Suede – Night Thoughts

Après avoir annoncé leur séparation en 2003, après s'être reformés, après avoir enregistré Bloodsports en 2013, voilà que Suede nous donne à écouter Night Thoughts, leur septième album. Annoncé iminent depuis 2014, c'est finalement le 22 janvier dernier qu'il est sorti, accompagné d'un film réalisé par Roger Sargent (diffusé sur un écran derrière le groupe les 13 et 14 novembre lorsqu'ils jouèrent l'album en entier pour la première fois). Il se trouve, figurez-vous donc, que cet album, en plus d'être particulièrement bon, arrive à bien des égards exactement au moment où il le fallait ; branchons-nous sur le canal de Suede.

C'est rien de moins qu'un orchestre à cordes qui ouvre l'album, avec un thème au violon subtilement harmonisé pour sonner tantôt impérial, tantôt mélancolique, qui laissera place après 1 minute 15 à la répétition de ce thème, mais alors électrisé par la guitare de Richard Oakes, appuyé par les claviers de Neil Codling et la batterie minimaliste de Simon Gilbert, recette idéale pour donner au tout une forte dimension épique – et l'auditeur de retrouver ce son particulier sortant tout droit des années 80 ; les ambiances, la voix, les guitares, les mélodies elles-mêmes, cette manière de psychédélisme plus ou moins post-punk, doux et mélancolique... Suede, quoi. L'un des premiers aspects que l'on capte, c'est l'influence toujours vivace et absolument indéniable de David Bowie, jamais niée par le groupe, voire carrément revendiquée. Et donc, l'album est publié quelques jours à peine après la mort du génie multi-tâche – quel timing ! Comme la date de sortie était prévue depuis septembre 2015, la piste de l'opportunisme est évidemment exclue ; il faudra toutefois analyser l'hypothèse de l'assassinat. (En fait, on peut faire de l'humour ou c'est trop tôt ?) Il se trouve que le moment est parfait pour sortir un tel album, soit exactement quand tout le monde se demande, maintenant que le Roi du Glam Rock est mort, où peut bien être le dauphin, l'héritier. Et comme l'auto-requiem du défunt, le Black Star de Bowie, cet album de Suede réactualise parfaitement ce son des années octante... mais l'analogie s'arrête là. En effet, Night Thoughts opère d'une manière sensiblement différente.

Et C'est en cela qu'il est bluffant : il parvient en effet à remettre au goût du jour les coquetteries de la période que l'on a souvent jugé comme étant la pire de toutes (coupable des plus incroyables infâmies, comme le disco ou le heavy aux hormones façon Guns N' Roses - autant dire qu'elle ne reculait devant rien), ceci sans se rendre coupable de la moindre ringardise. On n'en passera vraiment pas loin à plusieurs reprises, mais jamais la ligne fatale ne sera franchie... On flirte avec le kitsch, et puis on le sublime... Si bien que l'auditeur tatillon peut facilement être pris au piège ; ici, ce fut le cas par deux fois : "Tightrope" et "The Fur And The Feathers". Dans chacun des cas, on croit tenir, à l'écoute des premières notes, le faux pas de l'album, la faute à un démarrage dangereusement mou, périlleusement lyrique, potentiellement niais... On se dit que pour une fois, la mélodie n'est pas très intéressante, que le piano-mignon, bon, ça va bien, et puis... Et puis les instruments s'empilent, l'ambiance se construit doucement, s'épaissit sous nos oreilles pour constituer deux crescendos renversants qui au final, pourront être considérés comme les plus beaux moments du disque. L'émotion à laquelle nous nous refusions d'abord nous gagne malgré nous, et l'on s'abandonne entre les mains expertes des Londonniens, les laissant nous emmener exactement là où ils veulent qu'on aille – ceci grâce à la préparation extrêmement intelligente du terrain. Pour ce "The Fur And The Feathers" notamment, clôturant l'album, c'est à 3 minutes 17 exactement que l'on décolle, ce qui nous laisse, sur 4 minutes 40, une minute 23 de jouissance, amenée en douceur, et ça vaut le coup d'attendre. Suede prend son temps, ne brusque rien et réussit son coup.

Suede, Night Thoughts, nouvel album, When You Are Young

Si ces deux pièces vaudraient largement le détour à elles seules, l'album entier fonctionne parfaitement. En vrac, le solo de "I Don't Know How To Reach You" est un excellent exemple du talent de Richard Oakes lorsqu'il s'agit de trouver la phrase de guitare qui touche, sans démonstration technique aucune, simplement jouer ce qu'il faut jouer au moment où il faut le jouer ; son travail mélodique est indéniablement l'un des éléments-clef de la qualité que parvient à atteindre cet album (pas un hasard qu'il co-signe, avec Brett Anderson, huit des douze pistes)... "No Tomorrow", le genre de morceaux qu'on pensait ne pouvoir écouter que sur le lecteur cassette d'une vielle Panda, fait la preuve du don d'Anderson pour créer des refrains qu'on-chante-dans-sa-tête-tout-l'après-midi... Le diptyque "When You Are Young" – "When You Were Young" illustre la rigueur de la composition, la volonté de proposer un tout cohérent et intelligent (et est apte au passage à diffuser une certaine nostalgie mélancolique partout où il passera)... Enfin, puisqu'il faut bien rendre hommage à leur sobre solidité, la section rythmique se montre implacable, groove impeccablement sur "What I'm Trying To Tell You" et permet aux ambiances de s'installer en douceur, de faire mouche...

Bref. Ce sont 12 titres fort inspirés que Suede a mis en boîte entre Londres et Bruxelles, et nous les emportons avec nous de bonne grâce. Il fait bon s'y perdre ; on y ferme les yeux, on s'y laisse rêver... et on y revient volontiers.

A regarder les commentaires sur les réseaux sociaux, les fidèles du groupe ont visibement apprécié l'effort, et ils ont bien raison ; il se murmure même que ce Night Thoughts pourrait être le plus bel album jamis enregistré par ces Anglais... De quoi consolider, sans aucun doute, une relation déjà forte avec son public, et probablement conquérir de nouveaux territoires.

Crédits photo : PA (EMPICS Entertainment)

NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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