Autant tuer le suspense tout de suite, The Portal tapes n’est pas à proprement parler un album de Cynic. Pas du tout même. Il faut dire que la carrière du groupe culte précurseur du métal extrême progressif est un bordel sans nom, la faute à un manque de reconnaissance (voire un rejet pur et simple) de son premier album, Focus, sorti en 1993, alors que le mélange des genres n’était pas encore très bien vu, et surtout pas dans un style aussi étroit d’esprit que le métal extrême de l’époque. Les maîtres à penser du groupe, Sean Reinert (batterie) et Paul Masvidal (guitare chant), accompagnés de leur second guitariste d’alors, décidèrent donc de tenter un nouveau projet appelé Portal, en s’adjoignant les services de la chanteuse et claviériste Aruna Abrams et du bassiste Chris Kringel. Une fois les chansons composées, plusieurs labels se montrent intéressés, mais Roadrunner, qui tient les musiciens par contrat (Cynic avait signé un deal pour plusieurs albums), refuse obstinément de les laisser partir. Après une année d’imbroglios juridiques, le groupe jette l’éponge et se sépare. On pouvait certes trouver les bandes de façon détournée depuis déjà un certain temps, mais on les a désormais à disposition sur format CD et en excellente qualité. Reste à savoir à quoi ça ressemble.
Musicalement, on est quand même loin de Cynic, ce qui explique d’ailleurs que vous retrouviez cette chronique sur le webzine rock. A part quelques atmosphères typiques et une basse fretless au son caractéristique, le projet tranche radicalement avec l’univers développé par le projet phare de Masvidal et Reinert. En revanche, on retrouve un souci du détail poussé à l’extrême, ces arrangements finement ciselés et, encore une fois, des atmosphères alambiquées typiques. Pour le reste, Portal se réclame plus volontiers de Dead can Dance que d’une quelconque sphère métallique. Le projet reste intéressant pour les fans de Cynic, tant la patte de ses maîtres à penser est évidente dès l’ouverture d’ « endless endeavors ». L’atmosphère éthérée du titre possède toujours cette ambiance un poil déshumanisée qui fait tout le sel du son Cynic. Les voix de Masvidal et d’Aruna se marrient très bien, tandis que les musiciens tissent une toile de fond pleine de mystères dont ils ne donnent jamais la clé. Plus accessible, le projet n’en propose pas moins des mélodies venues d’ailleurs qui n’ont clairement pas été conçues pour toucher les masses. Du mystère, le chorus de « Karma’s plight » en regorge, précédé par un inquiétant couplet sombre à souhait.
Portal en 1995
Pas d’inquiétudes à avoir quant à l’éventuelle volonté des musiciens de partir à la recherche d’un succès commercial facile, on est à des années lumières de telles considérations. En revanche, ces bandes peuvent procurer un éclairage nouveau à celles et ceux qui avaient été surpris par le virage opéré par Cynic depuis son retour discographique en 2008. Si utiliser ce patronyme pour sortir ce projet n’est pas sans poser problème, on peut comprendre la volonté de Reinert et Masvidal de lui donner une chance d’être écouté, d’autant qu’il peut légitimement être rattaché à l’univers de ses créateurs. Pour celles et ceux qui n’ont jamais entendu parler de Cynic et qui sont allergiques au métal, ces bandes peuvent également vous intéresser. Car bien que la musique parte parfois un peu dans tous les sens (« not the same », en fin d’album, porte particulièrement bien son nom tant elle est légère et tranche avec le reste), cette galette n’en comporte pas moins quelques perles de musique éthérée semblant venir d’un autre monde (« costumed grace », « crawl above »). Objet de curiosité, un peu décousu mais doté d’un charme certain (« Mirror Child »), inégal mais aussi fascinant par moments, ces bandes sont avant tout un cadeau aux amateurs de l’univers de Cynic, et une bonne occasion de se rassurer en se disant qu’on peut encore être surpris par des univers musicaux aussi singuliers.