S'il y a un artiste français qui m'a marqué, pour lequel je témoigne une admiration sans borne et à qui j'ai envie de rendre hommage, comme ça, aujourd'hui sans raison particulière, c'est Jacques Higelin.
Je reproduis ci-dessous un texte que j'ai écrit en décembre 2002, après un concert de Jacquot au Prisme, à Elancourt. Une prestation qui aurait dû être un fiasco et qui a été d'une humanité, d'une poésie et d'une force qui résonnent encore en moi 13 ans plus tard.
J'ai eu envie de partager ce moment, c'était avant la naissance de La Grosse Radio mais vous verrez que certaines positions étaient déjà bien ancrées.
Bonne lecture, vive Jacquot !
16 décembre 2002
Par le plus grand des hasards, j'ai revu samedi soir un ami de toujours que je n'avais aperçu depuis quelques années maintenant. C'est toujours un peu prétentieux de dire qu'un artiste est son ami, mais je crois bien, en tout cas avec cette soirée que tout le monde est son ami au Jacquot. Sans démagogie.
Samedi soir donc au Prisme, petite salle de concert municipale à Elancourt au Sud-Ouest de Paris, salle intimiste, petite et agréable. On entre après 3 minutes d'attente, et on s'installe au deuxième rang, au milieu, la scène n'est pas haute, on est donc devant, et tout proche du piano, piano à queue, je me demande si c'est toujours le même (!).
20 minutes plus tard, il entre sur scène sans artifice, 3 faisceaux violets et de la fumée mais c'est peut-être celle de son satané vieux mégot.
On est tous bien sagement assis, le manteau sur les genoux, et pour moi qui ai vu quelques concerts d'Higelin, ce n'est pas "son" public qui est là. C'est juste la sortie à faire à Elancourt ce soir là, avant d'aller manger quelques moules au Léon de Bruxelles, au Buffalo Grill ou au Café de la Plage.
Jacquot a vraiment choisi une formation intimiste puisqu'il est juste accompagné de son complice percussioniste Dominique Mahut, vieux pote depuis tellement longtemps...
Deux chansons au piano que je ne connais pas (voilà ce que c'est de lâcher ses potes), tant pis pour moi, les autres n'ont pas l'air de connaitre non plus.
Il va ensuite s'assoir, derrière une petite table, face à la scène. Dessus, une rose rouge dans une bouteille en plastique, une bougie éteinte et quelques cahiers. Il allume une cigarette, nous dit que dans les centres culturels de banlieue c'est toujours la même chose, la "prestation concert" est fournie en kit et qu'il faut allumer sa chandelle soit-même. Il a une bonne bouille tout d'un coup. Il prend sa guitare sur les genoux, sa cigarette dans une main, et se saisit d'un livre. Il n'est pas forcément pas à son aise pour jouer dans cette position, les gens sourient.
- " C'est comme ça qu'je bosse quand j'suis chez moi, eh t'as pas un coup d'rouge là ?"
Le technicien de scène lui aporte aussitôt une bouteille de Bordeaux débouchée, un verre ballon, et un paquet de cigarette.
Et cet espèce de fou furieux, nous lit un texte d'au moins 10 pages, extrait de son vieux livre, que vous connaissez peut-être, "Lettres d'amour d'un soldat de 20 ans", écrit 40 ans plus tôt.
Il plante quelques accords improvisés en guise de césures, quand bon lui semble. Il est obligé de porter des lunettes, ses éternels cheveux ne lui facilitent pas la tâche pour lire. Quel beau texte, l'amour à 20 ans, la solitude de l'appelé du contingent coincé en Algérie en 1962, loin de ce qui devait être probablement son premier amour.
- " Je suis en transition en ce moment, et j'ai quelque fois besoin d'en parler à un jeune homme, et voilà ce qu'il me répond". Ce jeune c'est bien sûr lui.
Manifestement les spectateurs se demandent un peu ce qui se passe, ou, tout au moins se disent que 10 pages c'est quand même long, et que s'il pouvait jouer "Tombé du ciel" on pourrait tous taper dans nos mains.
