Le premier album, sorti en 2011, ayant été le carton que l'on sait, la maison de disques met le paquet pour imposer la jolie belge. Et quand Because Music, l'un des plus gros labels indépendants de France, sort l'artillerie lourde, cela donne une production qui brille de mille feux, mais qui ne fera sans doute pas que des heureux. Si vous trouvez que Selah Sue ne sonne jamais aussi bien qu'avec sa seule guitare acoustique et sa voix, pas sûr que Reason ne vous accroche. L'espace sonore a été largement densifié, avec le but avoué de clouer l'auditeur au mur. Globalement, le côté parfois intime qui pouvait transparaître du premier album a disparu, au profit d'un son toujours très soul (forcément), mais globalement plus pop que par le passé. Plus pop, ce qui signifie plus commercial ? Plus artificiel ? Plus calibré radios FM ?
Ne soyons pas stupides, le but d'un artiste et des maisons de disques est bien évidemment d'avoir du succès, et de faire ce qu'il faut pour ça. Bien sûr, la trahison, vendre son cul, ça fait tâche, mais malgré ce qui est écrit plus haut, ce n'est pas le cas ici. Tout d'abord, le premier album, s'il était fort sympathique, n'avait rien du chef d'oeuvre vanté par l'industrie (parce que tout ce qui vend devient logiquement un chef d'oeuvre dans le langage corporate, s'pas ?). La chanteuse dévoilait une voix très intéressante, qui demeure son principal atout aujourd'hui, un univers agréable à l'écoute, mais faisait également preuve de limites agaçantes : notamment le fait de ne pas aller au bout de ses idées, de rester trop sage, de ne pas montrer suffisamment sa personnalité propre en utilisant des gimmicks trop souvent entendus (quelqu'un a compté le nombre de "yeah yeah yeah" ?). Des défauts de jeunesse typiques en somme.
Tout ceci pour dire que si le fait de regretter l'ambiance intime des débuts est une opinion tout à fait respectable, pleurer sur le fourvoiement de l'artiste est largement exagéré. Selah Sue, qui a aujourd'hui 25 ans, ne sort jamais que son deuxième album et continue de se chercher. Si certains titres très orientés radio peuvent indéniablement décevoir, à commencer par le single "Alone" (pas une mauvaise chanson, mais très calibrée), la demoiselle n'a pas changé son fusil d'épaule et propose toujours une grosse dominante soul à l'ancienne. D'ailleurs, l'album, après avoir balancé son gros tube radio des familles, propose immédiatement un titre sur lequel la gratte acoustique se taille la part du lion. Une façon de rassurer l'auditeur, tout est calculé bien sûr, mais tant que la musique est bonne... Et à ce niveau, y a pas de maldonne. Selah Sue ose plus qu'auparavant se servir de sa voix et envoyer le bois en toute délicatesse. Les nombreux concerts ont payé, et la miss n'a plus peur d'y aller franchement.
L'espace sonore est plus rempli qu'auparavant, ce qu'on peut certes regretter, mais d'un autre côté, une grosse production bien foutue, qu'est-ce que ça le fait quand même... Y a pas à dire, quand on met les moyens, ça peut tout changer. Surtout que la prod' a ceci d'intelligent que sans se priver des apports de la technologie moderne, elle reste globalement organique, en se concentrant sur des instruments "conventionnels", piano, synthés, choeurs... Pour un résultat assez bluffant de fluidité ("Alive"). Alors oui, il arrive que ce soit un peu too much ("Together"), encore qu'il s'agit d'une question de goûts. Mais si la forme peut déranger, sur le fond, ça groove sévère. Et puis cette voix, à la foix rauque et douce ("Fear Nothing"), toujours aussi accrocheuse. Alors oui, les chansons sont plus orientées vers le gros refrain. Mais les gros refrains, quand c'est bien fait, ça peut être cool aussi.
Il n'y a pas de réponse tranchée aux questions posées en début de chronique. Les auditeurs seront sans aucun doute nombreux à regretter le premier album. Comme ils seront nombreux à se délecter d'une production aux petits oignons, d'une chanteuse qui a grandi et évolué, d'un album soigné qui ne renie nullement ses racines ("Sadness" pourrait sortir des cartons de la Motown !). Qui plus est, il y a fort à parier que bon nombre de ces nouvelles compositions seront présentées en version acoustique sur scène et présenteront un tout autre visage. En attendant, profitons d'un bon deuxième album. Pour peu que celui-ci fonctionne, on peut espérer que sur le prochain, Selah Sue trouve le bon compromis entre titres tubesques, grosse production, passages plus intimes et acoustiques.