"Pour peu que vous ne soyez pas effrayés par ce que certains verront comme des écueils, alors The Ridge pourra s'avérer être le manifeste d'une artiste qui a eu 1000 fois raison de prendre le risque de voler de ses propres ailes"
Membre originelle d'Arcade Fire, Sarah Neufeld a pris ses distances avec la formation puisque depuis 2013 et la sortie de l'album Reflektor, elle n'est plus créditée qu'en tant que musicien live. Il faut dire qu'elle s'est investie dans davantage de projets. Des envies d'ailleurs, ainsi sans doute que de pouvoir être le seul maître à bord, l'ont amenée à entamer une carrière solo, dont The Ridge est le deuxième album (disponible le 26 février chez SN Music). Avoir le courage de prendre ses distances d'une formation qui rencontre un grand succès est un défi qui témoigne d'un grand courage, mais la dame en a-t-elle les moyens ?
Les questions s'envolent dès l'écoute du morceau-titre "The Ridge", qui ouvre l'album. Entre rock atmosphérique (on trouve tout de même un peu de batterie, et une production qui ne trompera personne sur le background de la musicienne), choeurs post-rock et musique minimaliste, Sarah Neufeld possède clairement un univers à part, bien à elle, qu'il eût été dommage de laisser dans l'ombre. Si parler de post-rock n'étonnera pas grand monde, les autres influences revendiquées du projet méritent quelques mots pour les néophytes.
Béla Bartók, Arthur Russell, Iva Bittova, Steve Reich... Soit des musiciens issus du classique, mais qui ont tous développé des liens avec la musique populaire : Bartók en tant qu'un des premiers ethnomusicologues, très attiré par les musiques tziganes, Iva Bittova, qui a commencé dans le théâtre d'avant-garde avant de se diriger vers le classique, Arthur Russell, qui a fait beaucoup de musique de danse, et Steve Reich, l'un des papes de la musique minimaliste, souvent appelée musique répétitive en France, avec des patterns assez simples qui tournent en boucle. Ce dernier descriptif correspond très bien à la musique de Sarah Neufeld, qui adopte le même type de structure.
Car bien évidemment, le violon se taille la part du lion. Mais là où l'on peut faire un parallèle assez clair avec le rock, c'est que la répétition des motifs évoque bien évidemment les riffs de guitare. Avec, certes, un son tout à fait différent, mais il est assez clair que ce projet a tout ce qu'ilfaut pour séduire les amateurs de musique un peu atmosphérique au sens large, et ne devrait pas décontenancer outre-mesure les amateurs de rock ouverts d'esprit.
Ambiances mystérieuses et un peu sombres ("The Ridge", "Chase the bright and burning"), ou au contraire lumineuses ("The Glow", "we've got a lot", qui se rapproche davantage d'une chanson conventionnelle), l'album dévoile une palette de couleurs assez riche pour que l'album ne dévoile véritablement ses richesses qu'après plusieurs écoutes. Il s'avère même être un vériatble bonheur auditif, à deux conditions : un, que vous ne soyez pas allergique au violon (sinon c'est mal barré). Deux, que l'aspect répétitif inhérent à la musique minimaliste ne vous rebute pas : "A long awaited scar" ne démarre véritablement qu'après 4 minutes passées, grosso modo, à répéter le même motif. C'est bien sûr voulu, afin que l'auditeur tende l'oreille, jusqu'à la délivrance d'un motif qui tranche avec le reste, soutenu par une grosse caisse, puis des choeurs de nymphe. La démarche est ce qu'elle est, et si elle peut s'avérer jouissive, elle n'en laissera pas moins des gens sur le rivage.
Mais pour peu que vous ne soyez pas effrayés par ce que certains verront comme des écueils, alors The Ridge pourra s'avérer être un album aventureux, à la croisée de chemins mis en harmonie avec talent, et le manifeste d'une artiste qui a eu 1000 fois raison de prendre le risque de voler de ses propres ailes.