Face à l'étang de Thau, au pied de sa petite plage, en lieu et place de l'habituel parking du port de Mèze, se dresse la grande scène du Festival de Thau sur laquelle s'est produite deux jours plus tôt Rokia Traoré, et où se produira ce soir AaRON, en tournée depuis la sortie de son album We cut the night en septembre 2015.
Arrivés (avec un groupe de bons copains) de bonne heure pour ne pas louper les Maudite Taraf en début de soirée, nous avons d'abord la bonne surprise d'être accueillis par un hôte nous offrant des verres de dégustation de Picpoul de Pinet, ce petit vin blanc qui accompagne si heureusement les huîtres qui sont élevées à quelques mètres de là, et auxquelles nous ferons honneur quelques minutes plus tard, parce qu’il faut bien se sustenter.
Maudite Taraf
Fruits de mer, vin blanc, ciel tourmenté mais clément, nous sommes attablés et repus quand cinq énergumènes tout de blanc vêtus se dirigent vers la petite scène qui tourne le dos à l'étang.
Ce sont les Maudite Taraf, composés d'une violoniste, de deux guitaristes, d'un chef toqué contrebassiste et d'un batteur à vous réconcilier (pour ceux qui en auraient besoin) avec tous les barbus bourrus.
Dès les premières notes d'une danse tzigane où les envolées lyriques du violon dialoguent avec une guitare électrique non moins lyrique, j'abandonne là mes camarades pour profiter au plus près des rythmes entraînants de ces numéros.
Le frontman (et guitariste soliste) porte un long sarouel immaculé et une toque de moumoute blanche vissée sur la tête. Le contrebassiste, que j'avais pris pour un cuisinier me fait plutôt penser à un boucher, avec son tablier blanc et sa chemise écarlate. Tous portent des lunettes de soleil. C'est joyeusement éclectique, la tradition se mêle à l’électrique, et la deuxième guitare fait sonner sa pédale wah wah pour un son disco qui fait guincher le public en moins de deux.
Le mélange des genres est poussé à son extrême : heavy metal et rock progressif au Baglama (sorte de petit bouzouki tricorde), ou traditionnel à la guitare électrique truffée des sonorités électroniques saturées, les Maudite Taraf qui se présentent comme les Pink Floyd de Roumanie, ou plus tard, quand ils enflammerons le dancefloor, comme les rois de l'Afro beat Bulgare, ne se prennent pas au sérieux, se rient des origines et des traditions dans un joyeux bordel.
AaRON
A la nuit tombée Aaron entre en scène. Pour une tournée nommée Cut the night quoi de plus logique !
Le duo composé de Simon Buret au chant et d'Olivier Coursier à la guitare/batterie/clavier s'accompagne en tournée d'un batteur et d'un claviériste supplémentaire. Je m'attends donc à de prenantes nappes électros, et à une puissante batterie en soutient. Je ne m'étais pas trompée pour la nappe électro. Elle résonne dès la première chanson, «Magnetic road», faisant vibrer les basses intensément et prend d'ailleurs le pas sur les autres instruments, ce qui est finalement assez logique quand on pense à la signification de l'acronyme AaRON : Artificial animals Riding On Neverland (qui est aussi le nom de leur premier album).
Le set démarre donc avec une note très électro, et gardera ce timbre. On entend finalement assez peu la batterie acoustique, supplantée par les pulsations de basses, et quand Olivier quitte son poste aux claviers pour jouer de la guitare, on garde l'impression d'avoir un son samplé. En cela, AaRON réussi à garder l'esprit de son album, aux pulsations de basses fortes tempérées par des nappes planantes, et la voix douce de Simon.
Le passage à la scène apportera tout de même davantage d'énergie. Cette pulsation des basses se transmet au jeu de scène de Simon rythmé par des gestuelles de marche, des bras lancés, auxquels répondent le public.
S'il pulse incontestablement, le début du concert est assez mélancolique, l'ambiance est sombre. On écoute ces jolie mélodies éthérées mais retenues volontairement au sol par l’énergie des basses. Les habillages lumineux sont très travaillés, la machine à fumigènes tourne à fond : nous sommes en extérieur, au pays du vent, et pourtant la scène est régulièrement envahie d'une épaisse brume.
Après l'incontournable «U-Turn(Lili)», que le duo interprétera seul, sans artifices, face à un public dans lequel les téléphones filmant verticalement ne se comptent pas, une série de morceaux vont secouer tout ça. Les habillages de lumière restent, le son électro est toujours là, mais à la mélodie est moins importante, c'est plus le beat qui compte.
«O-song» et son piano angoissant (morceau le plus rock du set, et pourtant sans guitare), «We cut the night», titre éponyme de l'album et manifeste de la tournée, «Blouson Noir» à l'atmosphère résolument 80, jusque dans la lumière toute en noir et blanc, ou encore «Leftovers». Tous ces morceaux ont en commun un même beat électro clubesque qui pousse à la danse. Ne vous trompez pas, AaRON ne s'est pas mué en David Guetta, ça reste sombre, mais j'imagine bien une dark beach party, si on veux danser toute la nuit.
Bien, n'allez pas croire pour autant que les gars d'AaRON sont de mornes taciturnes… non tout au long du concert, Simon s'adressera au public, en appelant à la bienveillance envers nos différences, ou faisant hurler la foule, grâce à une chorégraphie élaborée : Bras en croix : tout le monde pousse le cri libérateur, bras à gauche : seul la partie gauche du public à droit à sa catharsis, et bras à droite… bref, vous avez pigé….
Pour finir le concert, aux rappels, Simon et Olivier reviennent pour «Mister K», unplugged, et quasiment sans micro (un pour deux), difficile donc d'entendre distinctement les paroles dérisoires et pourtant déchirantes de la mort d'un poisson rouge réveillant une plaie ancienne.
Youpla boum, c'est joyeux tout ça….
Dengue Dengue Dengue
Comme un yoyo, le public reflue vers la petite scène, ou le set de Dengue Dengue Dengue vient de commencer (grâce à ces deux scènes, il n'y a eu pour le public aucune attente entre les différents sets, et c'est particulièrement appréciable).
Déjà bien chauffée par la mélancolie pulsatoire d'AaRON, c'est la chaleur de la cumbia qui prend le relais pour enflammer la piste de danse. Là plus besoin de mots, la danse se suffit, et elle gagne tellement le public qu'il déborde jusque sur la scène, prise d’assaut par les bénévoles du festival, et une partie du public. Laissons donc la soirée s'achever.
Rideau.
Live report : Laetitia Maciel
Photographies : Philippe Poulenas
Merci au Festival pour l'invitation à cette bonne soirée