Et puis il nous balance un Paris New-York / New-York Paris à la guitare (évidemment), mais je me dis que ça ne va pas. De toutes façons il tripote les boutons de la grat', il regarde le régisseur, il continue son mythique morceau, et on espère que ça guitare ne soit pas un fusil (!) car l'ingénieur de son pourrait bien en prendre un coup. Ce qui est terrible, c'est que dans la salle, le son n'est pas terrible mais j'ai connu pire, non non c'est pour lui que c'est invivable. On verra plus loin que Jacquot à d'autres cordes à sa guitare. Et qu'il ne touche pas que son piano.
Ensuite, on lui apporte un piano électrique/synthé, et une cigarette allumée, il tente un Irradié, c'est réussi la version est complètement irradiée. Le son n'est pas prenant. Et on dirait qu'il ne s'entend pas comme il le voudrait.
Je crois que j'ai vu 6 fois Higelin en concert, et je suis heureux de le revoir mais, il faut bien l'admettre, au fond de moi, la déception monte, surtout que le public, en majorité, ne connait pas les chansons, et dans un concert de ce baladin là, ça craint !
- " Mets moi des aigues, moins fort quoi, t'entends pas ?"
Le "coupable du son" monte sur scène et tente un pauvre réglage du synthé, Higelin nous explique qu'il n'y a pas forcément que des rapports d'amitié entre les saltimbanques et les techniciens.
Mais il continue, et à chaque break il manipule les boutons de ce ridicule piano, mais Higelin est un professionnel et un vieux routard, alors il continue comme il peut le concert jusqu'au bout. Il nous joue poliment "Champagne", ça tape dans les mains mais au moment que les fans connaissent "Esprit, je vous remercie de toujours si bien me recevoir" je me retrouve tout seul comme une midinette à crier "Ouaih" et à applaudir, ce qui a beaucoup amusé mon voisin de droite (oui sûrement de droite).
Salut. Higelin a terminé son Show, ou plutôt son "tiède", il est 23 heures.
Je dis à mes amis, qu'il est doit être hyper déçu de la salle, et peut-être même des gens, et en tout cas, qu'il ne faut pas trop compter sur un bonus à la Higelin, qu'il a joué presque deux heures dans ces conditions et qu'il dit déjà être aux commandes de son aéroplane blindé pour aller boire un dernier verre chez Denise.
La salle se rallume.
Bizarrement, je me rends compte que les gens demandent un rappel depuis au moins 5 minutes, et sans faiblir. Et ça dure, ça dure. Ambiance décalée.
Et là, je n'ose y croire, j'aperçois qu'on renvoit de la fumée sur scène, la lumière de la salle est coupée, et je pense que s'il revient c'est vraiment l'artiste le plus top que je connaisse.
Je l'ai vu résister à 20 minutes de hurlements de bis au Grand Rex et il n'est pas revenu. C'est pas une machine, le père Jacquot. C'est quand il veut et seulement si il veut.
Non ! Le revoilà, avec une espèce de robe de chambre sur le dos. On lui replace son synthé pourri sur le devant de la scène, tout au bord, à moins de 5 mètres de mon siège. Il nous joue une ballade au vrai piano. Se lève, s'incline, nous regarde...
Il retrouve sa bouteille de vin, et en boit une grande rasade au goulot ! Certains rient, d'autres sont un peu choqués, tous sont intrigués.
Il nous parle de lui, blague sur son âge, et remarque que vu l'âge des spectateurs dans la salle, son public lui est plus que fidèle. Il nous raconte des histoires drôles, délire. Il boit, une petite gorgée de temps en temps.
Il s'est fait viré de sa boite de disque car il coûte trop cher en productions de concerts et ne rapporte pas assez. Les gens poussent des cris de révoltes. Il est en période de composition. On dirait qu'il est nu tellement il est avec nous. dès fois il s'assied sur le bord de la scène et parle sans son micro.
