"Some Bodies est tout sauf un ratage, mais n'égale pas son prédécesseur "
On l'aura attendu ce deuxième album de Skinsitive. Plus de trois ans et demi que Her(tz)oin est sorti et nous avait fait découvrir cet univers singulier. "A la croisée de Patti Smith et de NIN" clamait la bio, et la bio ne mentait pas. Ce premier jet était extrêmement touffu, mais pour qui faisait l'effort de l'apprivoiser, il dévoilait de grandes richesses : des titres parvenant à mélanger tant de choses différentes ne pouvaient que forcer l'admiration. Du coup, on était forcément curieux d'entendre la suite des aventures du projet et de son maître à penser Virginia B Fernson, qui a choisi de prendre son temps pour réaliser ce qui doit être la deuxième étape d'une trilogie.
Après qu'un premier extrait ait atterri sur le net, illustré par un beau clip, l'album est disponible depuis le mois dernier. Attention, comme précisé plus haut, on n'entre pas dans un album de Skinsitive comme dans une taverne : cela requiert de la patience, qui peut être grandement récompensée une fois qu'on est parvenu à en percer les secrets. Pourtant, j'ai eu beau m'employer, impossible cette fois de me défaire d'une impression un peu mitigée.
Commençons par les points positifs : Virginia et ses collaborateurs proposent un enregistrement particulièrement soigné. Au niveau des arrangements, l'ensemble a beaucoup plus de gueule. Il suffit d'écouter le final du single "The 27th Turn" : l'enchevêtrement des voix est parfaitement géré, pour une montée en puissance qui n'est pas sans évoquer NIN. Pourtant, dès le deuxième titre, Some Bodies change complètement de direction et se dirige vers des territoires bien plus glauques. A commencer par "All is for the best", blues punk cassant pas foncièrement intéressant. Surtout, le morceau tranche si radicalement avec le précédent qu'il est difficile, voire impossible, de l'écouter en toute objectivité. Peut-être aurait-il eu un autre impact s'il avait été placé ailleurs ?
C'est en fait tout l'album qui est construit un peu bizarrement. La première partie est assez agressive, avant que "The Tempest", titre instrumental ambiant, ne vienne marquer une séparation avec une seconde partie globalement plus douce. Il y a peut-être une explication conceptuelle derrière ça (marquer le milieu de la trilogie ?), mais en l'état, les titres auraient gagné à être agencés différemment. Le second point qui fâche vient des titres eux-mêmes, globalement plus monochromes que précédemment (notez bien le "globalement", le groupe n'a pas subitement décidé de faire de l'émocore).
Si l'album en lui-même brasse toujours les genres avec talent, il ne le fait plus au sein d'un même titre, ou en tous cas beaucoup moins. De sorte que si l'album est plus accessible, il donne aussi l'impression de tirer dans tous les sens, là où Her(tz)oin parvenait à conserver une impressionnante cohérence du début à la fin. Or, dans un projet comme celui-ci, qui cherche à éviter de proposer des mélodies trop faciles, trop accrocheuses, ce genre de problème s'avère d'autant plus voyant.
Cette séparation des genres, qui reste relative mais est plus prononcée que précédemment (et qui encore une fois est peut-être justifiée d'un point de vue conceptuel), est assez malvenue d'un point de vue strictement musical. C'est dommage, car pris indépendamment, certains titres sont très efficaces : du côté agressif / énergique, "Long Teeth small Tricks" ou "Teen(r)agers" combinent la violence et le groove avec bonheur (la grosse basse du premier n'est pas sans évoquer Marilyn Manson période Holy Wood), "They" se paye un superbe break final qui tranche parfaitement avec l'ambiance du reste du morceau... De la même façon, sur la partie "calme", "Black sand" est absolument magnifique avec son petit gimmick de piano qui ne lâche plus l'auditeur, et les différentes incursions en français sont convaincantes.
Alors pourquoi cette impression que l'album ne décolle jamais vraiment ? Difficile à expliquer clairement. En cherchant à séparer davantage les ambiances sur plusieurs titres, en privilégiant la narration à l'accroche (finalement assez peu de parties qui restent dans le crâne, même après plusieurs écoutes), Skinsitive a dilué ce qui faisait sa plus grande force. On retrouve encore de belles réussites, mais pas tout le long d'un album qui, du coup, devient un peu longuet, dont on zappera quelques pistes à l'occasion, même s'il est tout à fait possible que cette nouvelle approche ait ses partisans. En définitive, et en ce qui me concerne, Some Bodies est tout sauf un ratage, mais n'égale pas son prédécesseur.
6,5 / 10