"Rideau fait preuve d'un gros potentiel, et Season of Mist a eu le nez creux en misant sur ce trio dont la motivation et le savoir-faire ne font aucun doute"
Contrairement à ce que pourrait légitimement supposer le francophone non averti, Rideau n'est pas un groupe bien de chez nous. Originaire de Suède, d'Örobro pour être exact, le groupe s'apprête à sortir son premier album, le 1er avril chez Season of Mist. Si je me permets de citer la ville d'origine du trio, ce n'est pas tant pour jouer les agences touristiques que parce que la 6e métropole suédoise (rendez-vous compte, plus de 100 000 habitants !) a également vu naître Millencolin et Nasum, deux groupes qui, sans faire partie des influences les plus évidentes du combo, donnent une certaine idée de sa musique, soit du hardcore aussi corrosif qu'enjoué.
En effet, derrière la puissance (voire la violence) se devinent des influences rock'n roll, sleaze rock pour être précis, ce qui n'est pas spécialement étonnant quand on connaît la richesse de cette scène en Europe du nord. Comme le disent les membres du groupe eux-mêmes, Rideau, c'est un mix de The Bronx pour la colère, de leurs compatriotes de Refused pour l'envie de mélanger plein de trucs à leur rock hardcore, et de The Hives (sans doute le groupe suédois le plus connu de ces dernières années) pour leur amour du groove.
Après que le chanteur de leur précédent projet ait eu des problèmes de cordes vocales, voilà nos lascars qui ressortent d'anciens titres du placard et trouvent un son bien à eux. Dès lors, les choses vont vite, le groupe réalise une cinquantaine de concerts et grave ses titres après avoir tapé dans l'oeil de Season of Mist. Pas difficile de comprendre pourquoi : le hardcore'n roll de Rideau parvient, en s'abreuvant notamment au rock'n roll, mais aussi en incorporant quelques éléments plus hétéroclites ici et là (le solo de saxophone sur "Ecstasy"), à éviter la répétitivité, écueil sur lequel viennent se fracasser bon nombre de formations du même genre. Attention toutefois à ne pas penser que le groupe se contente d'appliquer une formule : si les titres immédiatement jouissifs ne manquent pas (le début d'album est assez tonitruant), Rideau fait un gros effort pour diversifier son propos, de une, en travaillant sur ses ambiances, parfois un poil plus sombres, de deux, en essayant parfois de faire preuve d'un peu d'ambition à la composition.
Le rythme lourd de "Reverend Bob", ainsi que le banjo que l'on retrouve en introduction et à la fin du titre, dénotent d'une vraie volonté des musiciens de ne pas s'enfermer dans un seul registre. Problème, on aimerait assez que l'incorporation d'autres instruments soit un peu plus appuyée, car en l'état, elle reste trop timide pour être véritablement notable. Et s'il était assez exceptionnel d'entendre cela sur les premiers albums de Refused (on ne demande pas à Rideau de sortir leur The shape of Punk to come tout de suite non plus, hein), 20 ans se sont écoulés depuis. Ensuite, ralentir le rythme et diversifier les ambiances n'est pas forcément une mauvaise idée (le mid-tempo "Stand Still" est très efficace), mais cela donne un rythme un peu étrange à l'album, qui part sur les chapeaux de roue avant de lever le pied... Ce qui donne une curieuse impression de ventre mou.
Alors bien sûr, l'accalmie ne dure pas, et les missiles se remettent rapidement à pleuvoir ("Bloodshot", "An Act of revolution", oh yeah !). Mais si l'effort pour diversifier l'album est très appréciable, la façon dont il est fait est un peu étrange et casse le rythme plus qu'autre chose. Enchaîner deux titres lents en plein milieu d'album n'était pas forcément la meilleure des idées. Non pas que cela soit franchement préjudiciable, mais il s'agit de petites erreurs de jeunesse que l'on ne peut s'empêcher de remarquer.
Ne nous y trompons pas, Rideau fait preuve d'un gros potentiel, et Season of Mist a eu le nez creux en misant sur ce trio dont la motivation et le savoir-faire ne font aucun doute. Quant au talent, il est là aussi, indéniablement. Gageons qu'avec l'expérience, le groupe apprendra à l'utiliser à meilleur escient pour aboutir à un album sans failles. Au vu de ce premier jet, ils en sont parfaitement capables, comme le montrent les saisissantes 10 minutes de "December", dernier titre en forme de promesse pour un futur que l'on souhaite radieux aux musiciens.
7,5 / 10