du groupe est certainement "There she goes", chanson d'amour à l'origine, parfois accusée d'être une ode à l'héroïne, ce qui a été démenti par les intéressés. La chanson a été utilisée dans plusieurs films, génériques et publicités, et est montée en 13e place dans les charts anglais lors de sa sortie. En mai 2007, le très influent New Musical Express l'a même classée 45e plus grande chanson sur les 50 meilleurs hits d'indie pop. The La's ont réalisés deux clips de "There she goes", en 1988 et 1990.
"There she goes" n'est pas ma chanson de prédilection, je lui préfère le bref et tonique "Feeling", le mélancolique "All by myself", les belles harmonies de "Doledrum", ou le subtil opus d'ouverture "Son of a gun". Quoi qu'il en soit, il est étonnant que le groupe n'ait pas sorti d'autre album, en dehors des lives et bonus traditionnels. Un album éponyme en forme d'unique et ultime témoignage musical... Comment un groupe aussi prometteur a-t-il pu quasiment disparaître dans la nature, pour ne ressurgir que de manière aléatoire façon serpent de mer, et sans projet conséquent ?
Fait notable n°2 : The La's ont été incapables de trouver leur route après ce premier (semi ?) succès
Lee Mavers ne s'est pas gêné pour le faire savoir : il a détesté cet album studio, malgré tout le succès remporté auprès du public et des médias. Intraitable quand au rendu de la musique qu'il voulait diffuser, il a lassé plusieurs producteurs incapables d'obtenir ce qu'il souhaitait lors de l'enregistrement. Leur maison de production, Go! Discs, un label indépendant qui commençait sérieusement à perdre de l'argent et son sang-froid, finit par lancer l'album en octobre 1990 à partir de la version du producteur Steve Lillywhite (U2, Simple minds...), et ce contre la volonté du groupe.
Mavers ne s'est jamais vraiment remis de ce qu'il a a priori considéré comme une trahison de son identité artistique. Toutefois, si on peut facilement imaginer la frustration que peut ressentir un compositeur dont les volontés artistiques sont baffouées, la situation n'est peut-être pas si univoque, car Mavers a aussi été décrit comme un perfectionniste éternellement insatisfait.
Dédicace de Lee Mavers : "Pour Daniel - Tu sais à quel point je déteste ce disque !"
Ce qui n'a pas contribué a faciliter l'évolution du groupe est aussi son comportement, en particulier celui de son leader. Lee Mavers est doté d'une belle voix mais aussi d'un fichu caractère, et n'a jamais semblé apprécier les medias. The La's semblent également être tombés dans le panneau du cliché rock : des rumeurs d'alcoolisme et de drogues circulent, et le chanteur n'apparait pas franchement épanoui au fil des années qui passent. Les lives sont souvent bâclés, parfois pathétiques, la composition du groupe change régulièrement et certains concerts ont même lieu sans batteur. Leur apparition à Rock en Seine en 2011, attendue comme l'évènement capable d'une nouvelle révélation pour le groupe, aura généré beaucoup de déceptions, comme on a pu le lire dans certaines chroniques désabusées.
Le filon de l'album studio a toutefois été utilisé jusqu'à plus soif. Plusieurs disques de The La's sont parus entre 1999 et 2010. On peut noter les excellentes versions BBC, qui ont effectivement un rendu rock plus acerbe que ce qui est présenté sur l'album studio (ex : "I can't sleep"), ou bien les sessions live produites par Pete De Freitas qui, pour intéressantes qu'elles paraissent, proposent néanmoins un mix très vite lassant. L'album Breakloose présente des enregistrements maisons et des démos de la première heure, dont la qualité plus qu'inégale nous permet tout de même d'apprécier des morceaux comme "Sweet 35".
