Kemar de No One Is Innocent pour Barricades Live

Dans le véritable marathon de la tournée Propaganda de No One Is Innocent, longue entrevue avec Kemar, figure embléamtique du groupe.

La composition, l'écriture, la scène, les attentats, l'engagement, abordés sans langue de bois au moment de la sortie de Barricades Live, CD/DVD du concert à La Cigale.

“Quand t'as les titres qu'on joue avec les textes qu'on a, forcément y a un truc qui se passe à l'intérieur du bide”

Mallis : Qu'est ce qui a déclenché l'écriture de cet album, Propaganda ? C'est l'actualité qui t'a poussé à écrire ou alors c'est en composant que tu as cherché des thèmes ?

Kemar : Non c'est la zik, c'est la zik qui est le moteur, c'est garder le désir et l'envie de faire un album, c'est pas parce que t'as envie de parler de certaines choses, c'est la musique qui dicte la loi. Donc voilà, à un moment on s'est remis à bosser, on a eu des périodes de trous, de non inspiration, de mauvaises directions, on s'est lâchés un peu la grappe et puis tout d'un coup, y a Poppy le deuxième guitariste (parce que Shanka était aux Etats-Unis à ce moment là) il arrive dans l'affaire et comme c'est un vieux pote et qu'il vient me faire écouter ses maquettes de son groupe, je trouve que le mec il a du talent et puis il est facile, on peut travailler hyper facile, hyper vite et voilà, tout d'un coup ce mec rentre dans la bulle et c'est le démarrage de Propaganda.

Mallis : Et c'est en partie avec lui que vous êtes revenus au rock tel que NOII le faisait au début ?

Kemar : Après les phases de trous et d'interrogations, il y a eu les démarrages de "Djihad Propaganda" et de "Silencio" qui sont arrivés et ça a donné le ton et là on s'est regardés et on s'est dit "ok".
Si tu veux, notre corps il fonctionne avec la musique... moi beaucoup, mais les autres aussi, parce que les autres je les matte, et quand y a les corps qui commencent à bouger, c'est que c'est bon signe.

Mallis : Et là les corps ils bougent, sur scène, comme dans la fosse...

Kemar : Ou même en répète, mais la genèse des types quand ça commence à s'exciter, tu vois que les instruments commencent à bouger, ils prennent vie, t'es là... putain... on fonctionne vachement avec le corps.

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Mallis : 20 ans après "La peau", le ton monte encore et pas qu'un peu, idem pour ton énergie sur scène, c'est quoi le moteur, la colère, le besoin de faire passer ton message, un appel à la conscience citoyenne ?

Kemar : L'énergie sur scène c'est l'interactivité qu'il y a entre nous, c'est-à-dire, que le chanteur qui raconte un truc ça touche le mec qui va taper sur sa batterie, le mec qui va faire le riff de grat', le mec qui va jouer sa ligne de basse, et, à l'inverse, ce que les gars vont me renvoyer, bah, ça joue sur moi.

Mallis : C'est une énergie qui tourne ?

Kemar : Wai, exactement ! Les gars ils me le disent, on ne peut pas rester insensible à ce que tu racontes, donc quand t'as les titres qu'on joue avec les textes qu'on a, bah forcément y a un truc qui se passe à l'intérieur du bide.

Mallis : T'as déjà eu des types hostiles aux messages que tu envoyais ?

Kemar : Rarement mais wai ça arrive. A un festival de bikers près de Clermont-Ferrand où t'as 10.000 personnes devant toi, pis on attaque "La peau", enfin juste avant j'balance un p'tit message anti-fachos et euh, au bout d'une minute, y a deux, trois, quatre canettes en verre qui commencent à être balancées...

Mallis : Et alors tu réagis comment ?

Kemar :  Bah euh t'esquives (rires) et pis à un moment quand t'as une canette qui claque sur la basse, là je regarde les gars et je fais "ok on s'arrache". Mais c'était pas forcément les bikers hein, c'était peut-être dix connards...

Mallis : Comme dans les manifs, c'était des casseurs !

