Etonnante que cette production de cette fin d’été.
Etonnant ce duo de compositeurs qui n’ont en commun que la ville de New-York et le fait qu’ils soient encore chacun dans un groupe emblématique qui a fait ses preuves (et moult ventes d’album) dans les années 90, 2000 et jusqu’à nos jours.
Assurés que dorénavant ils peuvent faire absolument ce qu’ils veulent en terme de collaboration, composition, libres de la pression de devoir montrer à l’industrie musicale qu’ils sont capables de vendre des milliers (millions) d’albums et donc de faire la fortune de leurs producteurs/éditeurs.
Pour autant, même libres, certaines grosses pointures de l’industrie musicale ne le tentent pas forcément : Certaines ont trop la trouille de heurter un public (chèrement) acquis et du coup, ne se lancent pas dans une aventure qui peut être périlleuse, voire délétère pour la pérennité de leur succès ou de l’afflux de dollars (ou autre monnaies) sur leur compte en banque...
Ces deux-là, donc, n’en ont eu cure… Paul Banks, guitariste, chanteur, co-compositeur émérite d’Interpol et RZA (ou Bobby Steels, un de ses nombreux alias) producteur, leader, co-compositeur, rappeur du Wu Tang Clan se sont réunis pour leur plaisir (et le nôtre si l’on adhère au projet fou) dans un album : Anything but words par Banks and Steelz selon la dénomination choisie par eux même.
L’histoire de leur rencontre est racontée par ses 2 protagonistes dans toutes les interviews :
Ce n’était un secret pour personne que Paul Banks aimait le hip-hop et en particulier le Wu Tang Clan et le boulot de RZA. En 2011, un ami commun leur propose de se rencontrer autour d’un verre qui devient un plat de nouilles dans le quartier chinois de New-York, puis des parties d’échecs car ils s’aperçoivent qu’ils ont ce jeu en commun, puis un petit pouët de Banks sur un bout de compo de RZA, puis une semaine de studio pour des jam-sessions et se faire plaisir.
Quelques démos appréciées par le label plus tard, le duo Bank & Steelz était né.
Le travail sur l’album qui vient de paraitre a réellement commencé en 2013, les deux compères étant plutôt bien occupés par ailleurs. Il a donc fallut 3 ans pour composer, peaufiner, se mettre d’accord, concéder, sortir de sa zone de confort, s’ouvrir à la culture et les envies de l’autre et inviter de nombreux artistes à collaborer sur différents morceaux.
Tous ont tenus à venir pour des sessions de studios plus ou moins longues, ceux du Wu of course : Ghostface Killah, Method Man, Masta Killa mais aussi le rappeur excentrique Kool Keith et la surprenante Florence Welch de Florence & the machine (what else) qui, en tournée au moment des prises voix, est la seule à n’avoir pu être présente physiquement au studio. Elle a donc travaillé avec le duo par fichiers audio et mails interposés pour un exercice tout à fait réussi salué par tous.
Après un concert inaugural au Roxy de Los Angeles le 21 juillet 2016, l’album Anything but words et les 12 morceaux du duo Banks & Steelz sort dans tous les formats le 26 août 2016.
C’est par "Giant" que l’album commence. C’est, selon RZA, le morceau qui doit faire se lever les stades. Le tempo est rapide, dansant même, grâce à la rythmique lourde, puissante et très cadencée un peu à la "Lose yourself" d’Eminem qui serait déjà hybridée avec un vieux rock des eighties genre "Love is a battlefield" d’une Pat Benatar qui se demanderait bien ce qu’elle est venu f… là !
Pourtant c’est un fait. Les voix très rap de RZA et les refrains sur lesquels il ose pousser la mélodie (ce qui, avoue-t-il, due à sa timidité extrême concernant le chant, a été un sacré challenge) fonctionnent très bien. Les sons machines, nappes, boucles et chœurs sont aux petits oignons. On se fou complètement et rapidement de savoir si c’est plus du hip hop, du rock et qui se mélange le mieux à qui. C’est juste organique, addictif et on s’immerge en se dandinant dans l’histoire racontée par le duo qui dit en substance que les outsiders finissent par devenir les géants… La vidéo de ce single est d'ailleurs sortie en même temps que l'album et elle est là :
"Anna Electronic", le titre du morceau suivant, donne ses propres clés de lecture. Base plutôt rock, voix de Banks, gimmick de machines aux sons électro-ludiques genre Pacman sur des percus africaines avant l’arrivée de la batterie posée et une guitare disto d’abord au second plan prenant finalement sa place avec une basse bien posée. Les voix très mélodiques de Banks sont mixées avec celle de RZA dont le rap s’immisce par touches discrètes et harmonieuses. Mariages étranges bien agréables pour les oreilles.
