Dope Body + H.O.Z. – Espace B – 12 février 2015

Au fond du bar du même nom, la salle de l’Espace B est un petit caisson pressurisé comme on les aime. Dans un face à face bar-scène dépouillé, c’est le bathyscaphe idéal pour explorer les abysses des musiques rock indé actuelles. Ce qu’on aime plus encore, c’est la capacité du lieu à rameuter de jeunes hexagonaux talentueux comme des étoiles internationales, montantes ou confirmées.

Dans la salle quasi vide, H.O.Z. ouvre le bal avec une immédiate générosité. Le trio formé à Dunkerque donne tout, tout de suite. Sur scène, no style, aucune affectation, juste pour une vrai leçon de savoir vivre fun et hardcore. A voir la maîtrise avec laquelle le groupe de jeunes Nordistes s’est approprié le son punk US porté à ébullition, on ne s’étonne pas de lui découvrir une longévité inattendue – déjà plus d’une dizaine d’années d’exercice. Difficile de ne pas être convaincu et échauffé par leur énergie et leur enthousiasme. Il leur faudra moins d’un set, une corde pétée et quelques descentes de scène-éclair pour densifier sérieusement l’équipage du sous-marin.

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H.O.Z., ou une nouvelle bonne raison d'aimer le Nord


Le temps d’une bière en terrasse, les bribes de conversation captées sans le vouloir – sur l’histoire du rock US ou la dernière découverte des Transmusicales – ainsi qu’un bref échange avec deux charmants bobos montreuillois, suffisent pour se rappeler à quel point l’Espace B est un lieu parisien in tout en restant sympathique et familial.

Vint l’heure de Dope Body. Le quatuor de Baltimore, Maryland, formé en 2008 et signé depuis deux albums par la grosse écurie indé américaine Drag City, traîne une réputation de bête de scène. Mais étrangement, la première approche est de l’ordre de la déception. Une brève écoute de leur récent troisième album, Lifer, et l’identification de quelques influences majeures plus ou moins revendiquées – Fugazi, The Jesus Lizards, Rage Against the Machine – pouvait laisser augurer un fier esquif sonique débraillé, radical et authentique, dans la grande lignée punk.

Or, la présence scénique du groupe semble davantage tenir de la démonstration que de l’engagement. Le chanteur Andrew Laumann notamment, torse vite effeuillé, fine moustache et yeux plantés dans un horizon hypothétique, se tripote un peu trop pour être honnête. Alors d’accord : c’est carré, maîtrisé, c’est bon, tout simplement. Qu’on se le dise, Dope Body est sur scène un véritable hors-bord rock, rutilant, suréquipé. Est-ce pour autant un mal ? Nullement.

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Andrew Laumann, chanteur et moustache de proue de Dope Body


C’est en fait tout simplement le professionnalisme du groupe qui peut étonner, déconcerter – et en fin de compte, séduire. Et avant toute chose, parce que Dope Body brasse large. Depuis un premier album – Nupping – assez résolument grunge et hardcore, le groupe s’ouvre à des horizons plus divers, intègre davantage d'éléments, se présentant par moments comme un condensé encyclopédique de l’histoire du rock dur anglo-saxon. Les dissonances mordantes du post-punk nous jettent ainsi sur l’autoroute du hard rock ; et les gifles sèches, à la réverbération compressée et synthétique, deviennent préludes, dans un mariage idéalement paradoxal, aux boucles trois-accords lancées à toute berzingue, rondes et gouailleuses. Par lourds éclats, c’est le refoulé métal qui revient pour un bref salut. Ajoutons à cela le goût assuré des Baltimoriens pour la noise ; les triturations de manche s’invitent au début des morceaux, et les acmés bruitistes sont souvent au bout du crescendo, ou lors d’embardées brèves. Bref, et malgré ses détours express par les bas-côtés, la musique de Dope Body sent l’asphalte du rock américain et s’abreuve à toutes les giclées de son histoire chaude. 

Et le chanteur Laumann, qui nous avait doucement irrité de prime abord ? L’explication tombe d’elle-même. Cette gestuelle érotique et gentiment mégalo, cette énergie du showman insolent et doué… C’est le rock’n’roll lui-même qui parle, of course. Laumann, ce soir, c’était Iggy Pop, c'était Mick Jagger.

On l’aura compris, le quatuor brouille sur scène les distinctions entre violences mainstream et underground. Cette capacité à drainer des éléments expérimentaux pour les mettre au service d’une générosité directe, tripale, jouissive, est probablement leur plus grande qualité. Le voilà peut-être le mot clef, la jouissance, simple et sincère. Dope Body ne sont pas des punks : ce sont des stars du rock. On a bien mérité nos acouphènes.

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