Et puis il retourne à son synthé de m...
C'est à ce moment précis qu'il nous raconte ses vacances d'été à "Gourdon dans les Alpes maritîmes, petit village dont le donjon culmine à 2500 pieds de la mer Méditerrannée. Sorte d'endroit à touristes, sublime piège à con". (sic).
Il plaque des accords de synthé, et commence à chanter en hurlant :
- " Sur les remparts de Gourdon, Alpes Maritî-îmes, sublime piège à con, dont le donjon culmi-ine, à 2500 pieds, de la mer Méditer-rrrannée "
Il nous propose de composer avec lui, ce qui le propulsera Lauréat de l'Eurovision 2003. Niveau bien supérieur que celui de la Star Academy. Il nous rappelle au passage qu'il n'a eu qu'un prix de la profession, la Victoire de la Musique pour la pochette d'Alertez les bébés...
Il nous a apprit à faire la chorale pour chanter avec lui, on a recommencé peut-être 30 fois, on a rit, lui aussi, c'était moche comme chanson, mais ça faisait du bien, tellement de bien.
Ensuite, il s'est levé, il est descendu dans le public, il nous a expliqué droit dans les yeux de tous le monde, que quand il est arrivé dans cette salle, il n'avait pas du tout senti l'endroit.
- " Et tu l'as bien vu, tu le connais ton Jacquot "
Il en a souffert pendant toute la représentation. Il nous a ainsi parlé quelques minutes, pour nous dire son amour du public, et que quand on se demande où il est Higelin, que quand on croit qu'il ne fait rien en ce moment, et ben il est avec les gens avec ceux qui l'aiment et ceux qu'il aime.
- "Je n'ai pas besoin de garde du corps, vous êtes mes gardes du coeur".
Il nous explique, qu'il se sent chargé par son public d'aller chercher les belles chose de la vie, car lui il a le temps de le faire grâce à nous tous qui lui en donnons les moyens.
Et que lui il doit en retour, rappporter chaque fois le meilleur de ce qu'il a trouvé et surtout le meilleur de lui même.
Comme on n'a pas pu faire un grand concert, l'important était qu'on passe du temps tous ensemble, entre amis, qu'on chante, qu'on rit et qu'on soit tous très émus comme tout le temps où il nous parle de lui là, tout de suite, au milieu de 5 ou 600 personnes.
Il y a une handicapée dans la travée à côté de nous, il parle et il est forcémement devant elle car son fauteuil bloque l'allée. Il a regarde exactement comme il m'a regardé et comme chaque spectateur l'a vu le regarder. Il lui prend l'épaule "ça va toi ?" elle est rouge de joie et de bonheur.
Il remonte sur scène, nous salut une boule dans la gorge, et ne peut pas partir.
Il nous lit la dernière lettre de son recueil, la dernière lettre d'amour écrite à celle qui l'a quitté un peu plus tôt. C'est insupportable de vécu, de sentiments, de poésie. Il avait promit de ne plus lui écrire, mais il a trahit sa promesse, ce n'est pas de la lâcheté nous dit-il, personne de peut maitriser son coeur. Personne de doit maitriser son coeur.
Sa bouteille de Bordeaux est presque terminée. Il joue sa chanson pour sa fille Izia, et s'écroule de rire car il ne souvient plus de la tonalité et des accords.
- " Putain c'est la première fois que ça m'arrive, attends je vais retrouver. C'est ça non ?"
On chante, et naturellement il retrouve l'accompagnement au piano, on est tous debout.
Ca enlève un peu la boule qu'on avait dans la gorge.
Et le Jacquot, fait le tour de la scène dit au revoir à tout le monde, range ses cahiers de notes dont il nous a confié des dizaines de lignes, range ses lunettes, range ses cigarettes, repasse sa robe de chambre et va se coucher. Il est 1H30, on a passé 4 heures et demie avec notre pote.
Higelin, Août Put, 8 ans plus tard
Oui Jacques, personne ne doit maitriser son coeur