Steve Hogarth (Marillion) parle de son projet avec Richard Barbieri

 

Si je vous dis Steve Hogarth, vous penserez immédiatement à Marillion ou encore au projet solo de l’artiste - The H Band. Mais s’il était à paris le 20 janvier dernier, c’était pour nous parler de sa nouvelle collaboration avec Richard Barbieri de Porcupine Tree -  Not the Weapon but the Hand (sorti le 27 février dernier chez le label britannique K-Scope); le tout dans une ambiance très chaleureuse et amicale.

Nastassja : Quelles sont les raisons qui vous ont poussés à collaborer ensemble sur ce projet?

Steve Hogarth : Eh bien... Tout d’abord, j’écoutais ce que faisait Richard dans les 80’s avec Japan et ça m’avait beaucoup intéressé, je n’avais jamais entendu de tels sons auparavant. Plus tard, en écoutant ses autres projets c’est devenu assez évident pour moi qu’il était non seulement à la fois un programmeur (de synthétiseurs et de séquenceurs ndlr) et un musicien exceptionnel, mais aussi qu’il était différent de tous les autres.

J’ai eu la chance de collaborer avec lui au travers d’un projet avec Steven Wilson à l’époque où je travaillais sur l’album «Ice Cream Genius». Steven nous a fait nous rencontrer, il lui a fait écouter les démos de l’album et Richard a accepté de venir jouer dessus. Donc nous avons collaboré sur cet album et ensuite, quand est venu le temps de faire une tournée pour l’album, j’ai réuni un groupe de très bons musiciens, the H Band, et Richard en est devenu un membre capital. Du coup on a passé pas mal de temps sur la route ensemble, à parler dans le bus, etc... et on est devenu  de très bons amis, presque comme des frères en fait. Après il est parti faire ses trucs avec Porcupine Tree et moi les miens avec Marillion, mais nous sommes restés en contact, je suis allé les voir en concert assez souvent. Il y a deux ans il m’a envoyé un email pour savoir ce que je pensais de l’idée d’une collaboration, juste nous deux. Je me suis dit «Ben oui! J’adorerais faire ça !  Mais je ne sais pas quand. Je suis très occupé». Puis il m’envoyait des morceaux instrumentaux une fois tous les quelques mois, je les écoutais dans la voiture en allant bosser avec Marillion au studio en me demandant ce que je pourrais faire avec, absorber la musique. Si une idée me venait je l’enregistrerais sur mon iPhone. Mais il y a deux ans j’ai eu un peu de temps devant moi. J’ai commencé à travailler sur «Red Kite». J’avais énormément écouté l’instrumental dans la voiture. Cette musique qui sonnait comme un paysage. Et ce paysage que j’écoutais s’est progressivement fondu dans celui que je voyais derrière le pare-brise et j’ai commencé à écrire un texte à propos de la Nature et du paysage de l’Angleterre avant de me rendre compte que Richard avait écrit le morceau en pensant au paysage de l’Islande. Donc «Red Kite» parle de la nature et de comment elle doit rester à observer le comportement «unnatural» des humains
.

N.: Lorsque vous vous êtes vus pour mettre en place le projet avez vous pensé directement aux musiciens qui allaient vous accompagner ? Comment cela s’est il passé ?

S.H.: Je ne voulais que Richard mais lui voulait plus de gens et il avait sans doute raison, car il y a au moins deux morceaux qui avaient vraiment besoin d’une vraie batterie et peut-être parfois de quelques cordes. Mais moi je n’en voulais pas, je trouvais ça très bien comme c’était. Je pensais qu’une collaboration entre lui et moi devait rester une collaboration entre lui et moi et personne d’autre. Mais Richard voulait intégrer plus d’éléments au tout. Donc j’ai perdu cette discussion et nous sommes allés à Swindon et nous avons demandé à Dave Gregori s’il voulait bien nous arranger quelques cordes et il l’a fait alors que nous étions là-bas. Ce qui était intéressant avec le processus de création de cet album c’est que Richard a composé toute la musique chez lui sans que je sois présent et j’ai fait de même pour les paroles et les voix et je les lui ai renvoyées par email. Il m’a répondu que c’était très bien et c’était tout.

