Mathias Malzieu (Dionysos) présente son label

Mathias Malzieu, le leader du groupe Dionysos, nous présente son nouveau label, Eggman Records, en se prêtant au jeu de l’interview téléphonique dès la sortie de Mini Western avec des Surprises, vinyle de Spoken Word, qu’il a enregistré dans son fauteuil en forme d’œuf.

Mais avant de découvrir les généreuses réponses qu’il a offertes à nos questions, voici un petit tour du propriétaire :

Bonjour Mathias, la première question qu’on a envie de te poser bien sûr c’est : es-tu dans ton œuf pour répondre à cette interview ?

Ecoute, oui ! Pas encore mais quasiment… Voilà, j’y suis maintenant !

Super. Peux-tu nous présenter ce nouveau label, Eggman Records ? C’est un label de « Spoken Word », c’est bien ça l’idée ?

Ouais, en fait j’ai plusieurs passions qui ont toutes un point commun finalement, c’est le « Do it yourself ». Que ce soit l’art brut, la musique, tout ce qui est fait « maison », les films d’animation faits avec deux bouts de ficelle, enfin le côté bricolage, ça m’a toujours vraiment passionné et on a toujours essayé de défendre ça avec Dionysos.

Et là, quand j’ai acheté cet œuf, uniquement pour de la déco au départ, en fait je me suis aperçu qu’au-delà du côté fun du look, j’étais super bien dedans donc je me suis mis à écrire, à chanter, à jouer du ukulélé à l’intérieur et je me suis rendu compte que le son était génial parce que c’est tout capitonné, il y a une espèce de douceur et de rondeur du son et je me suis dit « mais il faut enregistrer dans cet œuf, c’est rigolo ! ».
Alors évidemment, tu ne vas pas faire entrer une batterie et un orchestre symphonique mais pour tout ce qui est des voix et des petits instruments il y a un côté presque cabine speak de studio, en un peu étrange. J'ai pensé que pour des lectures ce serait vraiment génial.

J’ai commencé à y lire mes textes, puis des copains sont venus, on a fait des goûters, du banjo dedans, les copines ont fait quelques lectures… Et je me suis dit « pourquoi ne pas faire un label avec de la musique enregistrée uniquement dans l’œuf, à base de Spoken Word », les chansons ne sont pas interdites mais on n’allait pas faire un label supplémentaire de vinyles, plutôt assumer la singularité du truc où les gens viendraient lire et/ou chanter en s’accompagnant et tout enregistrer dedans.

Qui crée tes jolis vinyles ?

C’est un prestataire qui s’appelle Conflikt Arts avec lequel on peut fabriquer les disques et on s’est dit que l’œuf étant rouge et blanc, tous les vinyles Eggman seront blancs avec le centre rouge.

Dis nous-en plus sur l’esprit du label.

En fait, c’est un principe associatif, c'est-à-dire que l’argent qu’on gagne est réinvesti dans l’asso uniquement pour le label et je préfère sortir beaucoup de disques à peu d’exemplaires qu’essayer de faire des coûts. Mon but c’est de loger à la même enseigne Matthieu Chedid et ma pharmacienne. C’est ça qui est cool. Tout le monde vient dans l’œuf et sur le 33tours qui vient de sortir, il y a à la fois mon médecin, Carmen Maria Vega, Clémence Poésy, des gens qui ne sont pas connus du tout mais dont j’aime la voix tout simplement et avec qui j’ai un feeling, qu’ils soient artistes ou pas.

Quand les gens viennent dans l’œuf, ça les fait marrer. Du coup ça décomplexe beaucoup la prise de son, il y a un côté un peu loufoque, rien que de s’asseoir dedans, les gens sourient, on est comme dans une espèce de cabane et en même temps c’est confortable. Pour faire des prises de son c’est super parce que c’est dans mon appart donc ce n’est pas un contexte de studio, on fait des crêpes, des goûters, on pose les micros et si on veut rajouter un petit instrument « tiens il y a ça », « on va enregistrer le son du gramophone », « on va lire dessus », enfin tout est spontané, dans un esprit « polaroid musical », je le vois vraiment comme ça.