Kemar : Voilà, exactement, c'était dix connards et euh, d'ailleurs je me rappelle en sortant de scène avoir vu les bikers qu'étaient devant et qui faisaient le service d'ordre, tu vois, qui cherchaient les mecs et qu'avaient envie de les tuer... voilà, après euh y a deux ou trois plans intempéries où à un moment y a l'orage qui déboule et là... c'est fini quoi.

Mallis : On a pu voir No One Is Innocent en ouverture pour AC/DC au Stade de France, à La Cigale (c'est là que la captation pour le DVD Barricades a été faite, seulement 15 jours après les attentats de Paris en novembre dernier) mais aussi dans des salles beaucoup plus modestes, par exemple je suis venu vous voir à l'Abri Blues de Bois d'Arcy, vous êtes bookés sur le Hellfest de cette année, c'est quoi les différences dans la façon d'aborder des lives dans des endroits aussi différents ?

Kemar : C'est pareil. Nous, on monte sur scène comme si c'était le dernier concert, grande salle, petite salle, stade, tout ce que tu veux, c'est la même chose. De toutes façons, tiens, je vais te donner un exemple, y a quinze jours, je ne sais plus à quel concert, y a Shanka qui me dit, dans les loges, juste avant d'attaquer, il me fait : "Wai euh Kemar, ce soir j'y vais tranquille hein" moi je fais : "wai bah wai fais comme tu veux, checke ta montée en puissance comme tu veux". On sort de scène et il me dit : "Putain, mais merde, j'en ras-le-cul de ce groupe !" mais wai, tu vois le problème, on joue "Silencio" en 2 depuis un moment et donc il a lâché les chevaux tout de suite ! Donc tu vois on est complètement dépendants de ce qui va être joué et on peut essayer de se faire des plans sur la comète en essayant de se donner un timing de compèt'  mais y a tout qui bascule, y a tout qui gicle !

"Djihad Propaganda"
Live extrait du DVD Barricades
 

Mallis : Dans "Revolution.com" tu trouvais qu'Internet manquait de sueur, as-tu toujours le même point de vue aujourd'hui côté politique comme côté artistique ?

Kemar : Bah disons que tu vois la dernière pétition à avoir bousculé un peu les choses c'est par rapport à la loi El Khomri, ça c'est vrai que ça a fait bougé un peu les politiques, ceci dit, juste au moment où on arrive en interview, ils votent le 49,3 sur la loi (rires) !
Internet c'est un parc d'attractions..

Mallis : Wai mais est-ce que ça ne sert pas certaines causes, même au-delà de la politique, pour la musique, pour des groupes émergents ?

Kemar : Ah wai, mais oui, oui, oui, y a jamais eu autant de ziks, sûrement grâce à Internet.
Moi j'ai toujours considéré qu'il y avait le temps Internet et le temps de la rue, parce qu'Internet seul, ça a ses limites... C'est assez contradictoire parce qu'on a la sensation que c'est no limit internet et je trouve que c'est toujours pas un espace de dialogues parce que tu tombes vite face à des connards qui brouillent ton message...

Mallis : Vous vous en servez pour quoi d'Internet ?

Kemar : Nous on s'en sert juste avec notre Facebook pour communiquer par rapport à ce qu'on fait, ce qui se passe dans le groupe, pour balancer des infos sur d'autres choses aussi, c'est pas que forcément narcissique. Je dis pas que ça aide pas mais par rapport à ce que c'est, tu vois c'est quand même un truc universel qui a changé la face de toutes les sociétés du monde... Si, si y a un truc pour lesquels ça sert c'est dans les régimes dictatoriaux, là, là ça sert, tu vois le Printemps Arabe je pense qu'il ne se serait pas passé si y avait pas eu cette fédération grâce à Internet pour mobiliser les gens.
Ou des mecs qui font du Rock ou d'autres musiques, je sais pas moi, en Iran ou en Irak ou au Moyen-Orient, qu'arrivent pas à sortir la tête et grâce à Internet ils sortent la tête quand même.

Mallis : Ou comme pour les Pussy Riots en Russie

Kemar : Wai exactement.

Mallis : Concernant l'abandon du Rock dans les grandes radios, t'as une explication ? Pourquoi le Rock qui a si bien marché dans les années 90...

