No One Is Innocent – Propaganda

Après s’être payé un gros bon kiff au Stade de France en première partie de AC/DC, No One Is Innocent nous balance du très lourd avec Propaganda. A venir le 8 juin prochain, le sixième album du groupe qui vient d’atteindre la vingtaine, est aussi puissant et ancré dans le réel que les précédents. Avec Noir Désir, No One avait marqué mes années lycée avec son Utopia, et sa Révolution.com, parfaite pour les barricades, m’avait accompagné dans mes manifestations étudiantes. Toujours dans le domaine de la lutte, ce nouveau No One va-t-il m’accompagner dans mes combats à venir ?

Stade de France, Propaganda,

No one is Innocent au Stade de France, ça pète !


A la première écoute, l’album semble déjà daté. Daté, car il débute avec les événements de Charlie Hebdo de janvier dernier et qui n’ont pas fait long feu. Ou alors il fera date tant le reste de l’album balance sévère. A voir.

« KO debout, je ne sens plus rien, pauvre Marianne orpheline, y a pas de Charlie qu’on assassine » Les ponts boxent leurs riffs. « Ecrasons l’infâme, de mourir debout que de vivre à genoux », mots prêtés à Charb. « Face à eux faut faire front, oh Charlie parle-moi encore »  Kemar annonce que « Face à eux faut faire front » mais il balance aussi ceux, faux-amis, qui ont dit qu’à Charlie ils l’ont bien cherché. Double posture, soutenir Charlie mais désapprouver ceux qui les remettaient en question. Le 11 janvier restera pour moi une belle mascarade, le plus grand nombre de gens dans la rue depuis la Libération faisant front commun derrière une poignée de dirigeants tous aussi corrompus les uns que les autres. « Ni dieu ni maître, jamais en cage, après le deuil vient la rage ». Ni dieu ni maître mais en marchant derrière Hollande et consorts… Alors oui, faire front contre les terroristes mais si l’on fait front aussi contre nos dirigeants. Mais ce n’est pas le cas. Je regrette donc l’absence de recul dans l’écriture de ce texte à vif, cri du cœur contre deux connards écervelés manipulés sous la coupe des tenants d’une autre vision du monde. Ce titre est vif, fougueux, généreux, violent, mais raté. Faire front contre ceux qui ont une autre vision du monde amène une guerre de civilisation. Dans un pays multiculturel comme le nôtre, où les pauvres vivent une relégation urbaine, un abandon du système et se rattachent à ceux qui leur tendent les mains, même si ces mains paraissent pire que les nôtres, cela est stigmatiser les pauvres bien plus encore. Ne cultivons pas l’indifférence ni ne vivons dans la haine vengeresse de la différence. Et pour moi, la musique est faite, quand elle est engagée comme elle l’est ici, pour nous rappeler que nous pouvons tous vivre ensemble. C’est bien cela la politique, le fait de vivre ensemble, du moins de chercher à le faire. En juin, le cri du cœur de ce morceau sonne mal, ou creux. Plus grand monde n’est Charlie, l’Etat Islamique s’empare du Moyen-Orient petit à petit dans une quasi-indifférence. A Charlie, on dessinait pour choquer, pour faire réfléchir, pour nous montrer que nous ne sommes pas seul à voir que le monde ne tourne pas rond. Alors qu’avec « Charlie », No One s’égare dans une espèce de désir de vengeance brutale et inquiétante.

silencio, propaganda

D’ailleurs, « Tous les Printemps du monde ne se ressemblent pas », que reste-t-il de nos propres « barricades » ? Puisque dans un morceau marqué dance floor « Kids are on the run », on nous rappelle que « ton pays tu l’aimes ou bien tu le quittes ». Pas de demi-mesure. Pas de manif’, non, pas de révoltes non plus en cas de nouvelles affaires Zyed et Bouna, deux jeunes qui couraient… Et puis y a des « Drones » dans le ciel, personne n’a vraiment l’air de s’en faire…

« Massoud », un Rock sombre en hommage au révolté du Panjshir, j’en attendais beaucoup tant la personnalité fut marquante jusqu’à sa mort deux jours avant les attentats du 11 septembre 2001. Et je ne fus pas déçu, le voilà l’hymne attendu de la liberté, de la rébellion !

Dans le même thème que « Charlie », « Djihad Propaganda » a tout ce qu’il y a de plus brut dans No One Is Innocent, la musique la plus remplie, le chant le plus crié. « Y a des gamins perdus, missionnaires en cavale, leurs vies contre la foi pour martyr à deux balles » où la propagande djihadiste n’a rien à voir avec la foi. Où le fidèle est trompé, noyé dans la haine, « méditation, prière et feu à volonté », l’esprit faible s’est une nouvelle fois fait mettre. Derrière ça tambourine fort, et les guitares saignent. L’esprit faible est la victime de la propagande, certes, cela vaut dans tous les systèmes : accepter en silence ou prendre les armes. Les croyants musulmans dont le groupe parle ici n’ont rien de simples croyants mais ont tout de nos Croisés en Guerre Sainte. Autre temps, autre mœurs, la haine reste la même. Les esprits faibles sont victimes de régimes politiques et non de leur foi, bien malmenée, torturée. Je n’ai rien contre les croyants, mais tout contre les religions et surtout quand elles transforment leurs fidèles en légions. J’imagine que c’est ce que voulait signifier ici Kemar.

La basse de Bertrand ouvre par un solo le single « Silencio » qu’on a découvert le mois dernier sur La Grosse Radio Rock avec un clip live en studio réalisé par Julien Reymond. Ce morceau et son texte est clairement antisystème et le chant est savoureusement étouffé du grand Kemar sur un fond de rock bien brut et roulant. Là, on retrouve les textes du groupe énervé, « est-ce que nos rêves sont sortis du décor, est-ce que nos rêves sont trop grands et trop forts ? » ou quel que soit le système, le silence est de mise, pour mieux nous endormir. Et où « Un nouveau Scottsboro » nous rappelle que les minorités seront toujours pointées au doigt, sinon au viseur, rappel aussi à la chanson de Billie Holiday « Strange Fruit » et au procès de Scottsboro, datant de près d’un siècle mais toujours d’actualité quand on voit qui se prend les balles.

Scottsboro boys

Les Scottsboro boys, condamnés pour un crime qu’ils n’ont pas commis.


Les espoirs s’effondrent et les mots nous perdent. « Pour gagner la présidence, quand on nous chante à l’avance, mon ennemi c’est la finance » Là Kemar prend le contrepied de ce qu’il a fait précédemment, à savoir marcher derrière le Président et remarque par dépit s’être fait mettre par une rose fanée. L’album se veut chronique d’une année 2015 bien chargée en événements politiques, dont la maturité politique d'un FN banalisé par les médias qui voient déjà la Marine au second tour de 2017, si ce n’est plus... « Putain, si ça revient », l’ordre et la morale, tout ça, le titre annonce la tentation du pire… mais si ça revient ? Que faire le 7 mai 2017 si jamais ? …

Putain « 20 ans », j’ai grandi avec vous, innocents, où personne ne l’est. Rien n’a changé. Même vous, qui faites un putain de bon bruit dont on a besoin dans l’Héxagone. Excité, enragé, énervé, No One Is Innocent transforme sa colère face à un monde minable en une musique et un chant furibards pour un combat Rock ultime mais jamais fini. Pourvu que ça dure.

Yann Landry

Crédit photo au Stade de France : Stephane H

NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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