Avant on enregistrait sur des cassettes, à la maison… Ou il y a des choses comme Lomographie en photo où il est conseillé de tenter plein d’expérimentations pour arriver à des résultats vraiment singuliers, ou Possible Project aussi qui fait du polaroid… C’est cet esprit-là finalement Eggman Records, en version musique, et le Spoken Word s’y prête bien pour le côté intime. C’est sûr que je ne vais pas produire dans l’œuf des groupes de garage, rock, punk, ça s’y prête moins.

Mais c’est aussi un vieux fantasme parce que j’ai eu la chance de faire des concerts-lectures avec mes bouquins, j’adore chanter mais j’aime aussi dire des textes, l’interprétation est complètement fragile, tu racontes une histoire, les gens ne peuvent pas s’appuyer sur une mélodie. C’est un autre rapport avec le public et les gens qui écoutent. J’aime bien l’idée de « musique qui se mange ». Comme un DVD, tu ne vas peut-être pas mettre le disque 40 fois, tu vas l’écouter de temps en temps et surtout tu gardes l’objet.

Donc les disques Eggman seront disponibles sous forme de vinyles uniquement ?

Le 45tours du Mini Western vient de sortir et le 33 sortira mi-janvier. Mais on n’a pas voulu être excluant. Grâce à Believe ce sera disponible en digital quand-même, parce que, sans rien prétendre - je sais bien que ce sont des petits disques de lectures faits à la maison - ce n’est pas avec ça que j’entends vendre des milliers de disques mais je voulais que ce soit accessible pour les gens qui aiment bien l’idée mais qui n’ont pas de platine.

Qui pourra enregistrer sur ce nouvel label ?

Mon but c’est surtout de produire d’autres artistes et il y a déjà de jolis projets qui arrivent : pour commencer, un disque de la chanteuse Lise. On avait fait un duo ensemble, c’est quelqu’un de charmant que je défends beaucoup. Donc là ce sera vraiment son propre disque.

Et j’ai envie d’aller là-dedans, pour les gens qui ont une petite notoriété, avoir la possibilité de faire des choses à très peu d’exemplaires mais se faire vraiment plaisir sur les objets, avoir quelque chose qui peut servir de démo, etc…

Par exemple, on ne prend pas les éditions, si les gens viennent enregistrer chez nous une version de leur chanson, même si c’est sur un album qu’après ils veulent signer et qu’ils refont la chanson autrement, ils ne sont pas emmerdés. Le contrat c’est une espèce de formalité toute simple où tout le monde est bénévole et nous on déclare juste les trucs à la SACEM pour être clean mais comme ça on peut avoir des gens comme Matthieu Chedid ou comme ma pharmacienne…

Mon principal projet ça reste Dionysos mais ça, ce sera à côté, un petit canot de sauvetage, quelque chose de ludique et marrant, où on essaye des sons, des choses, où on voit les gens se mélanger de façon improbable. Du coup mon appart est devenu mon atelier et mon bureau aussi…

Maintenant il y a des sièges de cinéma, j’ai fait des étagères avec des skates, il y a un gramophone, ça devient vraiment un petit studio surréaliste et rigolo. Et que j’invite quelqu’un qui n’a jamais enregistré un truc mais dont j’aime bien la voix ou la façon qu’elle a de parler jusqu’à une Carmen Maria Vega, ça fait marrer tout le monde. Et ce n’est pas parce que tu fais marrer que tu fais n’importe quoi. Ca installe dans un truc un peu studieux aussi, un peu tendre, créatif, que moi j’aime.

Prochaine étape : fabriquer toi-même les vinyles Eggman ?

Oui, à terme, j’aimerais acheter une machine qui me permette de graver les vinyles un par un. Ca coûte un peu cher et je n’ai pas la place d’avoir une machine qui permette d’en faire beaucoup. Mais par exemple, il y a deux jours, je chantais la chanson du partisan de Léonard Cohen, pour le plaisir, comme ça, parce que j’adore cette chanson et si j’avais eu des trucs à dispo, je l’aurais enregistrée et j’en aurais sorti juste 10 exemplaires. Tu vois, pouvoir faire de temps en temps un disque comme on ferait un pola.