Kemar : Bah parce que déjà on est vachement dépendants de ce qui se passe aux Etats-Unis et en Angleterre, de vagues musicales.... nous la chance qu'on a eu, et deux ou trois ans avant on commençait à avoir cette zik dans la tête, mais dans les années 90 quand tu as Nirvana et Rage qui sont là... quand t'as Nirvana qui arrête, tu as un Rage qui arrive juste après et plein d'autres, donc, t'es porté. T'es porté par un mouvement.

Mallis : Donc ça veut dire deux choses, d'abord un groupe comme No One arriverait aujourd'hui il n'aurait pas autant de chance...

Kemar : Non, non, en terme de notoriété... enfin, dans l'idée où pour nous ça a été supra vite, je veux dire, le groupe se forme, pendant un an on bosse et on fait quelques concerts pis boum ça explose.
Après y a aussi le fait qu'il y a, et c'est dommage parce qu'il y a toute une génération de mecs qui font du Rock mais qui font du Rock en anglais. Ils l'ont sûrement peut-être compris aussi mais c'est que chanter en français, wai effectivement trouver le ton pour chanter en français et être crédible et trouver un public quand tu chantes en français c'est super compliqué. Mais, ce que les mecs n'ont pas compris, c'est qu'en France, on a besoin de s'identifier à ce que tu racontes, sinon y aurait jamais eu des Trust, des Mano, des Bérus, des Noir Dez et tout ceux-là... No One, Lofo, Mass, Tagada euh, tu vois !
Tant que les mecs continueront à chanter en anglais et bah le Rock restera underground.

Mallis : En même temps c'est un cercle vicieux parce qu'il y a plein de groupes qui nous disent qu'ils chantent en anglais parce que les radios les jouent pas et que donc sur Internet ils veulent être en anglais parce que sinon personne ne les écoutent, donc c'est bloqué quoi en fait !

Kemar : Bah wai ! Y a quelques groupes qui arrivent un peu à sortir du lot, mais normalement, avec le nombre de groupes qui jouent, tu vois, que ce soit dans les caves ou ailleurs, tous les groupes, genre 80% des groupes qui ont joué en première partie de nous sur Propaganda, ils chantent en anglais les mecs...
Donc voilà, à un moment donné, pourquoi les radios elles passent pas ? Parce qu'en dessous, y a rien qui pousse, donc wai faudrait qu'il y ait tout d'un coup, un, deux, trois groupes qui chantent en français et qui arrivent vénères ! Après il y a rock et rock hein.

Mallis : Wai, y a Indochine !

Kemar : Wai,voilà, c'est ça ! A un moment donné t'as une vague de mecs aussi qu'on entend et qui chantent en français et qui font partie d'une vague rock dans laquelle nous on ne se reconnaît pas.
Après c'est associer le Rock qui dit quelque chose, pas forcément engagé, mais qui te dit quelque chose, pas simplement dans une démarche poétique, un peu lunaire.

Mallis : On a des gens qui font ça en France, on a Eiffel par exemple

Kemar : Wai, bah wai, mais Eiffel c'est un vieux groupe déjà. Si tu veux ce qui nous fout les boules, c'est qu'on part en tournée, y a une ribambelle de groupes qu'on croise et putain, on sent pas les groupes qui nous parlent, qui nous touchent. Un des groupes qui nous a le plus touchés, c'est des gamins de 16 ans, genre qui jouent super pas carré mais qui parlent aux gens, c'est hallucinant, alors évidemment y a aussi la force d'un leader au micro !

Mallis : C'est souvent ce qui manque au groupes de Rock...

Kemar : Mais wai... on dirait que... ça se cache... alors après évidemment, les radios elles prennent ce qu'il y a à bouffer et puis elles te le recrachent et puis voilà ! Tu sais, j'ai fait un test avec mes filles, douze ans et dix ans et demi, à un moment je leur ai dit : "Qu'est-ce que vous écoutez là dans vos portables, vous avez des trucs en français à me faire écouter ?" Elles cherchent, elles cherchent, elles cherchent, et y avait pratiquement que dalle. Je parle même pas de style musical hein, tu vois hip-hop ou ce que tu veux, non, y avait que dalle.

Mallis : « Sous les keffiehs les esprits faibles sont légion » vous avez reçu des menaces sur vos prises de décisions, sur ce sujet ?

