Voici "la clé" pour commencer l’écoute du nouvel album de Melissmell.
Un petit bout de morceau, de comptine enfantine grandie de sons étranges et décalés, de scansions. Il y en aura d’autres dans cet album : L’Ankou ciselé et riche de l’univers de Melissmell, qui compose, écrit, chante, joue des instruments connus ou inventés, hurle le rock hors de sa tête et de ses entrailles. Elle sait s’entourer de précieux adjuvants qui l’accompagnent, la soutiennent coûte que coûte dans ses quêtes finalement victorieuses malgré tous les handicaps, les vicissitudes qui tentent d’empêcher la sortie de ses mots tumultueux et parfois perchés, abscons en apparence ou lourds de sens, portés par ses musiques intelligemment senties et profilées.
L’Ankou c’est un personnage de la mythologie Celte (puis Bretonne evel-just) qui serait un peu le larbin de la mort. Il collecte les âmes dans une charrette ou une barque. Une sorte de passeur d’informations noires et létales. C’est un peu, morceau après morceau, la noirceur du monde et des êtres parfois abjects parfois à la limite du surnaturel que l’on rencontre dans cet album. C'est un pamphlet réaliste de nos conditions d’humains qui se laissent berner parce que c’est confortable allant même jusqu’à détruire leurs vies et leurs cadres, aveugles jusqu’à l’extinction prononcée.
Le premier « vrai » morceau de l’album : "La rivière", a été co-composé par François Matuszenski, Matu, clavier rock de nombreux groupes des années 80 puis de Mano Solo, et d’Indochine. Il a d’ailleurs accompagné Melissmell sur de nombreuses dates en duo piano-voix entre l’album précédent : Droit dans la gueule du loup et celui-ci.
"La rivière" donc, accroche directement l’oreille avec sa mélodie simple et synthétique sur lequel se pose une basse toute en blanche rejointe par la batterie rock binaire "poum poum tchak tchak" ce qui permet au texte, soutenu par de jolies interventions « chorussées» d’une guitare bien ronde, d’être parfaitement entendu.
L’humanité du futur chante, par la bouche de Melissmell, la complainte de la rivière qui n’est plus, comme les glaciers, pollués jusqu’à leur disparition. Pourtant l’alternative existe à cette humanité qui détruit tout et qui ne passera pas par ceux qui la combattent : « si tu la cherches, vas voir ailleurs si elle y est ».
Plus légère en apparence, sur un rythme rapide aux accents pop synthétique des années 80 mixés à une guitare très « dobro » réverbérée à souhait, "Citadelle" est une ode au nombrilisme absolu du capitalisme et à l’égocentrisme qu’il induit. Ecrit et composé par Guillaume Favray qui avait déjà écrit en quasi-totalité l’album précédent, c’est le morceau qui a été choisi en preview de l’album. Il remplit d’ailleurs parfaitement sa fonction de locomotive. Mine de rien, sans que la profondeur du sujet ne le plombe à l’écoute, un peu à l’instar d’un "Emporté par la foule" façon rock, « ça tourne, ça tourne toujours autour de toi »
Pour "les restes", c’est Joy Prior qui est créditée avec Melissmell. Musicalement plutôt classique rock, aux mots mi-français, mi-anglais, plutôt basique si on reste sur l’écoute lointaine, ce morceau recèle pas mal de petites surprises sonores, de sons bien sentis. La voix est brute, presque plate, même lorsqu’elle monte... et pour le coup l’ambiance du morceau est celle attendue, comme une manifestation de colère brute finalement.
Ne pas déflorer le secret de ces petits bouts de son, sorte d’Aiku sonores que sont "Air Frao" qui suit ou de "Domalah" l’avant dernière plage de l’album est difficile. Pour le premier en tous les cas, une question me taraude encore mais la poser serait déjà une réponse à la vôtre… Enigmatique isn’t it ? A vous de jouer et surtout d’apprécier leurs jolies mélopées originales étrangement reconnues !
« Quelle écriture divine, la douleur de la plume s’il lui fallait parler »… Organique et puissante, la voix de Melissmell sublime ses mots de douleur et son désespoir pour s’offrir corps et âme à l’auditeur dans "Le chant des éclairés". L’écrin est remarquablement composé et prend aux tripes jusqu’au paroxysme, quand « la muse scande enfin le chant des éclairés ». C’est alors, adoucie par une fin instrumentale que l’on se remet doucement de ce voyage qui va de l’ombre à la lumière et nous laisse là, pantelants d’émotion à n’avoir que l’envie de repartir pour une expérience toujours renouvelée tant la richesse de ce morceau est incommensurable.