On pourrait même faire des chasses au trésor tu sais, aller en planquer un et mettre des indices, dans l’esprit de se faire des cadeaux.

Et, sans prétention aucune, dans l’idée de re-sacraliser l’objet disque aussi. Moi j’adore ça. Même si je suis abonné à Deezer et que je suis content de télécharger des trucs sur iTunes, l’un n’existe pas sans l’autre pour moi. Ce n’est pas parce qu’on passe au tout numérique qu’il faut oublier le charme et le rapport à l’objet. Un livre, un disque, un objet, ça vit. Moi j’ai encore besoin de ça.
Je ne suis pas réfractaire aux nouvelles technologies, j’ai même travaillé sur une appli pour iPad et iPhone avec des illustrations animées et de la musique, j’aime bien cette dualité.

Combien de temps s’est écoulé entre l’idée de ce concept de label dans l’œuf et la mise en œuvre ?
 

  • Le siège, je me le suis procuré au mois de mars.
  • Au mois de mai, on enregistrait le premier 45tours donc l’idée a dû arriver début mai.
  • Fin juin, on signait les statuts de l’association Eggman Records.
  • Et on a lancé la fabrication du premier 45tours en plein mois d’août, après avoir cherché les gens qui allaient le faire à peu d’exemplaires et donc là, on a en place une e-boutique sur laquelle on peut trouver les produits Eggman Records et les commander : eggmanrecords.com

Je t’ai entendu dire que les gens qui sont rentrés dans ton œuf sont généralement gourmands, curieux et marrants. Le concept de base ne serait-il pas simplement de « rester enfant » ?

Oui ! De toute façon, dans tout ce que je fais il y a une dimension comme ça. En fait, ce n’est pas exactement « rester enfant » parce que ça c’est le concept de Peter Pan, de ne pas vouloir grandir. Moi je suis très bien avec mon âge d’adulte, je n’ai pas envie d’avoir 8 ans à nouveau mais par contre la spontanéité, la part d’instinctif, la capacité d’émerveillement aussi et le côté brut quand on n’est pas encore marqué socialement et qu’on peut être joyeux, puis cruel, puis triste, puis en colère, c’est un truc qui m’intéresse énormément.

D’ailleurs les artistes et les être humains dont je me sens le plus proche ont cette dimension-là. Ca va de Charlie Chaplin à Tom Waits en passant par Bjork, ils jouent, ils s’amusent.
Alors, quand on parle d’univers enfantin, les gens s’imaginent que c’est un peu rose ou un peu régressif, c’est assez souvent le package facile, l’a priori qu’ont les gens qui sont devenus un petit peu trop adultes…
Alors que pas forcément, parce que c’est aussi une mise à nu que de retourner à ces connexions-là. Quand on est petit, on joue tout le temps et on ne se prend pas au sérieux ! On fait les choses sérieusement parce qu’on va se prendre pour un cowboy ou un indien, mais c’est de l’ordre du très instinctif et c’est ce que j’aime le plus dans la création finalement.

Le rêve, pour moi, fait partie de la réalité ! On rêve tous les soirs quand on dort, on rêve toute la journée quand on pense… Penser c’est réfléchir, avec un côté plus pragmatique que quand on est enfant. Enfant, le rêve est plus étrange ou en tout cas plus éloigné de ce qui est censé être raisonnable mais pour moi ce n’est pas un truc complètement fou, bizarroïde et tordu que de considérer la rêverie et l’instinct. Pour moi c’est un truc normal et ça fait du bien à tout le monde à mon avis ! Que le mec soit comptable ou premier violon ou écrivain...

Après c’est des dosages. Les gens qui ne sont que dans le rêve et qui se déconnectent de la réalité ça s’appelle des autistes… Mais à bonne dose…
Je trouve qu’on vit quand-même dans un monde où il y a une agressivité, un cynisme aussi, qui fait que celui qui rêve est un petit peu le paumé… Non !! Moi je milite pour le rêve ! C’est souvent vu comme quelque chose de doux alors que ça peut être très intense, quelque chose qui booste la réalité…

Comment se passent les enregistrements chez Eggman Records ? Est-ce que les gens ont carte blanche ou est-ce que tu supervises, quitte à dire quand ça ne va pas ?

