"Plus que jamais, Wo Fat maîtrise son sujet et peut faire prendre à ses compositions des chemins de traverse dont lui seul a le secret, comme un éleveur installé depuis 20 ans dans son coin de campagne et qui, connaissant chaque recoin, entraînerait l'auditeur dans son sillon pour lui en faire découvrir tous les secrets"
Wo Fat est une anomalie. En temps normal, un groupe qui, à peu de choses près, fait toujours la même chose, on le conspue, on le délaisse, on sent la lassitude ronger ce qui jadis nous l'avait fait aimer. Pourtant, bien que les américains n'aient pas beaucoup fait évoluer leur recette, ils parviennent encore et toujours à nous faire succomber à leurs nouvelles livraisons. Il y a un truc, forcément, on sait tous que la magie n'existe pas. Mais difficile d'expliquer autrement cette progression incessante du trio, qui parvient sans efforts apparents à se hisser toujours plus haut au panthéon du stoner lourd et graisseux. Pachyderme affable mais sûr de sa force, Wo Fat bénéficie de l'alchimie quasi parfaite qui existe entre ses membres et a pondu, fin avril dernier, Midnight cometh, dernier rejeton en date d'une discographie qui commence à être assez impressionnante.
Il faut croire que ces gars-là n'ont pas besoin de réfléchir, juste de monter les amplis. Ca a l'air facile dit comme ça, mais bon nombre de groupes qui déclarent fièrement composer "à l'instinct", "naturellement", jouer "ce qui vient des tripes", ne sont souvent que des musiciens limités qui utilisent le discours de l'authenticité comme un argumentaire marketing bien préparé pour justifier leur manque d'inspiration. Et puis, dans le lot, il y en a pour qui c'est vrai. Qui progressent pas à pas, naturellement, sans réfléchir outre-mesure. Dès l'ouverture de "There's something sinister in the wind", on retrouve le son Wo Fat, le chant toujours aussi limité de Kent Stump (le talon d'Achille du groupe, qui pourrait peut-être tutoyer les cieux avec un chanteur digne de ce nom), et ce groove diabolique, où les riffs s'enchaînent avec une facilité déconcertante, où les parties de lead donnent lieu à des jams endiablées, où le temps n'a plus d'emprise. Les compos ont beau être toujours longues (6 titres pour près de 50 minutes de musique, ça donne le ton), une fois que l'on est pris dans ce labyrinthe de fuzz, aucun retour n'est possible.
Sans bousculer ses habitudes, Wo Fat n'en a pas moins, une fois de plus, fait quelques pas en avant. Les percussions présentes sur le titre d'ouverture contribuent grandement à l'ambiance vaudou qui habitent ces 10 minutes passionnantes. Après une telle entrée en matière, le groupe redescend sur terre le temps des 5 minutes de "Riffborn", un titre efficace en forme de manifeste qui fait office de transition idéale avant de repartir sur les montagnes russes. "Of Smoke and Fog" ne démarre qu'après 4 minutes de psychédélisme instrumental. Plus que jamais, Wo Fat maîtrise son sujet et peut faire prendre à ses compositions des chemins de traverse dont lui seul a le secret, comme un éleveur installé depuis 20 ans dans son coin de campagne et qui, connaissant chaque recoin, entraînerait l'auditeur dans son sillon pour lui en faire découvrir tous les secrets. Auditeur qui, peu familier du coin, serait paumé en moins de deux. Mais avec un guide aussi sûr de lui, c'est un plaisir de se laisser entraîner et de découvrir tellement de breaks et de variations insoupçonnés (ce passage quasi Pink Floyd).
Après être monté aussi haut, le groupe baisse un peu d'intensité avec "Le Dilemme de Détenu", qui aurait mérité un chant plus intéressant pour révéler son plein potentiel (le vrai talon d'achille du trio). Rien de fâcheux cependant, et rien qui empêche de repartir très loin, d'abord sur l'efficace "Three Minutes to Midnight", avec une fois de plus un break magnifiquement trouvé, puis avec le rouleau compresseur "Nightcomer", qui achèverait n'importe quel colosse nordique reconverti en bûcheron. Wo Fat ne change pas, mais Wo fat continue pourtant d'avancer. On l'a dit, Wo Fat est une anomalie.