Et je n’ai pas fait que chanter je me suis aussi occupé de toute la partie vocale du disque, les chœurs, les effets... et je les lui ai renvoyés et c’est ce que l’on a utilisé dans le mixage final. En fait le mixage consistait plus à nettoyer les pistes qu’à vraiment les mixer.

La première fois que nous nous sommes retrouvés dans la même pièce pour bosser sur ce projet c’est lorsque nous avons enregistré les batteries. Aaron Elmood qui avait joué dans the H Band a joué sur quelques morceaux et Chris Maitland qui était le batteur original de Porcupine Tree a joué sur quelques autres, Dany Thompson est venu jouer de la contrebasse et quand Dave Gregori nous a renvoyé les fichiers, avec l’arrangement pour cordes, il nous a dit «j’ai aussi enregistré un peu de guitare mais... vous n’êtes pas obligés de l’utiliser, elle est là si vous en voulez... et puis j’ai mis un peu de basse aussi... elle est là si vous en voulez» et bien sûr, c’était assez merveilleux, donc nous avons tout utilisé (rires).

N.: Peux-tu nous parler des paroles et des thèmes abordés dans l’album?

S.H.: Ce que je t’ai dit à propos de «Red Kite», cette idée de la Nature qui n’attends que l’homme pour s’auto-détruire. Le deuxième morceau, «A Cat With Seven Souls» parle des gens qui sont en moi et qui se battent entre eux, aussi simple que ça. «Naked»... quelque part sous toutes ces ordures il y a toi. Ça parle de toutes les ordures dans lesquelles nous sommes enveloppés. Un thème récurrent de l’album est le fait que nous avons deux émotions principales, il y a l’amour et la peur. Et la façon dont nous réagissons à nos problèmes, nos relations et tout le reste en fait, part soit de la peur soit de l’amour. Et le problème du monde moderne c’est bien sûr que la majeure partie des politiques extérieures, et notamment la totalité de la politique extérieure des États-Unis, vient entièrement de la peur. C’est un thème qui revient, donc j’imagine que «Naked» est aussi à propos de la peur. «Crack»... «Crack» parle de l’amour obsessionnel et d’aimer ou d’être obsédé par quelqu’un au point que vous leur facilitez le fait de vous quitter... donc elle parle de comment vous pouvez exagérer, comment vous pouvez faire fuir quelqu’un avec l’amour ou comment vous pouvez effrayer quelqu’un avec l’amour.

Après on a «Your Beautiful Face». Cette chanson parle d’une fille que j’ai connue il y a longtemps et qui était férocement belle et bellement féroce. Elle savait qu’elle était belle, elle était assoiffée de pouvoir, machiavélique et ambitieuse...  C’était pas quelqu’un de très gentil. Et l’année dernière je suis tombé sur sa fille, et les années ont passé et «ton joli visage a vieilli et a perdu le pouvoir qu’il avait» (ndlr: Steve cite ici un passage de la chanson «Your Beautiful Face») mais sa fille a maintenant ce même visage et, bien heureusement, c’est une personne bien plus agréable que sa mère l’était. Elle est gentille douce et naturelle; et c’est de là que nous vient la phrase « j’imagine que ce n’est pas l’arme qui cause le dégât mais la main dans laquelle elle repose», et qui nous donne le titre de l’album. «Le monde est un endroit plus sûr sans ton joli visage»...
«Only Love Will Make You Free», est la grande chanson épique  de l’album avec le refrain mais sauf qu’elle fait 8 minutes...hum... L’amour et la peur de nouveau...«Fuck everybody and run»...F.E.A.R.