Kemar : Non... Non parce que je pense que si on était Louise Attaque et qu'on avait écrit "Djihad Propaganda", peut-être que là euh...peut-être que là ça piquerait un peu..

Mallis : Tu veux dire que c'est parce que NOII n'est pas assez médiatisé ?

Kemar : Mais wai ! Et donc tant mieux quoi. Si... y a un soir où on n'a pas eu le cœur de la jouer c'est euh, c'est après les attentats du 13, même s'il y a un message revendicatif dedans, le 13 et aussi le soir de Bruxelles. En plus c'est un morceau qui nous trouble vachement sur scène, c'est comme une espèce de transe, et donc, j'te jure, chaque fois, on le joue aux rappels et avant de repartir on se dit : "bon euh, prêts à perdre quatre vies ? Wai wai". Mais voilà, tout est une histoire de popularité.

Mallis : Et avant cette affaire de Charlie ça t'était déjà arrivé de faire monter des gens sur scène pour une cause, comme ça ?

Kemar : Wai, wai, plein de fois wai, que ce soit pour les sans-papiers, des « ras-l'front », contre le Front National, wai, wai, bien sûr

Mallis : Et si vous avez laissé ce passage dans le DVD c'est pour que le message continue à passer ?

Kemar : Et d'une parce que ça fait partie du concert, ce concert il a quelque chose de particulier, on a joué huit ou neuf fois à La Cigale, je le dis même dans le live, c'est une scène qui nous a vu grandir La Cigale, mais jamais on avait ressenti autant d'intensité, à cause du moment, c'est-à-dire, quand tu joues quinze jours après les attentats et qu'il y a tout ce qui se raconte autour de la musique, parce que faut pas oublier qu'au-delà des terrasses c'est quand même le Rock'n'roll qui a été visé, tu vois, et la culture, donc avec ce qu'on raconte ça prend des proportions incroyables ce concert.

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Mallis : Et en 2017 si ça revient, vous faites quoi ?

Kemar : On va bouger, il faut qu'on se bouge quoi, j'ai juste peur que ceux qui sont en face traînent la savate, je parle des artistes hein, parce qu'il y a quand même quelque chose de tragique, quand je parle avec les gens de Charlie Hebdo, c'est un débat qui revient souvent, c'est le mutisme intégral du monde de la musique par rapport à ce qui s'est passé, à la fois sur Charlie et à la fois le 13 novembre. Comment ça se fait quoi ? On a organisé des mega concerts pour l'écologie, pour les sans-papiers, contre le FN, et là, y a des tueries, des massacres, chez nous, et genre, les artistes populaires ils sont pas capables de se bouger et d'organiser un truc ? Putain, qu'est-ce qui se passe ?

Moi, même si je suis pas forcément invité, mais qu'à un moment donné y a autre chose qu'une émission de télé sur France 2 où y a des mecs qui viennent chialer dans des micros pour rendre hommage à Charlie Hebdo, mais non ! On fait un Bercy, un hippodrome de machin pour que tout le monde se mobilise pour la liberté d'expression, pour faire vivre les canards, pour qu'on puisse raconter ce qu'on a envie de raconter, putain ça a pas bougé. Les mecs se sont chiés dessus. Les médias je les mets à côté tu vois, on n'a pas besoin d'eux, il faut juste la volonté de producteurs de spectacles, les artistes, les maisons de disques et boum, ça y est c'est parti. C'est incroyable que ça n'ait pas bougé, incroyable ! Moi je suis atterré. Et nous à notre niveau on fait ce qu'on peut faire.

Mallis : Qu'est-ce que t'as envie de répondre aux gens qui contestaient à des gens leur choix d'afficher le "Je suis Charlie" à des gens qui ne lisaient pas ce journal ?

