Étonnant comment le duo floridien Ancient River est capable de s’épanouir… même au bout de six albums. Conformes jusque dans leurs boots à l’idée qu’on peut se faire d’un groupe de rock bluesy, James Bareto et Alex Cordova ont tracé leur route, cinq albums durant, dans un territoire largement balisé par les Doors et les Floyd, période Atom Heart Mother. Pedigree glorieux d'un groupe marqué au fer rouge après avoir officié plus explicitement dans le folk americana à la Neil Young sur le précédent On The Other Side tout en harmonica, en ballade eco-friendly et en flamboyance dans les riffs.
Or, dès le premier O.D.D.S jusqu'à On The Other Side, la propension psyché se laissait deviner au détour d’un refrain, d’un break. Cette timidité, le groupe l'a balancé six pieds sous terre. Repartant sur des braises bluesy encore chaudes, le duo entend poursuivre et étanche son appétit pour les hallucinations sonores sur Keeper Of The Dawn. Habitués de scène comme l’Austin Psych Fest ou le Los Angeles Psycho de Mayo, il y a donc une certaine cohérence à retrouver des sonorités psyché non plus sous la forme de murmures, mais bien sous celle d’un brouillard épais et kaléidoscopique dans lequel riffs fuzzy, reverb et voix shoegaze se mêlent à l’unisson.
Avec des «Keeper Of The Dawn» ou des «Stay With Me» dans un style plus figé, plus progressif en fin de compte, le groupe met à nue sa formule qui, si elle n’innove à aucun niveau, témoigne d’une rigueur stylistique. La voix vaporeuse façon My Bloody Valentine apporte un prolongement intéressant des parties guitares tour à tour simplissimes ou techniquement recherchées, tour à tour franchement emmerdantes ou cohérentes. Côté ambiance donc, Keeper Of The Dawn nous trimballe des marécages boueux avec « Mother Of Light » au désert le plus mystique possible sur « End Of The Dawn » et ses nappes d’effets superposés, en passant par le vide interstellaire sur « Journey Into The Light Of Darkness » et ses longueurs hypnotiques. Organisé jusque dans la structure globale du LP avec ses 3 interludes plus ou moins lyriques (qu'on pouvait déjà entendre sur l'ensemble de la discographie), Ancient River semble rassembler ses forces pour passer un virage psyché qui, sans être totalement nouveau pour eux, s’avère bel et bien embouteillé.
Et en faisant les comptes (rock bluesy plus psyché plus shoegaze...), il serait facile (et pas forcément faux) de classer Ancient River dans la catégorie vaguement connue sous le terme de néo-psych et de les rapprocher Tame Impala ou de Black Angels avec ses boucles répétitives sur « This Is The Time ». Nul doute que les connaisseurs reconnaitront l’empreinte profonde et moite de Dead Meadows sur la plupart des titres. On ne parlera pas de révélation psyché de l’année 2015, ce serait mentir, mais plutôt de bascule esthétique d'un groupe tout à fait capable à suivre.