Depuis près d'un an, en fait depuis la fin de l'aventure Jim Jones Revue, un créneau avait été laissé libre, un poste était à pourvoir, celui du Groupe Rock'n'Roll de Brute Groovant Méchamment (que l'on désignera dorénavant par le sigle GRnRBGM, puisque j'ai le droit d'inventer des acronymes).
Le 19 février prochain, les Finlandais de The Country Dark dévoileront leur troisième album, Hypnic Jerk, avec la claire intention de s'octroyer ce titre tant convoité. Et ça devrait twister dans les chaumières.
Les originaires de Kuopio ne font que peu de mystère quant à leurs intentions, qui se dévoilent dès les premières mesures de "Demon In Bambi Lee" : il s'agira de distribuer des coups de pied au cul. Parce que si leur nom, The Country Dark, pouvait autrefois faire office de manifeste artistique du groupe, il crée aujourd'hui un décalage intéressant... Nous sommes prévenus, d'emblée : le son, depuis les premières compositions, a considérablement évolué, et leur répertoire, autrefois constitué de « 80% de country et de 20% de rock'n'roll », a vu ces rapports s'inverser complètement selon le chanteur, Mika Sonninen ; le rock'n'roll a assis sa domination dans le studio d'enregistrement – comportement typique du groupe lorgnant ostensiblement sur le GRnRBGM. On ne nous l'aurait pas dit, ç'aurait été la même chose, car le constat s'impose de lui-même dès la première écoute :
Si les réminiscences de ces racines importantes enrobent chacun des morceaux d'une fine couche d'americana, le huitième titre de la liste, "Fucked up (in so many ways)" en reste la seule véritable caution country ; tout le reste appartient au rock'n'roll fiévreux, au blues déglingué et à l'urgence du boogie-woogie. Point d'expérimentations hasardeuses ici, ni de révolution sonique, Hynic Jerk vise l'efficacité, droit au but et pas d'chichis.
En ce sens, l'une des principales réserves que l'on pourrait émettre au sujet de cet album est justement son excessif classicisme. C'est là un jeu dangereux : l'accès en est facilité, l'immersion dans le monde de The Country Dark est aisée parce qu'on connaît déjà les codes de ce monde, mais de ce fait, la lassitude peut également poindre plus rapidement. La guitare solo par exemple, omniprésente, semble s'enfermer dans la Grande Tradition sans parvenir à s'en défaire à aucun moment, et tourne rapidement en rond ; chacune des petites phrases balancées çà et là paraît commune, familière, déjà entendue dans un morceau de Chuck Berry. La prise de risques, on le déplore, est minimale, et ceci vaut aussi pour la sobriété un peu fade de la section rythmique, ronronnant pafois sans grand génie. Mais heureusement pour les Finlandais, ces quelques défauts ne forment qu'un second plan un peu terne, mais nullement disqualifiable car, en vérité, l'avant-scène est d'une telle qualité qu'elle accapare parfaitement notre attention. The Country Dark est riche d'une voix proprement fascinante.
Toute éventuelle redondance de l'instrumental est ainsi gommée par l'investissement formidable de Mika Sonninen. On pourrait jouer des heures à essayer de trouver une comparaison cohérente – un mix entre Jim Jones, donc, avec un peu de Nick Cave et du Jim Morrison période LA Woman – en vain. En vain, bon, déjà parce que ça ne sert pas à grand chose, mais surtout parce que le larron maîtrise toutes ces références à la fois, passant de l'une à l'autre en un claquement de langue, tout en affirmant une personnalité bien unique, qui porte l'album entier sur ses épaules, et nous fait percevoir les morceaux sous un jour nouveau. Au moment où la crainte d'un hypothétique ennui prochain pourrait nous envahir, il explose littéralement cette éventualité, et nous tient en haleine jusqu'au bout de la nuit. Ses hurlements, à la fin de "Mummified Head", feront saigner la gorge de quiconque étant doté d'un minimum vital du sens de l'empathie ; personnellement, j'ai chopé une angine. Et puis ces cris animaux hypnotisants programment la réussite du morceau suivant, "Skank Ass", soit le moment où on monte sur sa chaise pour bouger le nôtre (de ass), danser le twist en faisant un o avec le bouche. L'album s'emballe, et ne nous lâchera plus, la voix si obsédante fait transition, dès qu'elle se tait, entre chacune des pistes, et on dévore tout d'un coup.
On reconsidère même le travail des autres musiciens, on se dit qu'au final, la simplicité de la guitare convient parfaitement à un morceau comme "Take Me From This Garden Of Evil", et que ça n'est pas que le batteur et le bassiste sont frileux mais qu'ils GROOVENT, et que le Mika se charge d'insinuer pour eux la folie nécessaire au bon déroulement des choses. "Fucked Up (in so many ways)", la ballade country, est formidablement amenée, offre l'occasion de boire un grand bol de gaz hilarant, de prendre une profonde respiration mélodique avant de replonger dans l'up tempo avec l'élégant "Two Dicks In One Hole", son titre au goût si sûr, sa rythmique western sautillante, sa bonne humeur communicative, ses cris de gardien de vache se cramponnant sur le dos d'un taureau mécontent. Et puis tout se termine sur "Farmer John", le frontman réalise que comme c'est la fin, il n'aura plus besoin de ses cordes vocales et finit de s'égosiller sur une cadence enlevée... Mais ce qu'il ne sait pas c'est que du coup nous derrière, on va réappuyer sur play, que l'album va recommencer, qu'on va rouvrir les plaies de notre œsophage et les siennes au passage, qu'on va remonter sur la chaise et qu'on va re-bouger les fesses. Parce que c'est ainsi, cet album appelle à être réécouté, encore, et puis encore une fois derrière. Ils sont le nouveau GRnRBGM, qu'on se le dise.
Ainsi, un twist furieux sera dansé des jours et de jours durant, dans l'intimité des foyers, inlassablement, jusqu'à ce qu'ils se décident à se ramener dans le coin, et qu'on descende de la chaise pour aller twister en public avec d'autres types transpirants, nauséabonds au moins autant que nous, et que tout le monde soit content tous ensemble, et puis qu'on crie au guitariste « vas-y coco, fais péter ! » et qu'il fasse « ouais ! » et qu'il fasse péter, et que Mika saigne pour nous, et que ce soit super.
Crédits photo : Anja Hult