Entretien avec Steve Hackett (ex-guitariste de Genesis)

"J'aime cette collision entre des mondes musicaux trop cloisonnés"

Quelques heures avant son concert donné à l’Olympia, la Grosse Radio a pu s’entretenir avec Steve Hackett, ancien guitariste de Genesis et artiste solo à la carrière florissante. En parfait gentleman, l’homme, pourtant peu médiatisé, a levé le voile sur sa musique. Nous avons tour à tour discuté de son dernier opus, Wolflight, de ses influences sortant du seul carcan du rock progressif, de son implication au sein de cette scène prog ou encore de ses collaborations avec Chris Squire (Yes), son ami décédé récemment. Entretien en toute humilité avec un grand Monsieur de la guitare.

Bonjour Steve, merci de nous accorder cet entretien pour la Grosse Radio. Tout d’abord, nous allons revenir sur ton dernier album studio, Wolflight, qui est sorti en avril dernier. Quelques mois plus tard, es-tu satisfait des retours des fans à propos de cet album ?

Les retours ont été très bons. L’album est même entré dans les charts dans différents pays, ce qui, pour être honnête, était même encore mieux que ce que je pouvais espérer. C’est vraiment super. De nos jours, les artistes sortent des albums avant tout pour le plaisir, notamment en raison des baisses des ventes, des téléchargements gratuits… J’ai essayé de sortir un album aussi attractif que possible en terme de packaging, pour intéresser autant que je pouvais les fans. Bien sur, nous avons fait une édition spéciale, puisque nous essayons de sortir les albums sous différents formats. Si les gens préfèrent une version CD, nous la sortons. S’ils préfèrent le vinyle, nous en proposons, ou encore le téléchargement mp3… Mais c’est également important de proposer des mix stéréo ou surround pour ceux qui veulent écouter l’album différement. C’est notre politique pour chacune des sorties désormais.

Peux-tu nous expliquer le sens du titre, Wolflight ? Pourquoi avoir contracté ces deux mots ?

Ce titre est inspiré par Homère, l’écrivain antique grec. Il parle notamment d’Odysseus (Ulysse NDLR) qui se réveille dans la « lumière des loups ». Il s’agit de cet instant précis qui précède l’aube, quand la lumière est en train de changer mais qu’il fait toujours noir. C’est l’heure où les loups aiment chasser. La chanson titre parle des « tribus » qui ont pu fonder l’Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui. Ce sont des gens qui ont été inspirés par les Chinois au cours de périodes d’échanges et de conflits, et qui ont pu destituer l’Empire Romain. Ces Anciens étaient sauvages et utilisaient les loups comme un totem et un symbole de liberté et d’indépendance. "Wolflight" se base vraiment là-dessus, même si l’interprétation du texte est assez libre. Elle se base vraiment sur la notion de liberté pour les gens qui souhaitent vivre leur vie comme ils l’entendent. Dans le texte, il y a également cette idée d’orage qui évoque une sorte de révolte d’esclaves, qui se libèrent de l’oppression. Même la chanson « Love Song to a Vampire » parle également de cette notion de liberté. Toutes ces idées sont vraiment au centre de l’album.

Tu as une façon toute personnelle de composer, en alliant des mélodies classiques (jouées à la guitare acoustique) et des passages rock (au son électrique). Mais sur Wolflight, tu intègres également des influences orientales. Penses-tu que le fait de voyager autant pour jouer ta musique t’influence inconsciemment dans ce sens ?