J’interviens peu. Je suis à côté, un copain vient avec des micros, on n’a pas encore trouvé le moyen pour que l’œuf soit autonome avec des micros accrochés et que ça reste à la fois joli, donc pour l’instant, je suis à côté…

Comme quand j’ai dirigé les voix sur Jack et la mécanique du cœur… J’ai appris de cette expérience qu’il ne faut pas tout dire aux gens, les mecs tu les embrouilles. Donc à partir du moment où tu fais un casting, que tu as choisi les gens, c’est que tu les aimes en fait. Tu aimes ce qu’ils sont censés donner. Donc il faut laisser les gens faire et, après, ajuster…

Je n’ai pas pris des comédiens, tout se fait comme je te le disais, à l’instinct, il n’y a pas de jeu, il y a juste des émotions. Moi j’essaye de perturber le truc le moins possible et par moment j’équalise, c’est tout. L’invitation fait vraiment office de direction artistique en fait.

Parle-nous des instruments qu’on peut entendre sur le mini-western, derrière les textes…

C’est Kim Giani qui a fait la musique improvisée. Les copines sont venues faire des lectures et on a ajouté la musique ensuite. Il y a un banjo sur tous les textes des filles. Et sur tous les textes lus par moi, il y a un instrument qui s’appelle un omnichord, genre de harpe électronique assez marrante qui a des sons assez charmants et décalés, tu frottes le pavé numérique avec ta main, ça fait des sons de jouets des années 80 un peu, pas un son de clavier sérieux.

Après dans le 33 tours, il y a beaucoup plus de conneries : du thérémine, du tenori-on (instrument qui fait des rythmes et des mélodies en même temps, ça fait des sons lunaires, y en a sur des albums de Bjork et Lise en a joué aussi sur le disque), moi j’ai ajouté un peu de guitare acoustique et de ukulélé, du piano joué, du mellotron, du glockenspiel, il y a des chœurs, des petites clochettes aussi, Babet est venue faire du violon… Donc il y a plus de bordel dans le 33 parce qu’il avait plus besoin de climat. Le 45 c’est des histoires courtes issues de mon premier recueil de nouvel + des petits inédits érotico-gourmands, traités avec très peu d’instruments, formule courte, la musique fonctionne un peu comme de la ponctuation. Alors que le 33, comme c’est le début d’un roman que je suis en train d’écrire, les gens lisent plus longtemps et les climats s’installent plus. Du coup, l’instrumentation avait besoin d’être plus cinématographique.

Sur le disque de Lise qui sortira en février pour la Saint Valentin, c’est un mélange entre les deux. Il y a des arrangements, du violoncelle, mais aussi des petits textes lus, courts et d’ailleurs le format est entre les deux, ce sera un 25 cm qui va être super beau. Je lui ai fait tricoter une face, en blanc et rouge, le fameux truc d’Eggman, elle a fait un cœur tricoté, on a scanné ça et c’est ce qui sera directement sur le disque. Ca va être un objet marrant et il est peut-être question qu’on en fasse quelques uns en chocolat aussi…

Tu parlais de ces textes érotico-gourmands, fatalement ça nous fait penser à l’univers dans lequel on t’a connu au départ avec Dionysos, à savoir, quelque chose de rock. Même quand il s’agit de lectures, avec toi, c’est rock’n’roll…

Ah ouais, ben ouais !
Le rock’n’roll pour moi, ça n’a jamais été une histoire de décibels.
Pour moi Léonard Cohen est tout à fait rock’n’roll. Plus que Metallica quoi ! C’est le risque le rock’n’roll, c’est l’aventure. Et pour moi, Eggman, c’est un projet aventureux. On s’attend à des choses avec du magique et un peu tendre peut-être… Mais le côté érotique c’est parce que j’aime bien qu’il y ait un peu de surprise ! Le livre s’appelait Mini western avec des fantômes, le disque c’est Mini western avec des surprises, justement parce qu’on ne s’y attendait pas et que par moments ça envoie un peu au niveau du contenu (rire).