«Lifting The Lid» est à propos du vampire qui revient à la vie... quand tu a été endormi pendant longtemps et que soudain quelqu’un soulève le couvercle et la lumière revient... c’est à propos de cette renaissance et comment elle n’est pas toujours une bonne chose, car tu pourrais peut-être te sentir bien mieux si l’on t’avait laissé endormi.

N.: Comment avez vous partagé les rôles entre deux claviéristes ?

S.H.: Comme je l’ai dit plus haut, on n’a pas eu à le faire. Il a composé toute la musique et je n’ai jamais été impliqué, j’ai joué un overdub sur ce disque, du dulcimer sur «Nacked» , c’est moi qui fait ce «gling-gling-gling» , j’ai participé aussi sur «Only love will make you free»  et à part cela j’ai rien fait d’autre, Richard a fait le tout.  Je ne voulais pas polluer sa vision en aucun sens. Mais il m’avait dit: «si tu veux jouer quelque chose, si tu a des idées que tu voudrais mettre sur l’album, vas-y». ”¨”¨

N.: La question suivante s’adresserait plutôt à Richard, mais je suppose que tu seras en mesure de me répondre. Est-ce que votre intention était de faire un album plutôt tourné vers le prog ou la musique électronique ?

S.H.: Eh bien, il (Barbieri ndlr) voulait vraiment faire ce disque, et je n’ai pas essayé de le changer ou l’altérer etc... Donc du coup j’imagine qu’il dirait que c’est ce que c’est, c’est à dire ce qu’il voulait créer. Je pense qu’il est assez étrangement progressif et assez étrangement électroniquen, c’est un peu des deux et je trouve que ça sonne assez bien comme ça.

N.: Si j’ai bien compris, Richard a enregistré le piano et autres instruments chez lui, etc... Mais qui était impliqué dans la production de l’album ?

S.H.: Richard. C’était vraiment sa vision. Je me suis occupé des voix, toutes les voix avec leurs effets, leurs places dans l’espace stéréo... Et comment elles arrivent, quand, avec quels effets... Si elles ont de l’écho, de la reverb ou si elle sont transposées... Si elles passent par un ampli guitare, si elles ont un flanger ou un «aural exciter». J’ai pris toutes ces décisions lors des enregistrements et je m’amusais avec mon matériel au fur et à mesure.

Je les ai envoyées à Richard et lui ne les a jamais changées, donc dans ce sens j’ai produit les parties vocales et il a produit la musique. Mais je pense que l’ensemble de la vision est la sienne. Mais peut-être que je suis généreux.

N.: Est que vous pensez faire une tournée pour l’album ?

S.H.: Oui tout le monde nous demande ça ! Le dilemme que l’on a pour les concerts c’est que je ne sais pas comment l’on pourrait jouer cette musique en concert. Il y a tellement de différentes couches sonores, ce n’est pas une musique conventionnelle de quelque manière que ce soit, on ne peut pas s’assoir à un piano pour jouer ça. On m’a aussi demandé si je jouerais un morceau issu de l’album demain soir au Divan du Monde (21 janvier 2012) mais je ne peux pas, c’est tout simplement impossible. Il faut que l’on réfléchisse à comment amener cette musique sur scène. Je pense que l’on aura besoin d’un peu plus de musiciens qu’à notre habitude et sûrement quelques chanteurs aussi, parce que je suis le seul sur l’album ! Du coup pour recréer ces textures vocales nous aurions besoin d’utiliser soit des échantillons et des boucles, ce qui serait dommage, ou alors il nous faudrait 4, 5 voire 6 autres chanteurs. Donc, c’est compliqué et cher. L’autre problème, est que je ne suis pas sûr d’avoir le temps d’ici mai 2013, je suis très occupé cette année. Mais si je peux je le ferais !

Steve Hogarth au Divan du Monde

Photo: Steve Hogarth au Divan du Monde, 21 janvier 2012


N.: Pourquoi avez vous sorti l’album chez K-Scope ?

