Quand vous vous plongez dans un album dit "progressif", le temps doit savoir s'arrêter, le monde peut cesser de tourner, vous devez ainsi être parfaitement transporté et hypnotisé par tout ce qui peut pénètrer vos sens. La musique prend ainsi une tournure toute autre, car qui dit "progressif" dit "reflet de l'âme", technicité au service de l'émotion, subtilité enrobée de force voire de rage, grand talent de musiciens certes mais aussi de conteurs, de scénaristes créateurs de plaisir et de rêves. En cette année 2011, le monde du progressif garde sa pêche, que ce soit par le biais de Pain of Salvation ou Opeth, ou de surprises plus underground telles que Myrath ou Orne ; les choses continuent de bouger et de se muer en une envie de découvertes de plus en plus incontrôlées. C'est un peu ce qui arrive en ce moment à votre serviteur, bercé de vieilles légendes comme Pink Floyd ou King Crimson, mais avide de nouveautés dans le genre. Pendragon fait partie de celles-ci, combo anglais pourtant expérimenté créé en 1978 et proposant cet été 2011 sa 9ème mouture. Passion, tout un titre qui annonce la couleur, et fait en quelque sorte suite au Pure sorti en 2008.
La magie prend sans attendre. Au-delà de ses acquis, Pendragon n'hésite pas à expérimenter sans trop s'aventurer vers des chemins tortueux ou embourbés. Appelons cela tout simplement la maîtrise. Les passages metal de "Passion", titre d'ouverture bouleversant d'efficacité, ou quasiment "rappés" d'un "Empathy" majestueux qui exprime une sensibilité quasi maladive ; ne sont que des exemples parmi tant d'autres sur cet opus où chaque style peut se cotoyer en une unité quasi parfaite. Le concept se ressent au-delà même des mots, les deux premières pistes ainsi nommées respectent un schéma ponctuel d'intelligence musicale rare, entre rock brut et symphonie moderne. Brillant.
En fait, ces deux premiers morceaux pourraient n'en former qu'un seul, ou auraient pu parfaitement constituer un EP 2-titres cohérent. Mais là n'est pas la question ni l'objectif du groupe, l'album se poursuit ainsi en beauté jusqu'à ses dernières notes. Ah cette dernière piste qui méritera à elle seule une conclusion bien à part... En attendant, le feeling des guitares et la fluidité exquise des structures rendra pour certain ce CD profondément unique et précieux. Il l'est certainement, mariant les fans de Pink Floyd et de Porcupine Tree en une tout autre entité bien à part, personnelle et délicate. Pendragon réinvente ici pas mal de choses en se réappropriant tous les poncifs du genre, il suffit de prêter une oreille consciencieuse à chaque arrangement pour comprendre que rien n'a été laissé au hasard afin que chaque note constitue une touche précise dans un tout purement artistique.
L'art musical prend ici tout son sens, le chant très british de Nick Barrett supportant parfaitement chacune des compositions de Clive Nolan, principal chef d'orchestre d'un groupe à la hauteur de sa réputation voire plus encore. "The Green and Pleasant Land" constitue d'ailleurs un petit chef d'oeuvre central qui n'aura d'égal que le début et la fin de cette galette. Loin de là l'envie de reléguer la quasi-interlude chantée "It's Just a Matter of Not Getting Caught", "Feeding Frenzy" ou "Skara Brae" au rang de faire-valoir, mais ce petit bijou représente tellement à lui tout seul l'âme de cet album qu'il semble difficile de ne pas le sublimer comme il le mérite... entre variations instantanées alliant stadium rock, musique classique ou british pop au "progressif de base" et une cohérence totale ; on ne sait clairement plus où donner de la tête. Jamais 13 minutes ne semblent être passées aussi vite, du moins cela faisait longtemps que cela n'était plus arrivé... voici le dernier Dream Theater, pourtant très convaincant à ce niveau, battu à plate coûture.
Alors qu'on pensait s'acheminer vers une conclusion un peu moins prenante (avouons que l'avant-dernier morceau fait un poil retomber la pression sans pour autant altérer grand chose), voici qu'arrive "Your Black Heart" en guise de final au-delà de toute transcendance. Voici LA chanson la plus triste, la plus poignante, de cette année 2011. On en pleurerait presque volontiers voire même s'identifierait à ses paroles, surtout si quelque culpabilité venait à remonter à la surface. C'est terrible, car ce sublimissime morceau (totalement axé sur un piano et des strings mélancoliques à souhait) se vit et peut très bien faire du mal si on se laisse trop aller... Quand la musique et son pouvoir tutoie l'âme, l'être humain sensible n'en sort jamais indemne. Mais il peut être aussi sauvé, rassuré, apaisé...
Nous tenons donc là l'une des plus belles galettes dite "rock progressif" de l'année. Néo-prog certains disent... Mais qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Voici une question qui mériterait un débat infini. Après tout c'est un bel album et c'est tout ce qui compte. A ranger au côté des gros morceaux du genre sortis en 2011, entre Blackfield et Amplifier, Pain of Salvation ou encore Leprous... que du bonheur.
"Passion, give me some empathy..."
Note : 8.5/10