Kemar : Mais non mais sur le moment t'as le droit de te sentir solidaire et dire "Je suis Charlie", point barre quoi ! Après je vais pas te reprocher deux ans après : "Alors, est-ce que t'es toujours Charlie ?". C'est ridicule ces débats. L'esprit Charlie, tout ça, machin... Ca va trop loin, occupez-vous d'aller choper les mecs qui sont censés faire des attentats en France et le reste, Charlie continue à exister, Charlie dit ce qu'il veut.
Par contre ce qui me fait réagir c'est les connards du "Je suis Charlie, mais... ", ça ça me fait réagir, t'es Charlie ou tu l'es pas mais c'est pas "Je suis Charlie mais ils sont quand même allés trop loin" Bah alors s'ils sont allés trop loin c'est que t'es pas Charlie, ferme ta gueule ! C'est ça qui m'énerve !

Mallis : C'est comme certains qui disaient après le Bataclan, notamment dans la fachosphère, "wai enfin ils l'ont quand même bien cherché"

Kemar : C'est ouf' de dire des trucs pareils, là t'es sur une autre planète.

"Kids Are On The Run"
Live extrait du DVD Barricades
 

Mallis : Juste un petit mot sur cette saloperie de 49-3, selon toi faut se résigner ou sortir dans la rue ?

Kemar : Wai mais sortir dans la rue avec mille mecs qui viennent exprès pour foutre la merde je pense pas que ce soit euh... enfin je sais pas, je pense pas que ce soit à moi... j'ai pas trop mon mot à dire, chacun pense comme il veut, je peux pas avoir des avis sur tout.

Mallis : Tu t'exprimes selon toi suffisamment avec ton groupe dans tes lives sans avoir besoin d'aller dans les manifs.

Kemar : Nous, on n'est pas des militants, par contre, s'il y a des gens qui veulent utiliser le groupe pour faire passer un message qui nous convient, wai. Je trouve qu'entre être militant et avoir l'engagement qu'on a, il y a une frontière à ne pas dépasser. Voilà.

Mallis : Parce que ça serait quoi le risque ?

Kemar : Ca serait d'être trop exposés, et ça c'est dangereux, dangereux pour la musique, pour ton image, pour ce que t'es.

Mallis : Tu fais gaffe à ton image ?

Kemar : J'ai pas besoin, en fait je protège les miens, surtout. Je pense pas qu'à ma gueule et je protège les miens, mais je te dis, c'est des trucs tout con, c'est... t'es dans un festo comme vendredi dernier où à un moment donné on est entre nous, ça fait quinze jours qu'on s'est pas vus, c'est l'après concert, on vient de vivre un moment complètement ouf' avec une invasion sur scène pendant "Drugs", on n'avait jamais vu ça de notre vie de toute l'histoire du groupe, on se raconte les trucs, moi je reviens de Cuba, tu vois, j'offre des cigares à tous mes potes, y a les zikos, notre équipe technique, on est contents de se retrouver, et tout à coup y a deux meufs du staff du festo qui sont là et qui participent et puis au bout d'un moment je me rends compte qu'il y a une meuf qui est debout sur une chaise et qu'est entrain de prendre des photos... voilà les moments où il faut se protéger, ça peut paraître tout con mais wai, je cloisonne.
J'ai souvent refusé, soit des radios soit des plans téloches où en fait je me rends compte que j'ai pas ma place et que si j'y vais, je vais les défoncer et que ça va pas me servir donc je préfère rester peinard. On n'a pas besoin d'une mega, ultime reconnaissance, on est archi bien dans nos baskets par rapport à ce qu'on est, ce qu'on joue, ce qu'on chante... Quelque part derrière ça y a du narcissisme, de l'égocentrisme... c'est qu'à un moment donné il te manque quelque chose. Quand tu vas vers les médias c'est qu'il y a un manque.

Mallis : Entre les motivations que vous pouviez avoir en 1994 à l'époque de "La peau" et aujourd'hui, 20 ans après, y a toujours la même niaque ? Toujours ce message que tu veux faire passer... Déjà à 20 ans tu savais ce que tu voulais dire ?

Kemar : Wai voilà c'est là où je voulais en venir, nous, dès le début, on a donné un sens à ce groupe, dès le départ on savait ce qu'on avait envie de jouer, on savait ce qu'on avait envie de raconter et on savait où le faire passer, sur scène, sur skeuds et quand tu sais toutes ces choses là, tu grandis, tu mûris avec tout ça. En fait, en musique, le plus important, c'est de savoir qui tu es, quand tu sais qui tu es, putain, t'avances à fond.
Moi par exemple j'ai mis vachement de temps à écrire en français, le premier album de No One c'est neuf titres en anglais... trois en français, alors évidemment on a eu la chance qu'il y ait eu "La peau » dans les trois. Après c'est du boulot tu vois, on oublie ça, moi je me suis accroché à essayer de trouver mon ton, à essayer de trouver ma plume, ma rythmique et plus ça avançait, plus j'avais envie de me faire comprendre.

