Depuis le dernier album de Lagwagon en 2005, on se demandait quelles étaient les rumeurs les plus probables : celles d’un nouveau disque, ou celles d’une séparation du groupe - la faute au départ d’un des fondateurs, le bassiste Jessy Buglione, en 2010, et à différents projets annexes du chanteur Joey Cape. Lagwagon est pourtant un groupe emblématique de la vague skate punk ; avec une carrière démarrée en 1990, la signature chez Fat Wreck Chords en 1992 (label fondé par Fat Mike, des célèbres NOFX), plusieurs albums, et de belles virées internationales les années suivantes, on avait envie de croire à la première hypothèse.
Le groupe ayant toujours défendu une musique de qualité, il était également probable qu’un album verrait le jour si et seulement si l’inspiration avait le bon goût de pointer son nez ; revenir après neuf ans de silence (hormis un EP assez peu remarqué) n’était pas non plus anodin, malgré le capital crédibilité dont le groupe a toujours disposé. Les fans ont finalement pu se rassurer avec l’arrivée en octobre dernier de Hang, 8e album du groupe, toujours sur le même label, et avec un nouveau bassiste.
Et alors, me direz-vous, il vaut quoi le nouveau Lagwagon ? En fait, l’introduction acoustique et la première chanson, plutôt convaincantes mais légèrement convenues, ne laissent pas complètement présager de la qualité de la suite, car l’album dans son ensemble est véritablement excellent, et prend son sens dans la longueur.
Il est courant dans les présentations de presse de lire que le groupe Machin sort un nouvel album «plus profond», «plein de maturité», expressions toutes faites dont le vernis ne résiste pas dans la majorité des cas à quelques secondes d’écoute. Chez Lagwagon, c’est plutôt l’inverse : pas de promotion à coup de slogans tapageurs, pas d’emphase dithyrambique dans la com du label, et sur le site du groupe seulement des extraits et une liste des concerts à venir ; mais à côté de cela, un album impressionnant qui, n’ayons pas peur des mots, semble présenter le groupe à un point culminant de son histoire. Chez Lagwagon, comme qui dirait, c’est pas de la gueule, c’est du concret.
Si on retrouve des ingrédients qui ont fait la réussite du groupe par le passé, tels que des compositions mélodiques imparables, un chant impeccable, et une influence metal jamais reniée (le tubesque "Made of broken parts", "The cog in the machine", "Drag"…), on a également la plaisante surprise de découvrir des compositions particulièrement abouties, des guitares qui déchirent tout sur leur passage, un mix au top, et une sensation de générale de… maturité assez impressionnante. La veine mélodique et rythmique, l’aspect pénétrant du côté obscur de la musique de Lagwagon, ont été approfondis, et renforcent l’impact des textes que le tempo somme toute assez modéré nous instille avec efficacité. On note aussi un "Obsolete Absolute" de plus de six minutes avec des parties parlées et des riffs qui tiendraient plus du rock alternatif que de la tradition punk rock. Visiblement, le nouveau line up a trouvé un équilibre et une cohésion qui laissent augurer de concerts explosifs.
Les paroles toujours soignées de Joey Cape s’inspirent à nouveau d’une réflexion très poussée sur nos modes de vie et nos choix politiques ("Made of broken parts", "Western Settlements", "The cog in the machine"), certains drames humains (le sombre "You know me"), ou encore la critique de certaines formes de médiocrité sociale, inquiétudes d’autant plus sincères que Joey Cape a une petite fille qu’il voit grandir dans une société parfois bien violente (« Poison in the well »).
Le chanteur a malheureusement aussi été marqué par le décès en 2012 de son ami et partenaire artistique de longue date Tony Sly, chanteur du groupe No Use for a Name. La chanson « One more song » lui est dédiée, et évoque avec émotion les compositions qui ne verront jamais le jour (« a melody gone will never be heard »). On imagine que l’enregistrement a du être un moment fort en studio.
Le titre et la pochette du disque font aussi allusion à ces sombres considérations. La corde de pendaison semble répondre directement aux abeilles (image de la vie en société) que l’on retrouve en leitmotiv sur plusieurs chansons. Sur « Poison in the well » et « In your wake », Joey Cape s’inquiète de l’insensibilité et de l’égocentrisme des générations actuelles (« a fool's youth is no excuse to be an asshole » / «we say 'good riddance to their kind »). Image du désespoir et de la peur, allusion au châtiment pour ceux qui perdent leur âme dans une société injuste ? Le questionnement est réel et l’inquiétude latente, donnant à l’ensemble une profondeur émotionnelle évidente.
J’ai également trouvé la construction de l’album et l’enchaînement des chansons particulièrement percutant ; les passages les plus obscurs ou les plus introspectifs sont judicieusement amenés, à l’image des poignants "Western Settlements" ou "One more song", mais un retour vers des horizons plus positifs au moment opportun permet de garder un dynamisme général - et peut-être la volonté de dire qu’il est encore temps de se bouger pour que le monde ne finisse pas noyé sous la connerie dans l’indifférence générale.
Il est possible que certains auditeurs ne trouvent pas totalement leur compte sur cet album : ceux préférant les tempos les plus rapides du groupe ou des mix plus bruts, ceux qui s’attarderont sur les quelques redites, ou bien ceux qui l’écouteront juste pour les aspects musicaux (ce qui sera déjà un grand plaisir). Hang est un album capable de toucher beaucoup plus profondément l’auditeur qui cherche à dépasser l’écoute pour aller vers la compréhension, car Lagwagon a visiblement mis énormément de coeur et d’intelligence dans ce disque. Pour ma part, si les Lagwagon pouvaient déjà compter sur mon respect par le passé, ils peuvent aussi désormais compter sur mon admiration.
Les photos sont issues de la page facebook du groupe Lagwagon ou de leur label Fat Wreck Chords.
Site internet du groupe Lagwagon.
Note : 8,5/10