C'est dans le cadre d'un petit hotel parisien près du Boulevard St Michel que j'avais rendez-vous ce mardi 31 août 2010 pour une interview avec le groupe Anathema. Un temps prévue avec le chanteur Vinnie Cavanagh, c'est finalement avec son frère guitariste (et compositeur principal) Danny que je me suis entretenu. Voici le récit d'un échange fort à propos du nouvel album (largement salué par la critique) avec un personnage fantasque mais diablement passionné...
Ju de Melon : Tout d'abord, bienvenue à Paris, même si je sais que tu y viens souvent !
Danny Cavanagh : Merci beaucoup !
Ju de Melon : Alors, comment te sens-tu dans cette bonne vieille capitale française ?
Danny Cavanagh (qui met du ABBA sur son iPod pour un petit fond sonore bien sympathique) : J'adore Paris, c'est un endroit très familier pour moi. Cela fait longtemps que je viens dans cet hôtel, c'est un endroit sobre et cool...
Ju de Melon : 3 mois que l'album est sorti désormais, quelles ont été les premières réactions et t'ont-elles satisfaites ?
Danny Cavanagh : Vraiment très positives, de la part des journalistes mais aussi des fans. Beaucoup de gens disent que c'est génial et... c'est super, ça me conforte dans l'idée que cet album est vraiment excellent. Je le pense vraiment !
Ju de Melon : As-tu eu un peu "peur" avant qu'il soit mis en vente ?
Danny Cavanagh : Non, pas vraiment... Parce que j'ai longtemps écouté l'album tous les jours, plusieurs fois, pendant plus de deux mois. Et je l'adorais, vraiment. Je savais qu'il était très bon, donc je n'avais absolument aucune crainte. J'étais plutôt "excité" à sa sortie... Certaines réactions ont d'ailleurs été surprenantes, mais dans le bon sens, donc au final je ne pense pas m'être trompé !
Ju de Melon : 7 ans se sont écoulés entre "A Natural Disaster" et "We're Here Because We're Here"... Certains fans se sont inquiétés et ont même perdu un peu l'espoir de revoir un album d'Anathema, est-ce que ce fut également le cas pour toi ?
Danny Cavanagh : Non, vraiment jamais ! Je n'ai jamais considéré sérieusement l'arrêt du groupe ou de ne plus faire de musique.
Ju de Melon : Ni même de faire un autre projet ?
Danny Cavanagh : C'était une possibilité mais nous avons décidé de rester ensemble, unis, sur le chemin qui nous a amené jusqu'ici et qui nous conduira vers d'autres horizons. Tout simplement. Et je suis heureux de cette décision !
Ju de Melon : Quel a été le moment le plus "difficile" pendant ces 7 ans de "silence" (relatif puisque le groupe a tout de même sorti un album acoustique en 2008) ?
Danny Cavanagh : Oh tu sais, cela n'a plus d'importance, le fait est que nous sommes là aujourd'hui et que nous avons fait un bon album. Nous avons décidé de continuer, plus forts que jamais, et c'est tout ce qu'il faut retenir. Tout ce qui a été "difficultés" pendant ce laps de temps doit rester personnel, entre nous...
Ju de Melon : Lorsque que vous avez mis 3 chansons de ce nouvel album en téléchargement sur votre site, pensais-tu à l'époque sortir ce CD uniquement sous format digital par exemple (comme certains groupes le font aujourd'hui) ?
Danny Cavanagh : Non, je n'ai jamais pensé faire ça. Nous faisons des albums, des vrais, et les groupes font des albums... Nous avons donc fait un album, comme prévu ! Puis ces titres mis en ligne n'étaieint pas les versions définitives, nous avons fait cela pour attirer l'attention et intéresser quelques labels en vue d'une sortie future. Et ça a bien fonctionné au final.
Ju de Melon : Et quand Kscope, votre nouveau label, a décidé de s'intéresser à vous, vous avez dû vous sentir tous un peu "soulagés"...
Danny Cavanagh : Je ne pense pas que "soulagé" soit le mot, disons que nous étions juste très heureux d'être de retour dans le jeu, de faire de la promotion, de parler avec les gens de notre musique, de contempler le CD et son coffret ou de lire les différentes réactions. C'était vraiment une bonne sensation, je suis content de revivre ça !