Bon, le but ce n’est pas de faire de la pornographie mais de titiller, de surprendre.
J’en ai écrit beaucoup des petits poèmes comme ça il y a maintenant une dizaine d’années. Certains sont utilisés dans un roman mais j’en avais écrit beaucoup plus pour mieux cerner mon personnage, sans avoir besoin de les utiliser. Du coup j’en ai plein !

Et j’aime bien, je trouve que c’est un exercice rigolo parce que si tu te prends au sérieux avec l’érotisme, c’est d’une ringardise absolue ou alors il faut être d’une sensualité bestiale. Si t’es parodique, ça n’a aucun intérêt. Et si t’es vulgaire, t’es vulgaire, donc on s’en fout, ce n’est pas le but. Avec l’humour, le décalage, mais pas la parodie, il y a un vrai truc quand-même, donc c’est ce que j’essaye de faire avec ces petits poèmes là.

Mathias Malzieu Eggman Records

Tu as un univers très identifiable, qui prend pourtant de nombreuses formes, la musique, l’écriture, l’adaptation de Jack et la mécanique du cœur en film d’animation, les romans, les poèmes, tout ça reste très cohérent, parle-nous de cet univers si tu veux bien…

La cohésion est là par le désir. Ce n’est pas créé en pensant à un concept. Je fais les choses et ensuite je les connecte par le désir, mais tout reste spontané. D’abord j’ai fait des chansons, puis j’ai eu besoin d’en faire des nouvelles. Et dans les nouvelles il y a des personnages dont j’ai fait des chansons. Tout est arrivé par désir et par appétit. Là encore, par gourmandise…

Enfin la première fois, c’est quand j’ai perdu ma mère et que je me suis inventé cet ami imaginaire de 4m50, Giant Jack, ça a été un déclencheur important parce que j’ai aimé la magie de surprise qu’il y avait là dedans. Ca a été un révélateur. Ca m’a donné de l’élan pour le bouquin, la chanson que j’ai écrite presque avec une vision cinématographique du truc, donc tout s’est aligné... J’ai rencontré un horloger par hasard un jour, sur un concert, puis quelques mois plus tard je suis allé chez lui parce que j’ai eu envie de l’entendre cette mécanique du cœur et là j’ai trouvé ça super et j’ai eu envie de l’enregistrer pour en faire des éléments rythmiques. On est venu toute une nuit avec Mike, le guitariste du groupe, l’horloger génial nous a ouvert sa boutique toute une nuit pour pas qu’il y ait de bruit avec les bagnoles et on a enregistré tout ce qu’il nous passait sous la main et ces sons ont servi à l’album de la mécanique, à la tournée qui a suivi et au film aussi !

Mais je ne l’avais pas pensé avant, je ne me suis pas posé un jour à mon bureau pour me dire « alors on va faire un livre, y aura la bande originale, y aura des invités, puis après ce sera comme un film et y aura peut-être un film d’ailleurs », ça c’est venu dans l’aventure.

A la base il y a juste une démarche du groupe, aventureuse. Mais il y a plein de gens, quand tu leur dis « je vais enregistrer un album avec des sons d’horloge », ils te regardent de travers en disant « Ah ouais ? Pourquoi ? Tu ne veux pas mettre des guitares normales et des batteries plutôt ? ».
Mais on y est allés à fond quand-même.

Après il y a eu un très très long travail sur le film, qui a pris 6 ans, avec 150 graphistes.
Au milieu, il y a eu Bird'n'Roll, retour au rock’n’roll, on avait besoin de ça et pareil là, il s’est créé des trucs qu’on n’avait pas prévus à la base, une danse mi-rock, mi-oiseau… Tout ça part donc vraiment du désir, du goût de l’aventure, d’essayer de sortir de sa zone de confort et de ne pas faire juste ce qu’on sait faire, essayer des trucs, comme un petit savant fou, au sens tendre du terme.

Il y a aussi le regard. Une vision. J’ai eu ce regard de me dire « pourquoi pas ? »
Pour Eggman c’est pareil, quand j’en parlais aux gens, ils me disaient « Attends tu vas enregistrer dans un siège œuf ?? Avec tes vinyles ?? De lecture ?? T’es sûr ??? »
- Oui oui oui.
Après je ne dis pas que je ne me trompe jamais, je me trompe tout le temps ! Mais je tente, j’essaye… Des fois quand tu te trompes, il y a un accident poétique qui se crée. Du coup tu t’en sers. Et j’adore fonctionner comme ça dans l’absolu. Et Eggman c’est une bonne coquille de protection pour fonctionner comme ça.