C’est Kool Keith qui est invité sur "Sword in the Stone", le morceau suivant. Grinçant et de facture beaucoup plus hip hop que les 2 précédents. Kool scande, accompagné de RZA parfois. La tension est tangible et les quelques interventions guitaristiques "Bankistes" sont plutôt acides voir aigrelettes. Le morceau m’a fait penser au "Ruby Rap" de la B.O du 5ème élément (y’a surement mieux comme référence mais je ne suis largement pas équipée pour causer hip hop).
"Speedway sonora", urbain et hybride comme un véhicule de la prochaine génération, on note sur ce morceau les nombreux arrangements guitares, piano, cuivre, bruits, cris, en arrière-plan, presque cachés qui permettent de donner plusieurs niveaux à un ensemble qui serait d’une platitude assez désolante sans ces petits traits de génie qui se laissent attraper çà et là, avec en bonus, une ligne de batterie qui entraine le tout entre ternaire et binaire.
Mais déjà arrive dans nos oreilles une intro entre brésil et électro. Banks aux voix installe une ambiance plutôt nonchalante et chaude avec de petites incartades rap de RZA et des ponctuations d’instruments inattendus dans ce paysage, du genre flûte traversière. On s’installe, tranquille dans le morceau quand une voix à l’unisson avec Banks nous interpelle et part ensuite en contrechant à l’assaut du morceau. Très reconnaissable avec ses chœurs à l’octave, c’est bien Florence Welch de Florence and the machine qui prend les rênes de la mélodie mais le morceau ne pâti pas de la reconnaissance de son style particulier. Au contraire, il devient un autre objet, plus construit et cossu que ce qui semblait prévu avant l’intervention de Florence et c’est encore une belle surprise.
Le duo raconte volontiers que le morceau éponyme de l’album "Anything but words" qui vient ensuite sur l’album a été compliqué à composer. Ils étaient sur quelque chose mais il manquait, disent-ils, un je-ne-sais-quoi qui empêchait le morceau de rouler. Alors que Paul Banks était au Panama (avec Interpol), il crée un pont entre le refrain qu’il chante et le rap de RZA, complètement à contre-courant. C’est lorsqu’il callera le pont que les pièces du puzzle, comme par magie, s’assembleront harmonieusement et que les mots inventés par les 2 musiciens deviendront un ensemble audible et cohérent. «Always fight blind the light of our lives»
Après "conceal" qui roule comme sa ligne de basse, seulement ponctuée de petits pouëts d’un pupitre de cuivre synthétique qui laisse Paul Banks s’éclater sur un joli riff en contretemps, un peu à la manière d’une bossa 3 point 0, on enchaine avec une intro trompette, pour un "Love and War (Love + War)" avec Ghostface Killa du Wu-Tang en guest. Ce morceau est le premier qui sera présenté en préambule de l’album par le groupe. Mais lors de la sortie de "Giant", Banks et Steelz diront qu’ils considèrent "Love and War" plutôt comme sa face B.
Une vidéo, complètement barrée, ou l'on sourit quasiment pendant une scène de torture, est un hommage au film Reservoir dogs. Elle est sortie en mai cette année et ci dessous maintenant.
"Can’t hardly feel", plus lent et hypnotique, donne le ton de la deuxième partie de l’album. Plus profond et introspectif à l’instar de "One by one" dont la base est digne d’un bon massive attack ou d’un Unkle des années 2000… Impressionniste et prégnant. La voix baryton de Banks faisant des merveilles entrecoupée par le rap de RZA sans que jamais on ait l’impression d’une once de volonté de prise de pouvoir par l’un ou l’autre des compositeurs-chanteurs-rappeurs. Doux et lourd, presque transcendental, ce morceau comme le suivant est une vraie réussite.
"Gonna make it" justement nommé est l’avant dernier morceau de l’album. Il mix à merveille les talents multiples des deux musiciens et compositeurs/arrangeurs. La base est légère mais fouillée comme une dentelle dont on conçoit la complexité mais qui se laisse admirer facilement. La mélodie de Paul Banks délivrée sur les couplets rappelle presque les vieux Bowie, le rap de RZA donne de l’urgence et de la poigne au morceau. Il est planant et prenant, impérieux. Il trônera dans ma playlist coup de cœur un bon moment je pense. C’est peut-être en parlant de ce morceau que Paul Banks a dit : “Using words to describe music is like using dance to describe architecture.” Personnellement, j’aime beaucoup danser…
Pour finir cet album, c’est une promenade pour entendre le point de vue de quelques potes du Wu venus jeter leur mots et notes sur le projet de leur compère RZA et de son nouveau compère. Plus nettement hip hop, un peu fourre-tout, un peu délirant à la Snoop dog, piano-batterie et une guitare qui déraille… Après le magnifique morceau précédent, bof, pas essentiel dirais-je mais peut-être que les afficionados du style seraient conquis… pas sûr quand même.