Neuvième album de Polly Jean Harvey, The Hope Six Demolition Project se démarque de la discographie de l'Anglaise. Jamais PJ n'a attendu 5 ans pour sortir un album. Le dernier était l'étrange Let England Shake en 2011. Depuis, PJ a roulé sa bosse, a voyagé pour trouver l'inspiration lors de sa série de voyages à travers le monde ces dernières années, notamment au Kosovo et en Afghanistan. Et de l'inspiration, il lui en fallait après Let England Shake et White Shalk en 2007 qui nous avaient laissés sur une sensation d'inachevé, des belles sensations certes mais trop produits que ces albums. Si l'on peut apprécier une progression constante de son style depuis les rugueux Dry et Rid of Me en passant par les délicieux To bring you my love et Is This desire?, aucun album ne se ressemble, c'est bien avec John Parish, producteur de quatre de ses albums, que PJ nous aura le plus séduit avec leur album en duo Dance Hall at Louse Point, album majeur sorti il y a pile 20 ans.
PJ, dos au mur
Cinq ans donc depuis Let England Shake (dont on ne comprendra finalement jamais pourquoi la critique l'avait encensé... Du moins, on ne veut le comprendre) et deux voyages salvateurs pour aller à la rencontre des vrais gens à la dure au Kosovo et en Afghanistan. Elle en ramène un hymne pour l'espoir, pour la paix, pour les opprimés. Avec des titres comme "The community of hope", "Chain of keys", "The ministry of defence" ou "The ministry of social affairs", PJ Harvey écrit son programme musical politique. Sur la quasi totalité de The Hope Six Demolition Project, la batterie est martiale, les rythmes sont saccadés, et des choeurs d'hommes la soutiennent. Bien sûr, sa voix fine offrant des mélodies inimitables est en avant, comme un guide. Qu'elle se mette à la tête d'une révolution mondiale, on la suivrait !
Ce neuvième opus a été enregistré lors d'un mois de résidence au Somerset House de Londres. Curiosité, le public a pu assister à 45 minutes par jour du 16 janvier au 24 février 2016 à cet enregistrement produit par Flood et John Parish donc. Un son live en ressort, beaucoup d'écho, de réverb'. On laisse tomber la sophistication des deux derniers albums et on retrouve les sons du début de sa carrière. C'est bien plus Rock, plus âpre, grinçant que les précédents. On retrouve des guitares viriles (riffs de "Ministry of Defence") ou accrocheuses ("A line in the sand"), discrètes ("Medicinals") voire lointaines ("The Wheel"). Des batteries militaires, on l'évoquait plus haut. Mais ce sont surtout les cuivres qui sont mis en avant sur cet album, et notamment le saxophone. Là où le saxo était free jazz et omniprésent à en devenir agaçant dans le dernier David Bowie, Blackstar, dans The Hope Six Demolition Project, il s'intègre en s'adaptant aux différents styles représentés.
On remarquera "River anacostia" qui ressemble à - ou du moins rappelle - "Down by the water" de l'album Bring you my love (1995). La musique Noire est également représentée, par suggestion comme sur ce morceau avec l'intro et les choeurs lointains rappelant le gospel et les chants des esclaves, mais aussi par le Blues dans "Ministry of Social affairs", toujours dans l'intro et en fond, tandis que le saxo pleure. Que de morceaux de bravoure, c'est délicat et sombre mais on ne tombe pas dans le geignard, non, cet album parle de sujet durs tout en restant léger ("A line in the sand", "Medicinals"). La désespérance et la désolation sont combattus avec indignation, avec force, avec fougue par PJ Harvey.
Pour se donner de l'allant, avec "The Wheel", on claque des mains et on regarde le clip réalisé par Seamus Murphy qui a suivi Polly Jean dans son périple au Kosovo. Un clip sous forme de documentaire qui montre le folklore local mais pas seulement, police et décharges y passent aussi dans une vision d'un urbanisme délabré :
La misère contre laquelle il s'agit de lutter et que PJ Harvey met en musique sur des paroles imagées, on ne la trouve pas qu'en Afghanisaton ou au Kosavo, non dans le quart-monde aussi, ces ghettos, ces poches de pauvreté qu'on trouve dans les grandes villes, les métroples des pays riches, comme à Washington ("The Community of hope" parle des quartiers pauvres de cette ville) où la chanteuse a voyagé pour cet album, ce qui n'a pas été bien vu et reçu, pays où le vernis doit être parfait. PJ épingle aussi les Etats-Unis avec le symbolique "Near the memorials to Vietnam and Lincoln", deux mémorials situés dans la capitale américaine. Abolition de l'esclavage et morts inutiles au Vietnam. Je ne vous fais pas de dessin.
The Hope Six Demolition Project est un album marquant, engagé, surprenant, réussi. PJ Harvey nous entraîne sur le chemin de l'espoir, de la libération. Il fallait une rockeuse comme elle pour se faire la voix de notre génération perdue, déclassée, en lutte pour la reconnaissance et contre l'oppression du système et de son ridicule dans lequel il nous jette tous. C'est un album qu'on écoutera, réécoutera jusqu'au grand soir...
Track list :
The community of hope
The ministry of defence
A line in the sand
Chain of keys
River Anacostia
Near the memorials to Vietnam and Lincoln
The orange monkey
Medicinals
The ministry of social affairs
The wheel
Dollar, dollar
Crédit photo : Maria Mochnacz