Et aussi bien sur le film que sur une grosse tournée de concerts, avec des camions, du matos, il y a une grosse lourdeur logistique, c’est des gros bateaux et des fois, repartir avec son petit voilier, c’est aussi intéressant ! Parce que c’est de là que je viens… Ce qui m’a passionné dans ma chambre c’est à la fois le folk et le punk rock débrouillard, tous ces trucs qui étaient un peu des pieds de nez. Pas des virtuoses, des gens qui ont étudié, des experts, c’est un peu des azimutés, ce n’est pas pour autant que tu ne travailles pas, mais tu travailles sur des chemins un peu parallèles.

Si tu veux bien, terminons cette interview sur un petit jeu. Je te dis un mot (choisi en rapport avec ton univers) et sans trop réfléchir, tu me dis ce qu’il t’évoque…

1. OISEAU
Liberté magique, je dirais…

2. NID
Ce à quoi je voudrais que ressemble ma maison.

3. ROCK
L’adrénaline et la passion.

4. ROUGE
C’est peut-être ma couleur préférée… Parce que c’est à la fois l’amour, le rouge à lèvres, c’est la couleur de l’excitation et donc quelque part, de l’aventure… J’en porte assez peu mais chez moi il y a beaucoup de choses très rouges. C’est une couleur qui me stimule.

5. AMIS
La famille…
Pour moi c’est au même niveau.
Par exemple le groupe, on est ensemble depuis 21 ans ! C’est la même équipe depuis le début. C’est une espèce de bateau pirate, lui aussi un peu improbable mais pour moi vital. C’est la base de tout. C’est l’amour aussi. L’amitié ça fait partie du don, du partage et j’ai un besoin de ça. Je peux être très solitaire aussi mais j’ai de vrais amis, importants. Des fois on ne les voit pas souvent, mais quand on les retrouve, il n’y a rien qui a changé. Eggman c’est ça aussi, faire ça avec les copains.

6. SUCRERIE
Je suis très gourmand… J’aime énormément le chocolat. Je ne suis pas très gâteau mais un bon chocolat…
D’ailleurs, dans le dernier roman, il y a un inventeur qui crée un chocolat qui permet d’embrasser à distance. Et au concert de Dionysos à l’Olympia, il y a un chocolatier qui vient me voir pour me faire goûter ses chocolats. Donc je lui dis que dans mon dernier roman il y a cet inventeur et ce chocolat qui permet d’embrasser à distance. Je lui demande « vous ne voulez pas le faire ? ». Il me dit « mais si, c’est une idée géniale ! ». Du coup je lui ai envoyé des passages du bouquin puis on a fait la ganache ensemble, on a décuit le caramel, on a fait des expériences et tout, pour avoir l’onctuosité de la langue avec le caramel décuit, le côté explosif d’un bisou avec une bille de meringue à l’intérieur et j’ai sorti le livre avec le chocolat. Pas dedans, pour des raisons de conditionnement, mais sur tous les concerts-lectures que j’avais, je partais avec environ 200 chocolats pour tous les gens qui venaient se faire signer un truc. Tu vois c’est un bon exemple, ça revient à ce qu’on disait tout à l’heure, on n’a pas pensé à un concept dès le départ, c’est juste rebondir sur une idée et s’en servir.
Et donc oui, je ne vais pas me gaver toute la journée de sucre mais c’est vraiment un plaisir que de manger du chocolat.

7. PLUME
Pour moi, c’est la carapace. Je pars du principe que quand on se met des carapaces, qu’on se protège de quelque chose, c’est qu’on est super fragile. Pour moi, c’est un aveu de fragilité de se sur-défendre. Donc les plumes c’est ce symbole là, comme un truc pour se protéger, c’est beau mais complètement fragile. Moi ma carapace je l’exprime comme ça. Ce n’est pas une carapace de tortue, ce sont les plumes. Je n’en suis pas à vouloir me transformer en oiseau, en ce personnage, ce n’est pas juste une mystification, c’est des symboles en fait.
C’est un rapport à la douceur et à la fragilité.

