"And I just know this is a big mistake, Yeah but it feels good!"
Robert Smith, "The 13th"
C'est le 22 avril 1996 que sort "The 13th", le premier single de l'album à venir des Cure. Stupeur ! Point de basse vengeresse, de synthé glacial ou de batterie martiale, non, cette année là, Robert Smith décide de jouer aux mariachis, au grand dam de ses fans. Mais comment se fait-il qu'après être retourné pour de bon au serious business de la nostalgie sans fin avec Desintegration et Wish, le leader envoie de nouveau tout valdinguer ? Au fond, Smith ne tenterait-il pas avec "The 13th" de réitérer le volte face opéré presque quinze ans auparavant avec la sortie de "Let's go to Bed", single synth-pop en puissance, donnant suite au brutal Pornography ? Et surtout, pourquoi vouloir changer son fusil d'épaule maintenant que les Cure sont plus connus et bankable que jamais? Revenons quelques années en arrière.
Si Disintegration et Wish sont de gros cartons commerciaux et que le groupe remplit les stades à tour de bras; tout n'est pas rose dans les coulisses. Après s'être fait renvoyer pour consommation abusive d'alcool et productivité/participation quasi-nulle au sein de la formation, Lol Tolhurst, pour mémoire co-fondateur historique, intente un procès à Smith pour l'utilisation de nom The Cure. Bien entendu, Tolhurst perd le procès, mais la procédure grignote quelque peu l'agenda de Smith, ainsi que l'amitié de ces deux potes d'enfance. Simon Gallup, le bassiste, craque pendant la tournée de Wish dû à une vie conjugale orageuse ainsi qu'à une consommation d'alcool déraisonnable. Il est ainsi forcé de prendre des vacances, sous peine de se foutre en l'air pour de bon. Porl Thompson, guitariste lead, s'en va rejoindre Led Zeppelin tandis que Boris Williams, le batteur, décide de se retirer après la tournée pour former un groupe avec sa compagne. Reste donc en 1994 deux membres encore vaillants : Smith, et Perry Bamonte, ancien roadie et dernière recrue qui fait office de guitariste/claviériste. Tout ne roule pas, et il est bien difficile d'imaginer le groupe retourner en studio en l'état. Pourtant, Smith semble décidé à continuer, mieux, à innover. Il se sépare de son précédent producteur pour travailler avec Steve Lyon (ayant notamment collaboré avec Depeche Mode) qui, de son propre aveu, n'est pas un fan des Cure. Tant mieux, c'est exactement ce que veut le chanteur; un nouveau regard et de la fraîcheur; car le temps passe, et la nouvelle génération ne s'est pas fait attendre pour exploser dans les charts. Oasis, Blur, Radiohead, Massive Attack, Portishead, Stereophonics; autant de jeunes loups qui risquent salement de faire passer les Cure pour des dinosaures. Qu'à cela ne tienne; pourquoi ne pas tenter un son plus brit-pop et de nouveau s'imposer sur le devant de la scène?
Et c'est ainsi que l'on obtient un single aussi décrié que "The 13th", que les fans s'agacent d'un "Mint Car" bien trop positif et s'horripilent face à un béat "Strange Attraction". Pourtant, on ne peut décemment pas résumer le son de l'album à celui de ses singles. Ne serait-ce qu'avec la première piste "Want" qui respecte le schéma maintenant quasi immuable de la montée en puissance en guise d'introduction et envoie par la même une bonne baffe sonore dans la gueule. Les guitares sont acérées, la voix vocifère, les arrangement sont toujours aussi soignés, bref, on a le droit à du grand Cure, finalement pas si éloigné d'une intro comme "The Kiss". Un partie de la setlist est par ailleurs étonnament classique dans la compo ("Jupiter Crash", "This Is A Lie", "Numb") et semble être en conflit avec d'autres titres bien plus excentriques ("Club America","The 13th","Gone"); le tout emballé par une production extrêmement pro et cristalline, à des kilomètres des sons brumeux de Wish et Disintegration, rehaussé par des arrangements en majorité acoustiques et non synthétiques comme a l'accoutumé (bonjour les violons et les cuivres!). Et c'est peut-être cela qui au delà des singles choque le plus, c'est la profonde dichotomie de l'album, d'un coté joyeux et désinvolte face aux fans de la première heure, et de l'autre les brossant bien gentiment dans le sens du poil.
Il faut dire que Smith a maintenant de la bouteille et fait cet album en pur schizophrène. En bon gestionnaire, il sait pertinemment que Cure est devenue une marque consommable au même titre que les pâtes mamma mia et souhaite évidemment rester au top des charts; mais d'un autre coté, il ne peut réfréner l'ado punk qui sommeille en lui de tout foutre en l'air, ce qui constiturait un pari pas si risqué, puisque jusque là, ses choix de carrière lui ont plutôt réussi. En résumé, Smith ne sait pas où donner de la tête, et finit par rapiécer tant bien que mal un patchwork d'envies disparates et clairement pas assez mûries. L'autre problème étant sa relative opposition avec Lyon (leur méthode de travail et leurs choix de singles divergent drastiquement) et sa laborieuse recherche de batteur alors que l'enregistrement est déjà bien avancé (ce qui explique que Jason Cooper, batteur encore en place aujourd'hui, ne joue pas sur l'intégralité du disque). Mais même si l'album est trop long, trop riche, globalement décousu et pénalisé par un enregistrement difficile; est-il si mauvais que ça?
Il faut avouer que les mauvaises critiques de l'époque sont aussi probablement liées au fait que nous aimons bien voir le roi nu pour peu qu'il nous en laisse une petite occasion. On oublie alors un peu vite que ce Wild Mood Swings si décrié contient d'excellentes chansons comme "Want", "The 13th"(sisisi, j'vous jure) "Jupiter Crash","Numb", "Mint Car"(oui, oui, elle aussi) et se permet même de toucher au sublime avec la bouleversante "Bare", peut-être la meilleure chanson des Cure toute période confondue. Rien que ça.
Mauvais moment, mauvais karma, il fallait bien un jour ou l'autre que l'entité Cure se casse la gueule. Et tant mieux peut-être, car après ce semi-échec (oui, faut pas déconner, l'album s'est quand même relativement vendu), et une compile qui n'a pas fait bander grand monde (Galore et son single inédit "Wrong Number" passés complètement sous les radars), Smith trouvera la direction à prendre et signera rien de moins que deux chefs-d'œuvre coup sur coup que sont Bloodflowers (ou le meilleur "faux" dernier album, avec notre chronique ici) et The Cure (le phénix ultime). Alors franchement, des erreurs de ce genre là, on en redemande !