"Distiller cette touche de noir résolument honnête dans un monde de douceur hypocrite lui offre une dimension particulière, quasi-salvatrice. Il s''agit d'un appel à se réveiller, à se détourner des bonheurs illusoires "
La Pietà est un projet qui n'a peur de rien et qui y va à fond. Sorti de nulle part ou presque, cet EP (sortie le 3 mai) est le défouloir d'une chanteuse qui a souhaité rester anonyme pour plusieurs raisons. L'une d'elles est tout simplement l'essence même du projet, qui cherche à s'adresser à tous, au-delà des apparences, et à faire en sorte que les auditeurs concentrent leur attention sur l'artistique (l'image joue un rôle certain) plutôt que le physique des musiciens. En effet, entre slam, chanson (on parle ici de la grande chanson française, pas de Raphaël ou Bénabar) et rock, La Pietà prend un malin plaisir à se faire inclassable. Mais si une chose ne fait pas de doute, c'est la terrible noirceur dans laquelle baigne le projet.
Les diverses illustrations qui accompagnent la musique, systématiquement en noir et blanc, traduisent un profond mal-être face à l'aseptisation ambiante. La Pietà ne cherche pas à sortir un refrain accrocheur, à se conformer aux règles en vigueur de la musique populaire, mais au contraire à revenir à l'ambition artistique première : provoquer une réaction. C'est là l'essence de l'art, qui ne doit pas nécessairement être consensuel ou même agréable : l'art traduit des émotions, appelle à réfléchir, à réagir. Et, bien qu'on ait tendance à l'oublier, la musique est un art, ou en tous cas elle peut l'être. Non pas que la musique populaire soit intrinsèquement mauvaise (on aime tous s'écouter du couplet / refrain efficace de temps en temps). Mais en l'occurence, La Pietà sort ses tripes et envoie des textes superbement écrits d'où perce une colère glacée.
Les intentions sont d'ailleurs énoncées de façon on ne peut plus claire le long de textes en apparence un poil bordéliques (l'aspect légèrement slam, qui confère davantage d'énergie), mais finement ciselés dès qu'on fait l'effort d'écouter (ce qui n'enlève rien à leur violence intrinsèque). L'artiste ne cherche nullement à caresser qui que ce soit dans le sens du poil, juste à sortir ce qu'elle a sur le coeur. Si la noirceur du projet a de quoi faire frémir, difficile de rester de marbre. Les textes durs accompagnent une musique étouffante, mais le talent d'écriture est là et c'est avec grand intérêt que l'on écoute cette voix implacale sortir sans pitié ses quatre vérités à tout ce qui lui fait horreur dans notre modernité : l'hypocrisie, le mensonge, le conformisme, le refus de la différence, la lâcheté...
Ces 3 titres qui constituent ce premier EP sont donc d'une noirceur de tous les instants. Une noirceur qui pourrait s'avérer étouffante si elle se poursuivait le long d'un album. Fort heureusement, nous qui avons déjà pu écouter le second EP prévu pour le 3 juin, savons que ce n'est pas le cas, et que La Pietà est également capable de proposer des titres différents. On en reparlera en temps voulu. En ce qui concerne ce Chapitre I, il s'agit du manifeste d'un projet très intéressant, jusqu'au-boutiste et artistiquement très fort. Surtout, distiller cette touche de noir résolument honnête dans un monde de douceur hypocrite lui offre une dimension particulière, quasi salvatrice. Il s'agit d'un appel à se réveiller, à se détourner des bonheurs illusoires. Vu l'ampleur de la tâche, La Pietà devrait être déclarée d'utilité publique.