8. POESIE
Ce qui devrait régir le monde.
Dans le livre que j’écris, les personnages fondent un « parti poétique ».

Eggman aussi, c’était ça dans l’esprit. Pour moi la poésie c’est pas juste des vers, des mots, c’est un positionnement face à la vie, qui connecte un petit peu par rapport à tout ce qu’on s’est dit par rapport à l’enfance. Etre instinctif, prendre des risques, être aventureux, c’est poétique. On pourrait dire c’est romantique mais pour moi, c’est poétique. Et pareil que pour les clichés sur ce qui est enfantin, si tu parles de poésie, souvent les gens pensent que soit tu te prends au sérieux, soit ça va être méga chiant : le poète des siècles derniers qui s’écoute… Alors qu’en fait la poésie peut être justement rock’n’roll. Elle peut être populaire. Avant les livres, les vieux venaient raconter des histoires aux jeunes, se faisaient passer des secrets, avant même qu’il y ait des bouquins ou de quoi graver des mots. La poésie c’est ça, j’aimerais qu’il y en ait plus. C’est un positionnement qui fait du bien. Sans faire le baba cool à deux balles dans sa bulle, il n’y a pas de problèmes, je suis en contact avec la réalité, et parfois des réalités difficiles, mais justement !

J’ai un bon exemple de quelque chose que je trouve très poétique et pourtant qui est un peu dur, c’est un artiste d’art brut, Emile Ratier, qui était menuisier et qui a perdu la vue donc il ne pouvait plus travailler, enfin c’est ce qu’on croyait. En fait, on a trouvé plusieurs années après sa mort des mobiles à oiseaux en bois taillé et des trains. Et ils sont bouleversants ! Parce qu’il n’y voit pas et il y a des accidents de marteaux ou de scie et en même temps les trucs on dirait qu’ils sont vivants ! C’est hallucinant. Ca, pour moi, c’est de la poésie ! Il a perdu sa vue et il n’a plus eu de commande parce qu’on ne lui a plus fait confiance pour faire des meubles et des portes et, pour rester lui-même, il a fait des trains et des mobiles à oiseaux.
Pour moi c’est plus poétique que des couchers de soleil ou de citer un poète du XVIIème siècle.
Ca peut sauver énormément de choses.
La poésie peut être partout. Dans des romans, dans certains films, dans une rencontre, dans Gaudi à Barcelone, c’est la même intensité que de lire un poème de Rimbaud.

9. FILLES
Ah les filles, c’est compliqué…
Mais c’est le moteur ultime de tout ce qu’on s’est dit. Le moteur de la poésie, de l’amitié, c’est le nid, c’est la mère (en l’occurrence, moi je ne l’ai plus), mais donc oui en général, mois je suis complètement fasciné par les filles. Il n’y a pas mieux, on ne trouvera pas un meilleur sujet (rire).

Il y a un film que j’adore de Truffaut qui s’appelle L’homme qui aimait les femmes et il dit : « Les jambes de femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie. »

Et puis, c’est sans doute le côté créatif, mais j’ai un côté féminin aussi, même si je suis un mec bien assumé, je m’entends bien avec les filles, autant qu’avec les garçons. Et par exemple, quand Babet est arrivée, au-delà de son talent, ça a amené de la féminité dans le groupe, un équilibre…

C’est peut-être purement esthétique mais j’aime beaucoup l’univers des pin-up des années 50 aussi, le côté burlesque, à la fois cette sensualité et ce jeu (on y revient), il y a un érotisme très fort mais qui ne se prend pas au sérieux.

10. TEMPS
Ah oui… Effectivement, tu as bien ciblé…
Ben le temps, c’est le truc le plus magique et le plus angoissant en même temps.
J’ai un rapport au temps particulier parce que je ne m’ennuie jamais. Même quand j’ai des choses à faire qui ne me plaisent pas, comme tout le monde, le temps passe extrêmement vite.

