Par une étrangeté de programmation, le gros nom de l'affiche du jour est prévu pour 19h30 ; pour notre plus grand malheur.
Embouteillage gigantesque sur l'A54. Ô désespoir. Tout ce que nous aurons de Ty Segall ce soir se résume en l'écoute de Good Bye Bread, son album de 2011, en tartinant du pâté de canard sur du pain rassis. Se dandiner comme un incontinent compulsif derrière son volant n'y change rien : les secondes deviennent des heures, comme le dit Calogero, et l'on avance centimètre ridicule par centimètre ridicule, on épuise sa discothèque, on s'emporte contre la médiocrité des quelques radios locales que l'on parvient à capter. Passé l'épicentre du bouchon, une voiture entièrement calcinée, on se lance sur l'autoroute, enfin on essaie de se lancer, cette calèche ne passe pas les 90 sur de la mi-montée. Arrivée avec deux heures de retard sur notre prévision intitiale, soit dix minutes après la fin du show du Ty ; le temps de se garer, les Muggers ont sans doute déjà bu leur tisane et dorment comme de petits anges cruels tandis que les rédacteurs malchanceux se ruent vers l'entrée presse, transpirant déjà, dans leurs vieux t-shirts agrandis, tout ce qu'ils auraient dû avoir bu de bière à cette heure.
Mais pas le temps de nous lamenter, The Mystery Lights a déjà commencé sur la Mosquito, la petite scène qui a bien grandi depuis l'an dernier (en fait, qui finit par ressembler à une scène, plutôt qu'à une caravane découpée dans le sens de la longueur et vaguement sonorisée – mais, ça avait du charme, malgré tout). Il nous faut encore chercher un photographe compatissant, le nôtre n'ayant pas pu venir ; le premier auquel nous nous adressons, par un hasard miraculeux, se trouve connaître notre cher Lebonair – en même temps je n'avais rien fait pour avoir un si mauvais karma. Nous remercions donc Robert Gil, qui a accepté de partager avec nous ces quelques superbes photos sauvant ce pauvre live-report amputé d'une tête d'affiche.
The Mystery Lights est un groupe américain présentant à son public cinq façons différentes d'être chevelu, ainsi qu'un rock rétro dynamique aux mélodies bougrement efficaces. L'impression désagréable d'arriver en plein milieu d'une soirée où tout le monde est déjà bourré s'estompe rapidement grâce à ces jeunes types pleins de vitamines ; leur musique est fédératrice et l'intégration au sein de la foule festivalière, déjà chauffée par Ty Segall (que nous avons raté à cause d'un embouteillage sur l'A54 – il me semble l'avoir évoqué) en est facilitée. La section rythmique assure un humble service minimaliste judicieusement dosé et parfaitement efficace, le bassiste ressemble à mon cousin, le groove est là et fait danser ces messieurs-dames aux cheveux tressés de verdure (le TINALS propose chaque année un atelier couronnes de fleurs, très bon pour cette candeur hippie palpable dans l'atmosphère qui nous séduit tant).
Mike Brandon, chanteur-guitariste, captive l'audience en ne cessant de gesticuler, en croche sur la moindre noire, sa voix fluette trouvant toujours le chemin de nos esprits pour s'y imprimer durablement. Quant à la guitare, sans être virtuose, elle parvient à se mettre en valeur à l'occasion, s'envoyer un peu histoire de faire rugir la foule - jusqu'à ce que le guitariste oublie les premiers accords d'un morceau ; là, la foule rit, mais c'est bon enfant, Mike se moque de lui, le batteur s'esclaffe, et on repart en souriant. Non sans avoir semé une bonne humeur épidémique (car il s'agit de ce genre de groupes, outre les gags de ce genre, dont la musique, les concerts mettent en joie avec une simplicité confondante), ils achèveront leur set bien trop tôt à notre goût - je me souviendrai toujours de ma première fois avec la scène Mosquito nouvelle génération.
Kamasi Washington commence le sien au Club ; on serait bien allé respirer quelques effluves jazzy de saxo-dingo, mais la petite salle intérieure, comme chaque année, est pleine à craquer. Deux personnes y entrent lorsque deux en sortent, personne ne veut sortir et il y a bien une trentaine de personnes devant nous ; c'est peine perdue. Deux choix s'offrent donc à nous : aller voir Explosions In The Sky sur la grande scène extérieure, ou les balances de Yak. Après trois minutes passées à éprouver la première option, on se dirige donc d'un pas décidé vers la grande salle intérieure, où un batteur pâlichon fait « boum... boum... boum... » inlassablement, devant quelques barbus avinés – ce qui se révèlera vachement plus intéressant que la soupe pop passe-partout sévissant au-dehors.
A 22h30, les lumières s'estompent et "Harbour The Feeling" coupe la parole à un fan des Cure d'époque, avec qui l'on parlait du retour du post-punk et du concert de The Fall, ici, il y a deux ans. Yak fonce dans le tas. Oleg, chanteur du trio, se jette dans le public dès le deuxième morceau. En fait, ce concert commence exactement de la même façon que leur album, Alas Salvation, dont nous vous parlions il y a quelques jours : de grosses ficelles, une envie d'en découdre mal maitrisée engendrant à première vue un bordélisme un peu artificiel. Même si le public répond bien, on a du mal à entrer dans l'univers du groupe, à saisir ce qu'ils nous proposent, ou même, s'ils nous proposent effectivement quelque chose.