S.H.: Nous avons choisi K-Scope parce que Richard a déjà une relation avec eux, et nous ne voulions pas devenir riches, nous voulions devenir célèbres ! De nos jours tu as le choix, nous aurions pu sortir l’album sur notre site et se faire pas mal d’argent. Mais nous n’avons pas fait ce disque pour l’argent, nous l’avons fait pour qu’il soit entendu. Artistiquement parlant pour nous deux le plus important était qu’il ait le plus de chances possible d’être entendu. Et donc utiliser un label était pour nous le meilleur moyen de lui donner un rayonnement mondial pour parler en termes de marketing.

N.: Quelle est ton opinion quant à l’évolution de la scène progressive ? Il y a t-il des groupes que tu aimes ou qui t’ont influencés ?

S.H.: Franchement je ne sais pas ! Je ne sais pas ce que c’est que la scène progressive ! J’aime ce groupe, Radiohead, mais ils ne pensent pas être progressifs. Je pense qu’ils sont le meilleur groupe progressif que j’ai entendu depuis très, très longtemps. J’adore ce qu’ils font. Mais si vous alliez dire à Thom et Johnny (Yorke et Greenwood ndlr) qu’ils jouent dans un groupe de prog, ils vous mettraient peut-être un poing dans la figure... Peut-être pas d’ailleurs. Peut-être qu’ils ont changés d’avis... Ce qui est le plus drôle avec la musique progressive c’est que ça commence à revenir à la mode. C’était presque un gros mot pendant longtemps et maintenant c’est même un peu «hype» et c’est sûrement le fait du passage du temps et ce que les gamins écoutent maintenant... Les gamins de 17-18 ans qui commencent à écouter ça et qui se disent «woaw ! Putain c’est quoi ce truc! C’est génial!». Quand on vit dans un univers de Boys/Girls-Band sortis de X-Factor, le rock progressif peut paraître très vrai à coté d’autres artifices. C’est juste une impression parce que honnêtement je ne connais foutrement rien aux modes. J’ai juste l’impression que ça revient, mais après je ne connais pas la scène et puis... J’ai refusé que l’on dise que Marillion est un groupe de prog depuis 20 ans, parce que nous n’en sommes pas du tout conscients, nous ne faisons qu’écrire ce que nous pensons être le mieux. Et puis des fois j’ai l’impression que les fans de prog ne sont pas vraiment intéressés par la musique en elle même, ils veulent juste connaître la longueur des morceaux: 22min «Woaw! C’est génial» 4min «Oh c’est pourri!», et si tu commence à juger la musique de cette façon alors, il y a quelque chose qui ne va pas.

N.: Et que penses-tu de groupes comme Porcupine Tree ?

S.H.: Eh bien, ils se débrouillent très bien. Ils ont écrit de la très bonne musique. Je suis allé à beaucoup de leurs concerts et c’est un super groupe. Steven Wilson est très talentueux, Richard Barbieri est un génie, Gavin Harrisson est un excellentissime batteur et John Wesley est un mec super et un super guitariste. Ce sont des amis à moi donc j’ai beaucoup de mal à avoir une opinion objective d’eux, comme je les connais si bien. Mais j’ai jusque là préféré leurs anciens albums aux nouveaux, mais c’est peut-être tout simplement parce que je n’ai pas fait l’effort de m’y plonger réellement. Il est possible que je dise l’année prochaine que je préfère les albums plus récents.

N.: Et comme tu connais Steven Wilson, as-tu écouté son nouveau projet ?

S.H.: Oui ! Très intéressant ! Je suis allé le voir à Londres, j’étais au balcon avec Richard. J’aime beaucoup Nick Beggs , d’ailleurs je voulais l’intégrer au H-Band mais il était déjà en tournée à ce moment. Il aurait été parfait.

Voilà donc encore une rencontre exceptionnelle et une conversation riche et profonde qui a éclairée certains de mes questionnements quant à l'album que je vous conseille vivement de découvrir, si ce n'est déjà fait.

 



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