C'est un peu à l'inconnue que l'on gagne la cité phocéenne en ce 3 avril grisâtre : ce soir c'est Birth Of Joy, trois néerlandais à la solide réputation live, qui prennent possession du Poste à Galène. La Grosse Radio était présente quelques jours plus tôt en la capitale, au Point Ephémère où le groupe a donné un concert qui a, semble-t'il, parfaitement conquis notre rédacteur. Mais Marseille, c'est bien mieux que Paris ; on devrait donc logiquement passer un très bon moment.
Autant que l'on a pu en juger, leur dernier album, Get Well, s'était avéré légèrement plus faible que les précédents (opinion toute personnelle puisqu'il a tout de même obtenu son brevet d'excellence dans nos colonnes, avec un 9/10, jamais attribué à la légère), sans doute plus conventionnel avec ses nombreuses références à la scène power-garage actuelle ; un petit air de déjà-vu donc, rien de bien grave. Ainsi, il s'agira de voir comment ces nouveaux titres passent l'épreuve du live et quel visage ils présenteront sous le feu des proj – mais BOUM, tout juste le temps de boire une Cagole que le concert commence déjà, un géant blond enfourchant sa stratocaster blanche sourit bruyamment dans un micro, et c'est à peine si l'on a eu le temps de se rendre compte qu'il s'agit de Kevin Stunennberg, leader du combo d'Utrecht.
« Bonsoir, les amis » nous avait-il pourtant harangués avec son accent de touriste hollandais, mais difficile d'imprimer pour nous bêtes provinciaux, il n'est que 20h45, aucune première partie n'est venue jouer-mal-pour-mettre-la-tête-d'affiche-en-valeur. Les trois musiciens sautent à pieds joints dans un bassin d'eau froide et les premières notes de "You Got Me Howling", single pourtant efficace extrait du dernier opus, ne trouvent aucun écho dans l'assemblée ; des types accoudés au comptoir tournent des yeux hagards en direction de la scène, il semble que personne n'était prêt à commencer, pas même les mecs de l'orchestre.
L'ambiance est fraîche, la salle de la rue Ferrari est à moitié vide ; en même temps, la date n'est pas idéale, c'est dimanche : demain, les gens travaillent, ou ont des examens à la fac à 10 heures du matin, par exemple.
La situation est d'autant plus regrettable qu'à entendre les conversations du fumoir quelques minutes avant, leur précédent passage ici-même il y a plusieurs mois avait fait salle comble ; certains y étaient, d'ailleurs salués par Kevin (« We have great memories here !», prenez ça, Parisiens), et jurent que la soirée avait été particulièrement enthousiasmante.
Mais le début de ce concert-ci est poussif ; sans doute cette tournée effrénée ne leur laisse que peu de temps pour se reposer, c'est en tout cas ce que le gras de leurs cheveux semble indiquer ; le trio marque le pas. Le batteur, tout en faisant preuve d'une technique et d'une créativité intéressantes, semble un poil fébrile, sa frappe est molle et le groove général en pâtit. L'assistance, bien que clairement ralliée à la cause du groupe, s'essouffle un peu dans ses encouragements.
Un premier virage, toutefois, est amorcé au quatrième morceau, une ballade qui permettra au claviériste Gertjan Gutman (dont on se rend compte qu'il est clairement l'attraction de la soirée si l'on se remémore les conversations des gens qu'on avait très impoliment écoutées avant le concert) de rendre l'espoir à son public : il se lance dans un solo qui ne fera pas encore la preuve de toute sa technique, mais qui porte déjà un certain raffinement mélodique avec ses quelques gammes empruntées au monde jazz. Dès lors, le spectacle se fera à l'image de ce morceau : un long crescendo parfaitement jouissif.
Birth Of Joy peut alors déployer joyeusement son jeu tout en fractures de rythmes, d'ambiances, de tempos... Tout bascule à l'occasion d'un boogie énervé sur la base de "On The Road Again", comme tous les bons blues-rock, « fait pour que vous puissiez remuer vos hanches » nous encourage Kevin.