Et comme avec l'album, c'est sur la durée que nous serons finalement convaincus ; au fil des minutes, la section rythmique, un peu à côté de ses pompes en début de set, s'ajuste ; dès lors, l'insolence d'Oleg, qui semblait jusque là un tantinet surjouée, commence à faire sens ; le chanteur trouve ses marques, instaure un chaos parfaitement paradoxal. D'une part, il tente par tous les moyens de pousser le public à la folie ; il enlève ses chaussures et joue pieds nus, exactement comme Yannick Noah ; il vole des bières à son bassiste ; il jette sa guitare dans la foule, ou l'utilise pour titiller la narine d'un photographe confus devant la scène. Et d'autre part, il instaure une discipline assez incroyable au sein de son groupe, les dirige avec une autorité sévère : d'un mouvement de tête, d'un coup de pied au sol, d'un claquement de doigt, il donne les départs, ordonne le prolongement d'un riff, la conclusion d'un autre... (une discipline qui toutefois ne vaut pas pour les fins de morceaux, toujours très laides ; qu'on le sache, Yak se fout des fins de morceaux) Son personnage est bipolaire : tantôt il jette un regard des plus hargneux à son bassiste lorsque sa pédale buzze, tantôt il contemple satisfait la salle en fusion avec le sourire mauvais du sale gosse qui a mis un pétard dans la fourmilière. Il a déployé sa bouche gigantesque, et a gobé la salle toute entière. Alors que le roadie inquiet lui fait signe depuis dix minutes qu'il faut sortir de scène, il se jette à nouveau dans la foule et, porté en triomphe, il demande à ce qu'on lui apporte son micro, finit son concert hurlant, debout SUR le public, tandis que bassiste et batteur conciliants finissent de martyriser leur instruments respectifs.
J'ai recroisé le fan des Cure, il se recoiffait dans les toilettes. Il a aimé.
On est un peu forcés, ensuite, d'aller voir Foals ; aucun groupe de prévu en même temps. On regarde, de loin, le temps d'ébaucher une statistique, je vous la donne comme ça, faîtes-en ce que vous voulez : Foals, c'est donc environ 11% de trouvailles passables voire intéressantes pour 89% d'insupportables minauderies pré-digérées pour adolescentes à l'estomac fragile.
On va plutôt employer les quelques minutes dont on dispose avant la reprise des groupes sérieux à essayer de comprendre le système « cashless » mis en place pour cette édition. On tourne autour de la banque tel un gangster des années folles, on analyse, on prend des notes ; après intense réflexion et synthèse minutieuse, le verdict tombe : c'est super nul. Un truc à base de carte électronique à créditer après avoir fait la queue pendant beaucoup trop longtemps, un verre unique qu'on doit se coltiner toute la soirée parce qu'il n'y a pas de consigne... Le genre de bêtises aptes à déclencher des révolutions.
Autant dire qu'on est pas jouasse au moment de gagner le Club. Finauds, on y entre avec quinze minutes d'avance, histoire de ne pas être de nouveau refoulés. On attend et on écoute les gens. « J'étais à Chocolat, c'était cool, mais un pote m'a dit que le chanteur de Yak faisait n'importe quoi, alors je suis venu ». « On est allé voir Gérard Lenorman avec ma femme la semaine dernière. C'est dingue, je croyais qu'il était mort ». . « ALORS LES FESTIVALIERS, ON AIME LE POST-PUNK ? ». Des trucs comme ça. 00h30, un nouveau concert commence. Comme il était difficile de choisir entre les deux groupes qui jouaient à peu près à la même heure, l'idée était au départ de faire une moitié de Protomartyr, un moitié de Battles ; vanité des vanités. Protomartyr déploie un hypnotisme tellement puissant que la simple pensée de quitter la salle était le plus vilain des crève-coeur. Au centre, un chanteur charismatique et immobile à la fois, avec un accent de docker, un type en costume du genre à te sortir un cran d'arrêt si tu lui marches sur le pied, un bassiste fin et envoûtant en transe à droite, le plus beau son de guitare du monde à gauche, un batteur métronomique derrière ; impossibe de s'échapper.
On n'aura donc que quelques minutes de Battles, qui clôt la soirée dans la grande salle avec force excentricité ; on regrette de ne pas en voir plus. On traîne un peu dans Paloma, pas vraiment envie de sortir, tout continue sans nous demain avec Dinosaur JR, Weaves, et puis Parquet Courts dimanche, et Metz, et Girl Band, et l'on souffre, ouiouioui, d'autant qu'on dort dans la voiture, et que demain on aura mal au dos, qu'on a fini le pâté, et qu'on ne dépasse pas 90 en mi-montée. C'est dur de quitter le TINALS. Sous le ciel clair-obscur nîmois, on rêve un peu, mélancolique, et la tête tournée vers les étoiles, on joint les mains, adressant aux astres une ultime supplique ; ô vous, antiques divinités, protégez-nous pauvres humains ; par votre majestueuse pitié, faîtes que l'affreux, affreux système cashless ne contamine point d'autre festival.
Crédits Photos : Robert Gil (site : http://www.photosconcerts.com/)
Remerciements : Robert Gil, Manuel Figueres et The Mystery Lights pour l'invitation, Yann Landry pour la médiation (merci, patron)