Sting au Zénith de Toulouse (22.02 2012)

Il y a quelques temps, j’ai écrit une chronique sur le concert d’Incubus à Paris, concert dont j’étais ressortie quelque peu déçue. J’aimerais mettre cette chronique de Sting au Zénith de Toulouse en parallèle, façon combat des Titans, parce qu’Incubus et Sting font tous les deux partie du Top Ten de mon Panthéon musical personnel, que c’était la première fois que je les voyais en concert, et que les deux ont joué dans un Zénith.

Le Back to bass tour était présenté comme une reprise rock des standards de Sting façon retour aux sources, avec bien sûr Sting à la basse. On me promettait donc des chansons connues avec le risque du réchauffé, du rock version incertaine tant il a touché à tous les genres, le tout dans le plus gros Zénith de France dont j’appréhendais l’acoustique vu l’expérience parisienne. Mais c’était Sting, et quelque part, j’avais posé un gros challenge sur ce concert, du genre "si je suis déçue ce soir, j’arrête la musique et je vais me pendre". Vous serez donc rassurés sur la qualité du concert (à défaut d’être rassurés sur ma santé) puisque me voilà en train d’écrire cette chronique.

Rien qu’en arrivant dans la salle on pouvait sentir que les choses seraient différentes du concert d’Incubus : de gros rideaux isolants  sur les côtés, une musique d’ambiance déjà parfaitement calibrée du point du vue acoustique, et une scène en configuration "intime" ; peu d’instruments visibles, un éclairage ultra sobre centré en plein sur le micro principal, pas de fond de scène spécifique. Less is more, comme disait le moine anglais, ça m’avait tout l’air d’être une préparation innocente à en prendre plein la gueule.

La liste des artistes qui sont entrés sur scène était déjà un poème à elle toute seule :

Sting au chant lead et à la basse, on ne le présente plus (que les gens qui résument Sting à The Police soient rassurés, ils ont seulement loupé le meilleur).
Dominic Miller pour les guitares, l’ami de toujours, une fiabilité sans faille (il aurait fallu que le Zénith s’écroule pour qu’il perde son flegme).
Vinnie Colaiuta à la batterie, excusez du peu (Frank Zappa, Megadeth, Herbie Hancock,… et Sting, pour ne citer qu’eux) ; quand on est batteur, de quoi pleurer sa mère quand il touche les fûts.
Voilà pour la moitié de scène du côté des monstres sacrés. En face, trois « p’tits jeunes » :
Rufus… Miller. Hé oui, le fils de son père, pour la 2ème guitare ! Présenté par Sting avec beaucoup d’humour.
Peter Tickell au violon et à la mandoline, un musicien anglais dont je n’avais pas entendu parler, mais qui avait en fait déjà participé à l’album « If, on a winter’s night » (le seul album de Sting sur lequel je n’ai pas accroché !).
Jo Lawry au chœur et violon, qui avait déjà accompagné Sting pour le Symphonicities tour, et qui a en particulier chanté avec lui sur le sobre et magnifique « You will be my ain true love » de l’album éponyme.

Colaiuta, Miller, bacl to bass tour

Des musiciens choisis par Sting ne peuvent pas être mauvais… et en effet, nous en avons triplement pris pour notre grade, dans le genre sobriété, efficacité, émotion. Une véritable leçon de musique, mais aussi du rock presque façon private room tant la complicité avec les artistes, et entre les artistes, était grande. Un show sans frous-frous scéniques, des instruments vintage, des éclairages quasi monochromes pour un camaïeu entre noir et blanc, au final restait l’essence même de la seule et unique chose véritablement importante : la musique. Pas de misère à cacher derrière un jeu de scène superficiel, pas d’esbroufe, pas d’over-plein-de-choses pour masquer la pauvreté émotionnelle, tout reposait sur l’interprétation des morceaux, et rien de plus n’était nécessaire que ce qui a été joué ce soir là.

Sur une set list conséquente de 22 morceaux piochés dans tout le répertoire de Sting, zesté d’un peu de The Police, pas une faute de goût. J’ai pu entendre quelques-uns de mes morceaux favoris, mais surtout, j’ai totalement redécouvert des morceaux dont j’avais sous-estimé le potentiel dans une nouvelle interprétation totalement inspirée, comme un "Sacred love" groovy à mort, et un "Inside" absolument transcendantal. Impossible de rester de marbre à l’écoute d’ "I hung my head", dans une version aussi fine qu’épurée, de "Mercury falling" joué avec une lente montée irrésistible, ou d’un "Ghost story" construit pour toucher droit au cœur ; si tu n’as pas de frissons face à ça, tu es un troll. Moi je ne suis pas un troll, j’ai eu les larmes aux yeux, tu vois parfois le bonheur ça fait pleurer 😉

Le show était d’ailleurs lui-même une tranquille montée en puissance : danse endiablée des gobos,  arrangements de plus en plus riches, mélange des trames vocales aux mélodies planantes des violons, faux solos de batterie parfaitement perceptibles, tout était calculé pour que, mine de rien, on se fasse prendre la main dans le pot de confiture à en demander encore ; un peu comme les baïnes des plages du sud-ouest, où quand tu as de l’eau seulement jusqu’aux genoux, tu crois que c’est sympa et peinard, et soudain tu réalises que tu as été emporté en plein large. Sauf que là, au large, c’est sans danger et même fortement recommandé pour la santé.

