Communions le temps d'un album...
Un enfant d'une dizaine d'années et son père se promenent dans un parc, un jour de printemps, le soleil culminant sereinement à un zénith respectable. Les gens passent, s'affolent autour de quelques canards venus picorer quelques morceaux de pain rassi. Nos deux compères, quant à eux, n'ont cure de tout ce remue-ménage, et viennent s'assoir sur le bord d'une rive afin de contempler les quelques clapotis observés sur la surface de l'étendue d'eau. Le monde semble s'agiter de plus en plus alors que les deux se lancent dans une discussion, loin de tout, loin des rumeurs...
"Dis papa, la musique qu'on a entendu tout à l'heure à la maison, c'est quoi ?
- Tu t'intéresses à ma musique maintenant ?
- J'sais pas, c'est étrange, mais c'était trop cool. Y a quelque chose de différent...
- Si tu savais...
- Savoir quoi ?
- Bah... qu'entends-tu par différent ?
- Et bien c'était un peu metal, surtout rock/hard rock, un peu comme c'que t'écoutes d'habitude quoi et que d'habitude bah j'comprends pas trop... mais là non, y a quelque chose qui... j'sais pas j'ai adoré !"
Le père se retourne vers son fils, visage illuminé. Il ne s'y attendait pas. Il faut dire que, séparé de sa femme depuis peu, il avait peur de voir la chair de sa chair s'éloigner peu à peu. Lui qui venait de se rendre compte de l'importance de sa descendance, alors qu'il avait jusque là plutôt joué au papa absent... Eduquer son fils en musique, il en avait rêvé, mais il n'osait trop se lancer constatant une certaine "distance" entre celui-ci et son univers. Peu à peu, il s'y essaya, sans grand succès probant... Puis soudain, en ce mois de juin 2011, un déclic ?
"Tu as adoré !? Dire que j'ai écouté ça en lisant sans même penser que tu écouterais attentivement... T'étais dans ta chambre à travailler pourtant !
- J'ai pas pu. J'ai carrément été attiré par la musique et j'ai écouté en cachette en fait. J'avais peur que tu m'cries dessus si j'étais pas sur mes devoirs...
- Tu as adoré donc...
- Oui... C'était quoi ? Dis-moi !"
Le papa se lance ainsi dans la description de cette musique...
Black Country Communion, groupe formé de superstars du rock/metal, créé il y a peu par Glenn Hughes (ex-Deep Purple, ex-Black Sabbath, ex-Trapeze... la liste et longue) et le jeune guitariste blues rock Joe Bonamassa. Entourés de Jason Bonham aux fûts (le fils du légendaire John, batteur de Led Zeppelin) et Derek Sherinian (ex-Dream Theater) aux claviers, le combo frappe une deuxième fois en à peine un an avec un second opus sobrement intitulé 2. Du metal ? Pas vraiment, plutôt hard rock aux teintes légères de blues et aux tonalités sombres, même si l'album démarre de manière péchue par un "The Outsider" tonitruant...
"Ah ouais la première chanson, dès qu'elle est partie j'ai été étonné mais c'est pas c'que je préfère j'crois !
- Bah ouais fils, elle navigue aux portes du metal, Glenn Hughes l'avouait même à demi-mots dans une interview récente qu'il a donné à La Grosse Radio je crois...
- La Grosse Radio c'est ce que t'écoutes souvent j'crois nan ?
- Mais oui ! Et sinon ce premier titre a suffit malgré tout à t'accrocher ?
- C'est que j'sais pas, j'ai senti comme une sorte de force, un appel. Jamais j'avais senti ça en musique j'crois. Celle d'après était bien guitare forte aussi et j'ai commencé clairement à trop kiffer, la gratte quoi et ce chant... j'me suis senti proche de ce son !"
Car Black Country Communion est un tout, un parfait mélange et une alchimie géniale de ce que le rock peut ou a pu nous apporter. Les touches old school profondes et reminiscantes de souvenirs nostalgiques pour certains se fondent parfaitement dans un son aux tonalités modernes ne cherchant pourtant jamais à rivaliser avec les super productions du genre. Car tout ici est "organique", contrôlé par l'être humain pour l'être humain, dirigé par les émotions et produit en live intégral sans grande retouche derrière. Ou comment jongler avec le grand art et la classe absolue de compositions à vous couper le souffle.