Ju de Melon : Parlons un peu du titre de cet album, assez étrange quelque part et tiré d'une chanson chantée pendant la première guerre mondiale dans les tranchées j'ai cru lire... Est-ce la réponse à cette question existentielle que pas mal de gens se posent : "Pourquoi sommes-nous ici ?" ("Why are we here ?" => We're Here Because We're Here")... ?
Danny Cavanagh : Non, je ne vois pas les choses ainsi. Parce que je ne pense pas que cela réponde à la question pour être honnête. C'est une réponse qui ne pourrait pas être apportée par des mots, c'est à chacun de se forger sa propre intérprétation, celle qui lui convient le mieux... Après, il y a plusieurs points de vue. Le côté "réaliste", que je respecte... et le côté "spirituel" duquel je me sens plus proche !
Ju de Melon : Peux-tu nous en dire plus sur ton point de vue ?
Danny Cavanagh : Bien sûr. Pour moi, la meilleure interprétation et la meilleure réponse que j'ai pu trouver à cette question, c'est que tu es ici pour expérimenter ce que tu es vraiment. Tu me suis ?
Ju de Melon : Tout à fait, mais ensuite on peut se poser la question : "qui suis-je ?"...
Danny Cavanagh : Oui, tu te la poses peut-être, d'autres se posent certainement cette question, pas moi. Certains se font une idée d'eux-même, une image de leur personnalité, en se basant sur certaines pensées. Je respecte leur point de vue, mais je pense qu'il y a plus profond encore que la pensée : l'essence même de la vie, son pouvoir, son énergie... ceci n'est pas fait de passé ou de futur, ni de "pensées", il ne faut pas confondre spiritualité et psychologie. Je pense que ce "pouvoir" est réel, qu'il est beau, et qu'il réside au plus profond de nous. A ce niveau, au coeur d'entre nous, il existe ce moment, cet espace, cette vie, cette intelligence. Je pense que c'est à chacun de trouver son chemin à travers la vie... J'ai un point de vue personnel très spirituel sur la question, pas forcément religieux, et encore moins rationaliste ou idéaliste. Tout ceci défie la logique selon moi, je suis fait d'experiences et de prolongements de ma conscience... quand l'esprit en son ensemble se connecte avec la vie qui nous entoure, ce qui est loin d'être un discours scientifique !
Ju de Melon : Il s'agit donc d'un album très spirituel...
Danny Cavanagh : Oui, pour moi cet album et ses chansons parlent de l'amour que je porte à la vie. C'est une façon plus "aisée" pour moi de communiquer cette joie, cet amour, cette lumière intérieure, cette paix, cette unité...
Ju de Melon : Et souvent la musique parle plus que les mots...
Danny Cavanagh : Oui, tout à fait, clairement ! Tout vient de l'intérieur, de cette essence de la vie qu'il est impossible d'exprimer avec des mots. C'est comme si un parfum accompagnait chaque note... Imagine la musique comme un élégant bouquet de parfums apportant cette lumière, cet amour de la vie.
Ju de Melon : C'est un sujet assez complexe et personnel, un peu comme cet album au final... Le décrirais-tu ainsi ?
Danny Cavanagh : Oui et non, car selon moi c'est très facile. Pour moi la vie c'est simple, quand tu comprends ce que tu ressens et d'où les choses viennent. En tout cas c'est ce que je crois. Après, il est aussi très simple d'être compliqué... Tout ce qui est politique, nature de l'esprit, égos ou autres clans... tout ça c'est compliqué ! Mais au plus profond, au-delà de tout ça, il y a une vérité aisée à comprendre : ce que nous vivons maintenant est la seule chose qui importe.
Ju de Melon : Quelle est pour toi la chanson qui porte le mieux ce concept dans l'album ?
Danny Cavanagh : "Dreamling Light", tout simplement. Elle dit tout.
Ju de Melon : Changeons un peu de sujet et parlons de la 5ème chanson de l'album, "Angels Walk Among Us". Ville Vallo du groupe HIM apparait en chanteur invité, qu'est-ce qui a motivé ce choix ?
Danny Cavanagh : C'est un ami à nous, nous avons tourné avec son groupe et je lui ai proposé car c'est vraiment un gars très sympathique avec une bonne voix. Très simple comme tu peux voir, loin d'être compliqué, un peu comme la vie (rires)...