Mallis : Surtout que l'écriture de No One contient beaucoup de punchlines.

Kemar : C'est surtout qu'on peut se prendre la tête pendant trois jours sur deux lignes. Tu sais moi j'ai très vite compris, enfin, on nous a très vite fait comprendre que si tu veux perdurer, dans ce pays, faut bien écrire, si tu veux te faire comprendre faut bien écrire.

Mallis : C'est ce qui manque à beaucoup de groupes de Rock ?

Kemar : Mais putain les mecs mettez-vous à écrire en français un petit peu quoi, même si au départ vous trouvez ça un peu keuss, c'est pas en reculant parce qu'on considère que c'est trop dur, qu'il se passe quelque chose. Je veux pas faire le défenseur de la francophonie, je respecte plein de groupes qui chantent en anglais, tu vois un groupe comme Stuck in The Sound, c'est une groupe que j'aime beaucoup... y a des groupes qui doivent hésiter.
Je pense que les mecs qui se plaignent qu'à la radio y a pas assez de Rock c'est aussi à cause de ça et quand le Rock se sera débarrassé de la mode, la mode vestimentaire, parce que malheureusement, le jour où la mode a mis le grappin sur le rock.... pffff.... ah putain... quelle merde !

Mallis : Trois groupes de Rock émergents que tu as envie de citer ?

Kemar : Bison Bisou, même s'ils chantent en anglais, je trouve leur énergie très bonne. Euh... j'ai vu un truc l'autre fois que j'ai trouvé plutôt pas mal, c'est pas du tout a priori mon style, ils sont trois, ils s'appellent Camp Claude, je regarde ça, je me dis qu'ils ont pas trop d'attitude, mais bon j'écoute, pis à un moment y a un morceau et je me dis, putain, c'est vachement bien, une espèce de truc un peu rock-électro, et tout d'un coup, reprise, et là, la meuf elle se dévoile "rahhhh" à être vénère, il se cache quelque chose tu vois, ça m'a pas mal touché. Au départ tu te dis que ça va être le énième groupe popy new style bien sucré, pis d'un coup... waouh !
Et puis euh Last Train, je pense que, enfin ils ont fait notre première partie c'est typiquement le groupe qui a une putain de patate, des putains de sons et une putain d'attitude, mais il y a un truc qui leur manque encore, c'est de parler aux gens. Le jour où ils se mettent à parler aux gens... outch.... mais tu vois, parler aux gens c'est pas seulement dans le texte, c'est aussi dans l'attitude, y a encore un côté un peu dandy...

Mallis : wai faut qu'ils plantent leurs regards dans les yeux des gens.

Kemar : Exactement.

Mallis : Shanka lis un message au début des concerts de la tournée, vous allez refaire ça longtemps ?

Kemar : Il m'a posé la question : "Kemar, ce discours j'le kiffe mais est-ce qu'il va falloir le faire longtemps ?". Il s'attendait à devoir le faire pendant deux ans ! Par contre faut qu'on soit cohérents avec nous même et ce discours c'est toi qui l'a sorti, t'es à l'initiative de ce discours, c'est toi qui l'a proposé et je pense que jusqu'à la fin de la tournée Propaganda il faut l'assumer. Parce que ça nous ressemble, voilà ! Y a pas à chercher midi à quatorze heure, ça nous ressemble. Je trouve qu'il a eu un moment de grâce, il nous a ramené ce texte parce que tout était lié, notre engagement, ce qui s'était passé et une liberté à la liberté d'expression.

Mallis : Un mot de la fin ?

Kemar : Keep on rocking !

Mallis : Merci !

Kemar : Merci Mallis et merci à K'rockus pour sa chronique du DVD il a bien pigé le truc.

Merci à Roger pour l'organisation de l'entrevue et au Bus Palladium pour l'accueil.



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