Intelligente, même clairvoyante, Melissmell permet à nos esprits de rependre pied en accompagnant notre descente, qu’elle soit d’acide, mystique ou ésotérique en volutes sonores. C’est finalement une cérémonie sur l’assurance qu’à chaque fin de siècle naissent les visionnaires qui nous sauveront de l’obscurantisme à laquelle nous avons été conviés ainsi qu'à l’avènement d’une lueur d’espoir pour l’humanité qui en étant libérée pourrait enfin se relever.
Ce morceau deviendra culte, c’est sûr, comme un "Amsterdam" ou un "Aux armes" côté chanson mixé à un "Tostaky" ou un "Rue de Siam" côté rock.
Le côté chanson prend le dessus dans "La noyée", le titre suivant. Emprunt d’images qu’on pourrait sortir d’un film de Tim Burton et des sons dignes des B.O de Danny Elfman, c’est un morceau noir et sépia avec quelques touches plus vives. Piano et piano jouet/voix pour commencer, il s’étoffe peu à peu d’instruments qui lui donnent vie. Morbide au premier abord, l’impression d’une conversation éthérée avec un spectre ou un autre soi qui se cache, se teinte peu à peu de réalisme et de réponses. La mise en abime musicale, grâce aux violoncelles qui contrechantent en décalage avec un bando (ou accor) déon jusqu’à l’arrivée des guitares, orgues et batterie finissent en apothéose un morceau devenu bien vivant et presque rassurant.
Aiku sonore suivant : "Mots dits beat", un jeu musical sur les mots « mot », « beat », « maudit » « dick », « moby » avant d’enchainer sur "La loose".
Ce morceau a été écrit lorsque Melissmell fait cortège à Jérôme Kerviel qui l’avait appelée pour l’accompagner de l’Italie à la France, marchant sous le tunnel de Vintimille à l’issu duquel l’attendait police puis prison, la loose quoi !
Construit à la manière d’un morceau du Velvet underground, la guitare est fausse, la voix forcément un peu aléatoire, pas vraiment plaisant à écouter pour la musique mais drôle à balancer quand on a pas le choix et que comme Kerviel accompagné de Melissmell, on va inexorablement vers sa loose !
Petit silence en Aiku, cette fois textuellement sur des bruits de pendules oubliées…
Un ange passe dirait Noir désir.
"Khmar" est le morceau suivant. Co-signé par Bayrem Ben Amor, guitariste et bidouilleur pour pas mal de monde depuis de nombreuses années (entre autre, Mano Solo, Manu, Luke et déjà Melissmell). Puissante, la batterie qui roule avec la guitare disto sur une base synthétique discrète en nappe nous embarque directement. On pense à Aston Villa "de jour comme de nuit" ou "Hurt" de Nine inch nails pour la forme car le propos est sensiblement l’inverse.
Facture rock voix presque parlée ou doublée à l’octave, on reste accroché aux silences comme des ponctuations, des soulignements. La colère froide contre les hommes qui tiendraient les femmes sous leur joug s'amplifie au fur et à mesure que les phrases assassines s'enchaînent… Tableau dur et sans complaisance, dont certaines scènes de Millénium : "The girl with the dragon tatoo" pourraient être un support visuel. On pense aussi à une conversation intérieure pleine de fureur d’une femme qui s’interroge, les mains sur le lavabo, face à un miroir sur la vieillesse (qui la) guette et sur la décision (volontaire ?) d’une vie sans enfant (mâle ?) tant elle est révoltée par la condition féminine.
Ainsi, elle se pose presque en Oeorpata avec la question d’une société amazone comme résolution à la connerie d’un genre.
Dur et magnifique, je met au défi quiconque de sortir de ce morceau indemne.
Co-signé pour la musique encore par Bayrem Ben Amor (comme tous les morceaux qui finiront cet album), plus léger, "le pendu" l’est en apparence. C’est une marche qui commence très simplement voix et guitare, toute en contretemps. Elle donne immédiatement envie de lever l’étendard sanglant en marchant en cadence derrière le tambour…
En tendant l’oreille, très vite, on remarque que les protagonistes de cette marche sont plutôt des femmes et ne portent que des oripeaux, que leur chair blafarde n’est pas présente sur la totalité de leur squelette et que leur posture est de guingois. Les pendues marchent.