Je pense que oui. J’ai des amis un peu partout dans le monde que je vais voir régulièrement. Bien sur, je voyage beaucoup pour les concerts, mais il y a des endroits où je vais souvent, comme le Mexique par exemple. J’adore visiter différents pays et explorer d’autres cultures. Il y a quelques mois, nous avons visité le Pérou. Leur musique est très intéressante, les instruments qu’ils utilisent également. Par chance, j’ai pu essayer le charango, un très bel instrument à corde typique de là-bas. Il ressemble un peu à une mandoline, mais avec un son très aigü. C’est vrai que ce son ressemble un peu à ce que nous avons essayé de recréer sur Wolflight. Nous avons essayé d’utiliser des instruments très diversifiés, comme le tar, un instrument typique d’Azerbaïdjan. Malek Mansurov en est l’un des plus grand joueur au monde. Il est le chainon manquant entre Ravi Shankar et John McLaughin. Il joue vite, mais avec beaucoup de sensibilité. Son style est une sorte de jazz arabisant, appelé "Mougham". Ce style, commun à quatre pays, est joué en Azerbaïdjan, en Turquie, en Iran et en Irak. Ironiquement, il ne peut venir jouer en Amérique en raison de sa nationalité, car il pourrait être accusé de terrorisme. C’est absurde bien sûr ! Mais c’est un très bon joueur qui m’a inspiré. J’ai également utilisé le duduk, un instrument arménien, le didgeridoo… Nous avons enregistré tous ces sons en Hongrie. C’est une sorte de carrefour pour la world music, une zone d’échanges culturels.

Pour en revenir à l’album, c’est un album de rock avant tout, mais avec beaucoup d’orchestrations, à base de violons et de violoncelles. Il y a également une grosse influence provenant des chorales. J’adore jouer avec cette perspective cinématographique, comme si je racontais une histoire en musique. On essaye de faire des choses variées sur scène également, entre mes morceaux solos et la musique de Genesis.

Cet album marque également la dernière participation studio de ton ami Chris Squier, bassiste de Yes, décédé en juin dernier, qui joue sur « Love Song to a Vampire ». Quel souvenir gardes-tu de lui ?

Travailler avec Chris est venu à la base de son envie de faire un album. Il m’avait demandé à l’époque (dans les années 80 NDLR) si j’étais intéressé pour jouer avec lui. J’étais impressionné à l’idée de jouer avec Chris Squier. J’avais déjà joué avec Peter Banks, Steve Howe (au sein de GTR), Rick Wakeman…Quand Chris m’a contacté, je me suis dit que c’était amusant de voir tous ces échanges entre Genesis, King Crimson et Yes. Ces trois groupes sont liés et ce sont devenus des amis. Avec Chris nous avons fini par faire cet album, Squakett (contraction de Squier et Hackett NDLR). Nous avons passé un très bon moment ensemble, en tant qu’amis, à discuter, comme des vétérans. C’était vraiment quelqu’un d’adorable, amical, passionné par sa musique et très talentueux. Ses lignes de basses sonnaient vraiment comme des riffs de guitares. Elles étaient rythmiques, mais inhabituelles. C’est, à mon avis, ce qui a fait la force de Yes.  J’ai adoré travailler avec lui. Un jour il a ramené une nouvelle basse et a joué le riff d’intro de « Tall Ships » (morceau de Squackett NDLR). Je lui ai dit « Oh, ce riff est vraiment bien Chris, peux-tu le rejouer? ». Il l’a rejoué et c’est devenu la base du morceau. Un autre morceau que nous avons écrits ensemble, « Divided Self » avait un solo de guitare au milieu. Il a joué une ligne de basse que l’on ne peut pas oublier. Sa façon de jouer était super. Sur la dernière piste qu’il a enregistré avec moi, « Love Song to a Vampire », il y a cette ligne de basse qui progresse. C'est moi qui l'ai écrite mais quand il m’a dit qu’il était de passage, il m’a proposé de venir l’enregistrer. Il n’avait pas sa basse avec lui, mais il m’a emprunté une Fender Bass Precision et au moment où il l’a branchée, cela sonnait exactement comme lui. J’adore Chris. Je l’ai aimé tout d’abord en tant que musicien avant de devenir ami avec lui. J’aurais aimé pouvoir collaborer encore avec lui et je pense qu’il manquera à beaucoup de personnes.

Sur une note plus joyeuse, tu vas sortir dans quelques semaines une box appelée Premonitions et contenant 14 CD. Celle-ci inclut tes albums solos de 1975 à 1983, ainsi que de nombreuses raretés. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?