Ju de Melon : Quelques mots sur le processus d'enregistrement et le mixage fait par Steven Wilson (Porcupine Tree) ?
Danny Cavanagh : Franchement l'enregistrement a pris trop de temps, nous ne nous y reprendrons plus jamais de la même manière. Par contre, tout s'est super bien passé au niveau du mixage, Steven a super bien travaillé et nous avons obtenu grâce à lui un bon résultat final.
Ju de Melon : Qu'est-ce que Steven a apporté sur cet album ?
Danny Cavanagh : Son intelligence et sa patience, très certainement. Il agit comme un excellent filtre sur toutes nos idées, il nous a aidé à faire de bons choix et a amélioré notre son. Il n'a pas hésité à modifier quelques petits trucs qui ne semblaient pas parfaits et a parfaitement su adapter toutes nos idées.
Ju de Melon : L'idée de travailler avec lui remonte à quelle période ?
Danny Cavanagh : C'est lui qui nous a offert cette possibilité de travailler avec lui, ça remonte à 2005. C'est donc quelque chose qui était prévu depuis un certain moment et nous voulions vraiment concrétiser cette collaboration sur le nouvel album.
Ju de Melon : Quelles ont globalement été tes inspirations musicales sur cet album ?
Danny Cavanagh : Elles viennent avant tout des expériences que je vis au quotidien mais aussi de quelques musiques que j'écoute, forcément. C'est une combinaison de plein de paramètres, entre sensations, méditation personnelle, tout ce qui vient embellir le coeur et l'esprit... le ressenti du moment avant tout.
Ju de Melon : C'est donc la raison pour laquelle le son d'Anathema est différent aujourd'hui par rapport aux premiers albums du groupe beaucoup plus metal et sombres...
Danny Cavanagh : Oui, c'est vraiment une évolution naturelle et pas forcément volontaire à la base. Anathema est différent aujourd'hui car nous sommes différents, tout le monde est différent... Les bases restent les mêmes, par exemple nous sommes tous fans des Beatles, mais le vécu fait la différence. L'important est de rester fidèle à soi-même.
Ju de Melon : Es-tu d'accord avec la critique générale qui fait de "We're Here Because We're Here" l'album le plus atmosphérique et le plus progressif d'Anathema ?
Danny Cavanagh : Je pense surtout que c'est notre meilleur album. Peu importe comment les journalistes ou autres le définissent, c'est le meilleur. J'en suis convaincu. Certains peuvent ne pas être d'accord mais c'est mon avis le plus sincère. Le meilleur Anathema et de loin, je rajouterais même.
Ju de Melon : Parlons de Lee Douglas, la chanteuse, désormais à temps complet et officiellement dans le groupe on dirait ?
Danny Cavanagh : Oui, officiellement mais pour moi rien n'a véritablement changé. Peut-être s'est-elle impliquée un peu plus sur cet opus, en effet, mais c'est une perception extérieure selon moi car elle a toujours été là et elle est encore là. Désormais, elle sera plus présente avec nous sur les différentes tournées, et ce sera génial ! C'est vraiment sympa de l'avoir avec nous, c'est une très bonne chanteuse avec un impact visuel très positif. Nous sommes chanceux de l'avoir, elle est très talentueuse.
Ju de Melon : A-t-elle apporté ses idées sur quelques chansons ?
Danny Cavanagh : Non, pas vraiment, sauf évidemment sur sa façon de chanter où elle a eu son mot à dire. Cela ne lui pose aucun problème de s'adapter à nos idées, elle le fait très bien. Je pense écrire des chansons qu'elle peut chanter parfaitement, une fois elle m'a dit que je lui permettais de donner le meilleur d'elle-même donc...
Ju de Melon : Sera-t-elle avec le groupe à Paris le 10 octobre prochain ?
Danny Cavanagh : Oui, tout à fait.
Ju de Melon : Vous jouerez d'ailleurs avec Anneke van Giersbergen (ex-The Gathering, Agua de Annique) en première partie, fera-t-elle quelques apparitions avec Anathema ?
Danny Cavanagh : Anneke est une véritable amie, très proche du groupe. Mais non, je ne pense pas qu'elle viendra sur scène avec nous vu que Lee sera là. Elle jouera son set tranquillement avant nous et peut-être que je la rejoindrai sur une chanson, ça reste à voir...