Le premier refrain qui arrive après leur présentation permet la résolution de nos questions : « Et pendez votre Dieu comme vous pendez les femmes… ». La rythmique rejoint la manifestation et l’amplifie pour passer toutes ensembles sous les fenêtres des saladins, des paladins du diable et autres émissaires d’un divin issu d’un diable qui pendrait les femmes par les yeux.
Melissmell a écrit ce morceau entre les attentats de Charlie Hebdo et la grande manifestation du 11 septembre 2015 alors que tous les autres morceaux de l’album étaient bouclés. Elle s’est inspirée de deux grands textes : "Le bal des pendus" d'Arthur Rimbaud et "La ballade des pendus" de François Villon qui lui ont permis de mettre des mots sur les douleurs et révoltes personnelles et collectives. Je vous laisse découvrir l’autre secret de ce morceau qui devient évident lorsqu’on a les paroles sous les yeux.
"Ma petite étoile noire" aux sons plus éthérés, à la tourne rythmique machine et aux nappes synthés, aux sons samplés agrémentées de bouts de mélodies dispensées par des voix trafiquées, des guitares ou des instruments étranges et indéfinis arrive à nos oreilles. Presque chaloupée, si ce n’étaient les mots taillés au rasoir, on pourrait presque se laisser aller au pas de danse et au déhanchement innocent. Le thème du déracinement, de la misère, de la famine et de la bonne conscience des autres nous cloue une nouvelle fois dans sa beauté statique.
"Domalah" le petit bout de morceau qui avait servi à Melissmell pour lancer un concours sur les réseaux socio nous permet d’atteindre le dernier morceau de l’album.
Bien nommé, ce dernier morceau de l’Ankou s’intitule "Adieux".
Un clavier et une guitare acoustique, de petits arrangements flottants et réverbérés donnant du relief, accompagnent Melissmell qui fait ses adieux. L’arrivée de la rythmique puissante et des guitares électriques ramène le rock dans son expression première.
Clin d’œil au "Salut à toi" des Bérruriers noirs, cette litanie exutoire permet peut-être de mesurer tout ce qui manquerait à Mélanie Coulet si elle finissait par abandonner Melissmell, ou les combats qu’elle mène pour se recroqueviller définitivement dans un coin de cellule capitonnée, ou pire, rejoindre les noyées, pendues, flinguées et disparues.
Après cette immersion dans l’univers de Melissmell, on sent aussi que cette solution ultime permettrait de répondre à la question qui sous-tend tout cet album : Que fait donc l’humanité avec ses dieux et ses diables ? Quid des fois et croyances ? Qu'en penser quand nous restons à quai ?
Musicalement tout en crescendo, la voix de Melissmell est poignante et fait rapidement basculer l’alarme à l’œil, émotions, poils et tout.
Belle fin d’album finalement si emprunte d’espérance. Et la signature que je vous laisse chercher si vous avez envie de jouer avec Melissmell qui définitivement rend cet album pourtant si sombre, plein de surprises ludiques, de petits sourires et de clin d’œil. L’humour n’est pas loin !
Urgent et contestataire, puissant et sensible, L’Ankou est alimenté par les révoltes et les révolutions de Melissmell qui croisent souvent le chemin des nôtres. Enregistré au Studio Real World de Peter Gabriel par Bruno Green qui avait déjà sublimé l’album de Detroit, cet album devient dès sa première écoute aussi indispensable et puissant que bien des galettes rock « couillues » de ces dernières années.
Du côté des musiciens présents sur l’Ankou, on retrouve les guitares de Yann Féry, Bayrem Ben Amor et Daniel Jamet (Mano Solo, Têtes raides, Saez) qui avaient déjà, comme Matu (François Matuszenski, (crédité pour quasi tous les arrangements et prog), participé aux précédents travaux de Mélanie (Droit dans la gueule du loup), et Gaël Desbois aux batteries.
Melissmell, sera en tournée tout cet automne et pour avoir déjà vu cet animal multiforme, autant ronronnant que crachant des flammes, multicolore du noir (désir) obscur au rouge sang, je vous conseille vivement de faire cette expérience. Sure qu’à son contact, vous ne serez plus jamais tout fait les mêmes.
Photo concert Bérénice -Salle des Rancy 2015-