Premonitions était le titre que j’avais prévu à l’origine pour Voyage of the Acolyte (son premier album solo NDLR). A l’époque, ma maison de disque n’a pas voulu que j’utilise ce titre. Ils m’ont suggéré Voyage of the Acolyte. J’ai fini par céder mais cela avait du sens pour moi, toutes ces années plus tard, de ressortir ces 14 CD sous ce nom. Il s’agit effectivement de mes albums sortis entre 1975 et 1983, mais remixés par Steven Wilson avec un son surround et stéréo. Il y a également un concert donné pour la BBC et trois live complets. J’ai également inclus une piste inédite, « Seven of Cups », qui n’a jamais été terminée au moment des enregistrements de Please don’t Touch (son deuxième opus NDLR). Je suis vraiment fier de tout ce travail, de ces chutes de studios. Je pense que le résultat est vraiment impressionnant. Je n’ai malheureusement pas encore eu l’objet entre les mains mais j’espère qu’il sonnera aussi bien que je le pense. L’artwork est l’œuvre de Roger Dean (auteur attitré des pochettes de disques de Yes NDLR). Il m’a avoué qu’il était fan de mes morceaux acoustiques avant tout. A l’époque je faisais des choses que j’aimais, en mixant des instruments classiques et du rock, sans pour autant chercher à faire du prog. Cette terminologie n’était pas dans mon esprit quand je composais. Aujourd’hui, les gens parlent de musique gothique, ou progressive, ou metal progressif… Bien sur, toutes ces descriptions sont réductrices, car je pense qu’elles servent de cases. Dans l’inconscient collectif, pour faire du prog, tu dois avoir un mellotron ou un orgue Hammond sur toutes les pistes… Mais ce n’est pas une obligation. Les gens utilisent le mot progressif presque à tort. Au début du vingtième siècle, Richard Strauss utilisait ce terme pour décrire les travaux d’Edward Elgar, un compositeur anglais de musique classique.

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A propos de cette scène progressive, tu es toujours très actif et travaille régulièrement avec la génération des années 80 à 90. Je pense notamment à tes collaborations avec Steven Wilson sur Grace for Drowning, Steve Rothery (Marillion) sur son dernier album, ou encore le dernier Ayreon. Y-a-t-il encore d’autres artistes avec lesquels tu aimerais collaborer ?

J’ai eu la chance de collaborer avec beaucoup d’artistes, en dehors également de la scène progressive. Le progressif est censé correspondre à un mix entre plusieurs genres et j’ai pu travailler avec des artistes aussi diversifiés que Richie Havens, Randy Crawford, Evelyn Glennie, une percussionniste écossaise. J’ai pu jouer avec des gens issus du classique, du jazz ou du rock. Et j'aime cette collision entre des mondes musicaux trop cloisonnés.

Habituellement, les artistes disent préférer leur dernier opus parmi l’ensemble de leur discographie.

Oui, c’est vrai !

Du coup, j’ai envie de te demander, parmi tous tes albums, lequel aimes-tu le moins ?

Le moins ? (Rires) Je pense que j’attribuerai le titre d’album le moins réussi à Cured (Cinquième album solo, sorti en 1981 NDLR). Je pense qu’il n’est pas aussi fort que les autres. Mais c’est peut-être parce que j’aime particulièrement les premiers albums. Il est peut-être trop pop et manque de passages atmosphériques.

Merci Steve pour cette interview. Avant de nous quitter, as-tu un dernier mot à adresser à nos lecteurs ?

Je suis très heureux d’être à Paris. J’aime toujours jouer pour le public français, c’est toujours un moment spécial. Les gens ici sont très passionnés. Il y a de nombreuses années, nous jouions très régulièrement en France, et nous essayons de revenir désormais un peu plus. J’espère que le concert de ce soir restera gravé dans la mémoire des gens qui seront présents !

Un grand merci à Steve et Jo Hackett ainsi qu’à Valérie d’Inside Out pour avoir rendu cet entretien possible.
Photographie live : 
© 2015 Marjorie Coulin
Toute reproduction interdite sans autorisation du photographe



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