Les rumeurs d'un deuxième album studio ont longtemps couru, et ont parfois été entretenues par Mavers, mais un deuxième projet n'a jamais vu le jour. Les dernières apparitions notables du groupe datent d'ailleurs de 2011, toujours autour des chansons qui ont révélé le groupe. Leur présence à un concert d'inauguration à New York en 2012 semblait encore susciter l'intérêt, mais le concert a tout simplement été annulé. Au final, si on recoupe différents témoignages, Lee Mavers semblait confronté à deux problèmes importants : une méfiance exacerbée vis à vis de l'industrie musicale, et une incapacité à gérer sa capacité créatrice.
Fait notable n°3 : leur histoire nous interpelle sur la complexité du processus créatif
On ne peut pas parler de ratage total pour le groupe The La's, car ils nous ont légué un excellent album, ils ont largement alimenté la presse musciale, et ils sont cités comme une influence essentielle de groupes contemporains majeurs (Oasis, et Pete Doherty avec lequel Mavers a partagé la scène, en premier plan). Néanmoins, leur histoire est aussi symbolique de celle de nombreux groupes plein de potentiel, mais qui n'ont pas su continuer à se construire dans l'adversité.
La maniaquerie de Lee Mavers, pour aussi réelle qu'elle semble être quand le chanteur ironise 27 ans après travailler encore sur son premier album, montre aussi un aspect plus sombre du métier, bien connu des auteurs et compositeurs. Cet aspect pas très "glamour et paillettes", et pourtant incontournable, peut se manifester sous forme de questions telles que :
Comment recréer au mieux la musique que l'on est capable d'imaginer dans sa tête ?
Comment trouver un compromis entre intégrité artistique et exigences matérielles ?
Comment dépasser un blocage créatif ?
Comment savoir quand une chanson peut être considérée comme diffusable en l'état ?
Comment porter un album avec lequel on ne se sent pas en phase ?
Comment dépasser les déceptions artistiques pour se reconstruire sur d'autres projets ?
L'objectif de cette chronique n'est pas de répondre à ces questions, mais l'histoire de Lee Mavers, au delà des problèmes liés à sa personnalité, nous interpelle sur la complexité du processus créatif. Ecrire une musique intéressante demande énormément de travail, et peut être source d'autant de frustrations et de souffrance que d'énergie et d'exaltation.
Cela demande aussi une capacité à la remise en question et une bonne dose d'humilité, pour accepter le fait que ce que l'on écrit n'est pas toujours intéressant. Il est dit par exemple que pour l'album Thriller, Michael Jackson et Quincy Jones ont travaillé sur 300 chansons, pour au final n'en retenir que 9 !
La quantité de travail et tous les obstacles inhérents à la création musicale sont autant d'aspects cachés au public qui ne verra que le produit fini : l'album réussi ou non, le concert qui nous transporte ou sera oublié dès le lendemain.
Chez Mavers, le perfectionisme touche visiblement à la maniaquerie pathologique, puisqu'au final aucun autre album n'a vu le jour 25 ans plus tard, malgré ses tentatives apparentes ; ce cas extrême souligne néanmoins des questions toujours d'actualité sur le processus créatif et l'intégrité artistique. L'histoire de The La's peut être lue comme une métaphore exacerbée des batailles quotidiennes des musiciens, une sorte de parabole de leurs luttes intérieures. L'album The La's, enfant unique et quasiment renié par ses parents, n'en est que plus touchant.
SI l'envie vous vient de creuser un peu plus avant, deux livres en particulier nous parlent du phénomène The La's et de son frontman. Le premier, In Search of The La's: A Secret Liverpool, par M.W. Macefield, est une biographie du groupe publiée en 2003. Le deuxième, Isle of Noises, de Daniel Rachel, est un recueil de témoignages d'artistes sur leur manière de travailler, dans lequel on trouve une partie consacrée à Lee Mavers. Paru en 2013, ce livre est la preuve que The La's, au travers de leur histoire et de leur musique, continuent de nous inspirer et de nous faire réfléchir.
La photo du disque dédicacé est issue du lien suivant : http://noises.azurewebsites.net/lee-mavers/