Côté son, ce fût une véritable réussite. Les subs avaient une finesse d’orfèvre. J’aurais souhaité un chouïa plus de présence de la basse à quelques rares moments, car j’adore cet instrument (et je pense qu’il est, à tort, bien trop souvent planqué en simple soutien derrière des guitares tapageuses), mais la star du concert n’était pas la basse, c’était la musique, et je n’ai eu aucun mal à me faire une raison. Histoire de pinailler, il me semble qu’il y avait une petite saturation sur les aigus quand Vinnie était en mode "full-cymbales-j’envoie-du-steak" ; mais à côté de cela, quel plaisir d’entendre toute la souplesse et la rondeur du jeu, quelle bonheur qu’une ride qui sonne bien et une caisse claire dont on perçoit toutes les subtilités ! C’est donc avec un plaisir non feint que je renvoie une nouvelle fois à la niche tous les trolls donneurs de leçon qui prétendent qu’un son puissant fait mal aux oreilles. Quand on a affaire à des gens compétents, les bouchons d’oreilles révèlent ce qu’ils sont réellement le plus souvent : la béquille nécessaire d’un système handicapé par ses préjugés sur le rock.

Lawry Tickell, Back to bass tour

Du côté du jeu des musiciens, évidemment, pas grand chose à reprocher.

Vinnie Colaiuta est un fou furieux incapable de jouer deux coups à la suite sans ajouter une nuance ou une couleur ; de la finesse, de la précision, du grand délire, il sait tout faire, et sa vigueur est redoutable.  Si on avait mis des pelotes de laine au bout de ses baguettes, je pense qu’il aurait tricoté de quoi habiller toute la salle pendant le set.

Dominic Miller et fils nous ont donné des moments bien sympathiques pendant le show. On n’ose imaginer la pression que doit parfois ressentir le jeune Rufus avec un tel père et un tel frontman…  A 26 ans, il semble en avoir une petite vingtaine, et il était touchant de voir à quel point son visage reflétait autant la volonté de ne pas se laisser déconcentrer que la recherche du plaisir dans le jeu. Un Rufus Miller à 2 doigts de la transe, ça laisse augurer d’un bon avenir.

Peter Tickell a le même âge que Rufus, et une énergie dans l’interprétation qui a beaucoup touché le public ; ses solos ("Never coming home", "Love is stronger than justice",…) étaient de véritables moments de virtuosité mélodique presque rageuse. J’ai toujours trouvé que le violon était un instrument particulièrement ingrat s’il n’était pas parfaitement maîtrisé, mais Peter est bluffant. J’ai aussi bien apprécié l’usage du multi-effets sur le violon, et le choix judicieux des sons lorsqu’il interprétait des parties à l’origine jouées par des synthés, saxos ou autres. L’exercice était d’autant plus périlleux avec un public qui connaissait très bien le répertoire joué, et qu’il fallait convaincre.

Jo Lawry était elle aussi techniquement irréprochable ; sa voix forme un duo particulièrement esthétique avec celle de Sting. Les nappes vocales sur certains morceaux ont été extrêmement bien exploitées. Si je cherche la petite bête, je dirais que, si sa bonne humeur faisait plaisir à voir, son jeu de scène parfois très maniéré avait un côté agaçant et un peu "out " par rapport à la sobre efficacité du reste.

Sting, de son côté, était égal à lui-même : un artiste dans le plein sens du terme, capable de servir du son qui dégomme les trolls en ayant l’air de promener son chien sur Hyde Park, qui prend la peine de parler en français mais ne demande pas d’applaudissements à rallonge après les chansons, le tout avec une présence quasi royale mais jamais écrasante et beaucoup d'humour.

Scène back to bass

Pour terminer mon combat des Titans, Incubus versus Sting, il faut tout de même souligner que pendant le concert une personne est encore tombée dans les pommes à un mètre de moi (je vais finir par me demander si c’est moi qui provoque les syncopes !) ; sauf que cette fois-ci, il y a eu immédiatement plusieurs personnes pour s’occuper d’elle, et qu’elle a été évacuée en quelques secondes. J’aime cet esprit.

Malgré ma chronique déjà bien tartinée, je ne peux pas terminer sans un mot de plus sur Sting (il est dans mon Top Ten, merde, quoi). Le concert était à guichet fermé ; tant que les concerts de Sting seront sold out, j’aurai un espoir sur la santé mentale de l’humanité (et sur notre capacité à vaincre les trolls). S’il sait conjuguer ce qui est à mon sens le minimum syndical du véritable grand musicien (exigence, technique, sincérité, proximité), il y ajoute un charisme qui n’appartient qu’à lui. Vous me direz qu’en tant que fan de longue date, je ne suis pas objective… je vous répondrais que je ne suis fan de longue date que parce qu’il possède cette présence particulière, cette exigence de qualité permanente, et cette compréhension étonnante de tout ce qui touche à la musique, quoi qu’il fasse ; quand on peut faire du rock, du jazz, de la pop, de la world, en étant toujours au top, c’est qu’il existe une réalité devant laquelle il faut bien s’incliner : on est en présence d’un musicien génial. J’ai passé une soirée géniale.

Je laisse le mot de la fin à mon compagnon, métalleux dans l’âme, peut être plus objectif que moi vu qu’il connaissait très peu Sting, et qui m’a dit dans la voiture alors qu’on cherchait un CD pour le trajet du retour : "après un concert comme celui-là, on ne peut plus rien écouter, tout paraît fade !".

Sting, back to bass tour

Photos issues du concert à New York le 09.11.2011

Crédit photos :
http://www.jonklemmphotography.com



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