J’ai 40 ans, j’ai perdu ma mère depuis 10 ans, j’ai le groupe depuis 20 ans et waow, c’est vrai qu’il y a un côté à la fois génial d’élan et en même temps ça fait un peu flipper parce que je n’ai pas de prise. Dans ma tête je me vois encore au début du groupe, faire les chansons dans ma chambre, avec ma folk et c’était il y a 18 ans quoi ! Et donc le temps ça me fascine complètement. Pour moi, quand on dit « gagner du temps », ce n’est pas « ne pas faire un truc », c’est « faire un truc qu’on aime tellement ». Et j’ai la chance de travailler à mon rêve, comme disait Brel, tous les jours. Donc je gagne du temps.
Mais par contre c’est une machine qui va très très vite. C’est ce que je fais dire au personnage dans « Cloudman », qu’il est comme une toupie de chair et de sang et pour qu’il tienne debout, il faut qu’il reste en mouvements, et moi j’ai un peu le même problème quoi…

Donc le vide, l’arrêt au stand, je ne gère pas très bien…

Depuis toujours ou particulièrement depuis 10 ans ?

Effectivement… Enfin j’ai toujours été très actif, même enfant, mais je suis devenu boulimique dans le sens qu’il faut toujours que je fasse quelque chose, parce que c’est ma façon de réagir et de continuer d’exister. Si un jour on me coupe la possibilité d’être créatif, là ouille, je ne sais pas comment je m’en sors… Et le temps veut dire tout ça, pour moi.

Ca m’amène à un mot supplémentaire du coup, pas très joyeux…
11. MORT

C’est un truc auquel on aimerait pouvoir dire non. Mais on est obligé de s’y intéresser quand on est passionné par la vie. J’aime tellement la vie que la menace de la mort est un ennemi, je ne peux pas faire de déni par rapport à ça. Je n’y pense pas toute la journée du tout, mais c’est quand-même un truc qui est présent, pour mieux le garder à distance. J’ai pas besoin d’y aller, je n’ai jamais eu de délire de mort, ça ne m’a jamais fasciné, mais par contre je suis tellement fasciné par la vie et les infimes possibilités que ça en est l’obstacle et t’es obligé de le regarder. J’ai une espèce de garde par rapport à ça qui est présente et qui a pris une autre dimension quand j’ai perdu ma mère, évidemment… C’est des marqueurs qui ne s’effacent pas bien.

Mais on est faits de souvenirs. On n’est même que ça. Le souvenir c’est notre base et on a toujours accès à ça. Donc la perte d’un proche, ce n’est pas juste une fin. En pensées et en symbole et dans ce que je suis aujourd’hui, elle continue de compter, elle continue d’être présente.

Pour conclure, on a vu ce que tu es capable de faire dans l’œuf alors on se demande bien ce que l’éclosion nous réserve…

Ben écoute, il y a pas mal de petites éclosions rogolotes qui se préparent (-:
On est en train de travailler sur un nouvel album du groupe, j’ai composé toutes les chansons et on est en train de les arranger avec le groupe, il y a un ton assez neuf, il y a des choses assez surprenantes et je suis vraiment content de ça.

J’ai un livre qui est fini en premier jet et un 2ème qui est en cours.

Et en même temps j’adapte les derniers romans aussi en script. Mais je ne me mets pas de pression sur les dates de sortie. J’ai pas mal couru ces 6 dernières années à vouloir faire la tournée, le bouquin et en même temps aller à Bruxelles et en Normandie pour le film et ça a été tendu quand-même des fois, il faut le dire. Et là j’ai envie de prendre les choses un petit peu plus en douceur. Je veux qu’on ait le temps d’expérimenter des choses.

J’ai fait aussi un petit conte de Noël pour le journal Sud-Ouest et Joann Sfar est venu la semaine dernière pour me faire les illustrations. C’est très beau ce qu’il a fait.
Regarde Grand Vampire et Le Bestiaire Amoureux, c’est dément. Très drôle, le vampire qui écoute Jacques Prévert, qui se fout de la gueule des mecs qui écoutent du métal, qui fait attention quand il mord parce qu’il ne veut pas faire mal aux filles, il y a une verve à la Woody Allen mais dans un monde surnaturel, c’est super bien.

Merci Mathias.

Flora Doin



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