Ju de Melon : 20 ans de carrière désormais, est-ce que selon toi la musique t'a rendu "meilleur" ou t'as un peu "sauvé la vie" d'une certaine façon ?
Danny Cavanagh : La musique a clairement changé ma vie, elle a eu fort impact sur mon existence. Mais ce qui a le plus fait la différence dans ma vie c'est d'avoir ces gens autour de moi, que ce soit Vinnie et les autres... C'est ça qui me fait vivre pleinement, qui me rend heureux. Encore plus que la musique. Bien sûr, la musique est un vrai plus, un soutien cathartique... mais être avec ces mecs, c'est ça qui importe le plus.
Ju de Melon : Quelques mots sur la tournée, elle s'annonce longue...
Danny Cavanagh : Oui, elle sera longue, mais c'est génial. J'espère que ce sera la meilleure tournée qu'on n'ait jamais faite ! En espérant partager un maximum avec les fans.
Ju de Melon : Une quetsion importante... Penses-tu qu'il faudra attendre encore de longues années avant le futur album du groupe ?
Danny Cavanagh : Oh non, certainement pas, les fans peuvent être rassurés. A vrai dire je me sens déjà prêt pour un prochain opus... Ce sera dur de faire mieux mais je pense que nous y arriverons, ou au moins j'espère qu'il sera aussi bon. Sûrement quelque peu différent mais aussi bon ! Et avec, je le souhaite, une production encore meilleure... Si tout va bien, tout le monde sera agréablement surpris, et les gens diront "wow, ils l'ont encore fait"... voilà ce que j'espère ! "Shit, they did it again!"
Ju de Melon : Question amusante à présent car la réponse est sous mes yeux [Je montre le lecteur mp3 de Danny toujours en plein ABBA]... As-tu du temps pour écouter de la musique hors Anathema ?
Danny Cavanagh : Oui, comme tu vois (rires) ! Je ne me déplace jamais sans musique et j'en mets partout... J'écoute beaucoup de trucs des années 80, de ABBA à Dire Straits en passant par U2 et la pop de l'époque.
Ju de Melon : Quelques découvertes récentes qui t'ont bien accroché ?
Danny Cavanagh : Pas vraiment. Vinnie pourrait t'en dire plus à ce sujet car il écoute beaucoup de nouvelles musiques, plus que moi c'est certain.
Ju de Melon : As-tu quelques groupes ou artistes français préférés ?
Danny Cavanagh : Là encore Vinnie pourrait t'en citer plein, quant à moi je peux te dire Yann Tiersen par exemple... Sophie Marceau (rires) et l'actrice qui a joué Amélie Poulain, Audrey Tautou. Je l'adore !
Ju de Melon : Peut-être que Yann Tiersen serait attiré par la musique d'Anathema, as-tu déjà eu des contacts avec lui ?
Danny Cavanagh : Non, mais j'adorerais ! Je serais heureux de lui offrir l'album par exemple.
Ju de Melon : Vous avez tourné avec Demians aussi, le projet prog de Nicolas Chapel qui aime beaucoup Anathema d'ailleurs...
Danny Cavanagh : Oh, ça c'est cool à savoir, en tout cas je m'en souviens oui et c'était un moment très sympa. J'espère que nous re-tournerons avec lui dans le futur !
Ju de Melon : Quelques derniers mots pour les fans français d'Anathema ? La France adore Anathema visiblement...
Danny Cavanagh : Et j'adore la France, Paris est probablement une de mes villes préférées.
Ju de Melon : Tu parles un peu français ?
Danny Cavanagh : "Un petit peu" [en français dans le texte]... mais pas beaucoup !
Ju de Melon : Merci pour cette entrevue Danny et bonne chance pour la suite !
Danny Cavanagh : "Merci, c'était gentil" [en français dans le texte], à la prochaine !
"We're Here Because We're Here", sorti le 31 mai chez Kscope, est donc quelque peu à l'image de son maître à penser : profond et parfois dur à comprendre, mais terriblement passionnant. Anathema est décidément un groupe à découvrir ou à redécouvrir...
A voir aussi :
- Anathema sur La Grosse Radio
- Chronique de l'album "We're Here Because We're Here"