Le groove est effectivement particulièrement dansant ; comme le public semblait déjà conquis avant même le début du concert, il part au quart de tour et l'ambiance devient franchement folle ; le Poste à Galène était à moitié vide, il est soudain à moitié plein, et tape des mains-tape des pieds les oreilles écarquillées humant dans l'air les couleurs criardes des solos de guitare, des solos de clavier dingos, dérangés et dérangeants qui vont se succéder, longs, incarnés, intenses.
Les morceaux s'enchaînent sans même qu'on s'en rende compte, Bob Hogenelst à la batterie est métamorphosé, tape enfin sur sa Ludwig et prouve qu'il possède l'une des plus grandes qualités du batteur, celle de mettre ses camarades en valeur avec un panache monstrueux, ses pèches sont précises et intelligemment placées, la complicité avec Gertjan est évidente, enfin la main gauche de Gertjan puisque sa main droite est occupée à tisser de formidables envolées entre les cordes de la stratocaster blanche telle une araignée radio-active (v'là la comparaison), il est partout, au four, au moulin, à la boulangerie et même à la pizzeria tiens, fait le show sous les vivats de la foule sans s'arrêter un seul instant de faire la gueule – quelle classe – tandis que Kevin saute partout sur ses jambes interminables sue sans retenue dans sa chemise à fleurs – qui aurait pu croire qu'on pouvait envoyer de telles vibrations, vêtu d'une telle chemise.
Toutes les qualités du groupe nous explosent à la gueule, c'est lourd, c'est aérien, c'est foutraque, c'est virtuose, c'est rétro et terriblement moderne, ça swingue et ça dégueule, c'est du pur rock'n'roll. Bob aura même finalement droit à son petit solo de batterie, il a vraiment de chouettes copains. On s'approche de la fin... Birth Of Joy joue "Make Things Happen", tube issu du premier album que tout le monde attendait, les musiciens fatiguent, se relâchent un peu mais personne n'y prête attention, c'est trop tard, le public est parti, saute comme une seule groupie au rythme du charley-synthé en contre-temps du refrain, pluie de solos encore, on fait durer le plaisir...
C'est fini, Gertjan sourit finalement (vite fait) en quittant ses claviers, on ne les laisse pas partir comme ça, un rappel, on a à peine le temps de profiter du rythme tribal et sauvage de "Hands Down" (bien plus intéressant que sur l'album par ailleurs) et hop, c'est emballé.
Outch.
« O'fan, c'est le nouveau Ray Manzarek » chuchote-t'on çà et là ; Gertjan et son son de super nintendo cassée ont fait forte impression bien que l'on ait remarqué qu'il était moins sollicité qu'auparavant... Sans doute parce que le guitariste a « bien pris de la graine, con » depuis la dernière fois, s'autorise de plus amples envolées solistes.
Une légère frustration se ressent dans la salle, on en voulait plus, il est trop tôt ; mais c'est dimanche, demain les gens travaillent, ou ont des examens à la fac à 10 heures par exemple... Une chanson de Jon Spencer Blues Explosion résonne au bar, on nous fait subtilement comprendre qu'il est temps de rentrer en rallumant toutes les lumières d'un coup – adieu magie de la pénombre.
Il pleut dehors, on grimpe dans la voiture ; on se dit qu'il est peut-être temps de rejuger Get Well ; on insère le CD dans le poste, on démarre, on se perd dans Marseille avant de se jeter sur l'autoroute, inhabituellement envahie par le brouillard (d'ailleurs c'est vraiment super dangereux, plein de brouillard, comme ça), comme si le Grand Nord avait suivi Birth Of Joy jusqu'entre les murs du royaume de la bouillabaisse. Kevin crie sur l'A51. Pas de miracle : "Hands Down" n'est toujours pas terrible. "You Got Me Howling", en revanche, nous convainc : on y retournera.
Photos : Thomas Sanna