"Et tu as tenu comme ça jusqu'au bout ?
- Oui p'pa, c'était intense, trop fort ! J'sais pas, je me suis laissé emporter quoi, je pouvais plus m'en passer et me concentrer sur autre chose...
- Tu te rends compte qu'il dure presque une heure cet album ?
- Noooon ! T'es sérieux ?
- Totalement.
- Wow ! Faut dire qu'à partir de la 3ème je crois j'ai plus décollé, c'était si... j'sais pas... pur ! La 4ème j'ai été trop surpris. C'est possible de jouer comme ça ?"
Le feeling intemporel d'un "Save Me", largement répercuté par les titres génialissimement inspirés que sont "Faithless" ou "An Ordinary Man", saura en effet réunir les genres et les générations. Car ce son-là prend sa source dans les 60-70s, porté par le toucher technico-sensoriel d'un Bonamassa des grandes heures. Le mariage guitare/chant se fait d'ailleurs sans faille, Glenn Hughes donnant ici le meilleur de soi-même pour ce qui restera peut-être comme sa meilleure performance vocale à vie. Du grand art. Le génie au service de l'émotion, que pouvons-nous imaginer de mieux le temps d'un album aux reflets classieux ?
- P'tit, tu me combles de joie... Vraiment. Tu viens de connaître ton premier choc musical, ne l'oublie jamais.
- Promis ! Dis... J'peux prendre l'album avec moi chez maman ? Je veux trop le réécouter, vraiment, j'suis sûr que j'peux encore découvrir plein de trucs dedans !
- Toi, tu as tout compris. Bien sûr mon grand, bien sûr... Je me le copierai sur mon ordi pour continuer à l'apprécier.
- Et comment tu fais toi pour l'écouter en faisant autre chose ? J'pourrais pas moi !
- Mais si, tu pourras, tu verras... Cet album est un voyage, qui demande au départ une certaine concentration - d'autant plus si l'esprit se fixe dessus comme cela a été le cas pour toi. Par la suite, il peut t'accompagner partout..."
La force d'un album caméléon capable donc de s'apprécier de différentes manières. Pour la technique et l'aspect diablement structuré de ses compositions rappelant tour à tour Deep Purple voire Led Zeppelin et avec cette touche personnelle apportée par chacun... Mais aussi et surtout pour le feeling et cet aspect rêveur qui nous plonge dans diverses ambiances souvent obscures, la fin du CD tranchant profondément avec son entame. Si un titre comme "Cold" et ses 7 minutes en guise de conclusion ne vous glace pas le sang, c'est que vous avez reçu l'immunité aux grandes sensations...
"Ouais la dernière chanson c'est de la tuerie, un peu plus et j'pleurais j'crois. J'ai eu plein d'frissons... ffiou !
- Tu vois, cette étendue d'eau, ce lac paisible ?
- Oui...
- C'est pour cette raison que j'aime à venir ici, souvent. Cela m'apaise, m'éloigne des soucis quotidiens et de la folie du monde...
- J'comprends. Au collège c'est pareil, ça fait du bien de voir autre chose !
- Et bien quand j'écoute cet album de Black Country Communion, je voyage jusqu'ici et même au-delà. Loin des méfaits de l'homme et de son système. Je crois que Glenn Hughes et ses potes ont voulu cela... Faire quelque chose de différent, à contre-courant, avec une sorte de retour vers de vraies valeurs passées, pour oublier tout ce bazar moderne, ces choses qui ne riment plus à rien. Ils ont parfaitement réussi leur pari...
- Je confirme !"
Et c'est ainsi que s'achève cette discussion alors que des mélodies de ce brûlot "hors du temps" reviennent en tête du jeune garçon. Il ne reste donc plus qu'à repartir en quête auditive et chercher les quelques micro-défauts relatifs à un album magique mais qui s'étire parfois un peu trop sur ses douces longueurs... Oh, à peine, juste à peine, de quoi donner envie au quatuor de se propulser jusqu'à l'insolence de la perfection la prochaine fois. Même si celle-ci ne peut être que subjective.
Sortie prévue le 13 juin chez Mascot Records