Cette année, The Limiñanas ont fait figure de sauveurs pour les amateurs de rock, égarés dans les gros festoches de musiques actuelles. Musiques "consensuelles" devrait-on dire, tant les dits festivals sont littéralement trustés par les mêmes têtes de… - d'affiches, sorry ! - choisies plus pour leurs promesses de retour sur investissement, que pour leur capacité à faire vibrer nos coeurs de rocker… Ratés au Printemps de Bourges pour cause "d'atteinte de limite de concert/jour" et d'horaire past midnight, il était hors de question de faire à nouveau faux-bond à nos garageux de Cabestany. D'autant que leur camarade catalan Pascal Comelade s'était joint à eux pour l'occase et qu'ils avaient offert la première partie à Sarah McCoy, une real honky tonk woman de New Orleans, dont ils se sont entichés au point de produire son premier album… Car avec Lionel et Marie Limiñana - et leurs acolytes sur scène - s'il a bien un maître-mot qui s'impose, c'est l'authenticité. Une appétance certaine pour la rugosité de la pédale fuzz et les aspérités psychédéliques, tout autant que pour des textes subversifs façon gainsbarre et donc émminement jouissifs…
Photos © E. Jorda
Ce préambule interminab' et passablement littéraire, vous a un tantinet gonflé ? La suite va vous faire fermer illico cette page et retourner à de plus saines occupations que la lecture de billevesées wakenrolliennes. Figurez-vous que grâce aux passe-droits honteux que procure le statut d'envoyé spécial de la Grosse Radio, votre serviteur se retrouva attablé au bar jouxtant la Cigale avec Mickaël Malaga, le bassiste des Liminanas. Nan… Rétablissons l'inneffable vérité avant d'aller plus avant ; ce traitement de faveur est du à l'entregrent du collègue Buckaroo Banzaï, poto du pays du sus-nommé et auteur des superbes clichés qui illustrent ce live-report digressif autant que transgressif. Mickaël, avec lequel nous passâmes un fort agréable moment autour d'un thé - bon okay, de binouzes - à deviser muzak. Le temps pour lui de nous conter avec émotion comment il s'était débrouillé pour racheter sa première basse, une modeste Squier, de partager le sentiment que les plus jeunes s'éloignent du rock au profit d'autres musiques plus adaptées au nécessaire besoin de révolte juvénile et de s'interroger mutuellement sur le succès éclair du groupe La Femme, au vu de leurs performances scéniques. Une conversation en terrasse comme on aimerait avoir bien plus souvent… Nous fûmes rejoint par Nika Leeflang la frontwoman du groupe, laquelle s'inquiétait d'être au top ce soir là. Et lorsque Lionel Limiñana vint à passer pour prendre un peu l'air après avoir passé des heures dans le ventre sombre de la Cigale, nous nous rendîmes tous compte qu'il était peut-être temps d'y aller…
Photos © E. Jorda
Vous êtes encore là ? Je vous avais pourtant averti que j'allais vous taper sur les nerfs avec mes digressions parisiannistes et vous deviez bien vous douter qu'il allait falloir attendre le deuxième paragraphe pour apprendre quelque chose de pertinent sur ce concert… Sarah McCoy attaquait son set quand nous pénétrâmes dans la salle. Je fonçais comme un dératé pour occuper une place stratégique devant la scène tandis Buckaroo décidait d'aller crier Banzaï du haut du balcon pour shooter en piqué. Au vu de ses prestations bukowskiennes visibles sur Youtube, on aurait pu s'attendre à ce que la diva des bastringues de Big Easy se lâche d'entrée ce soir là. En même temps, la Cigale n'est pas autant propice aux effusions transpiratoires que la Maroquinerie, qu'elle avait enflammé l'an passé lors du festival de l'alligator… Ou peut-être que l'acoustique toujours aussi impeccable, lui a donné envie de démontrer ses talents de pianiste. Une aisance au clavier au demeurant à la hauteur d'une voix d'exception, qu'un de mes voisins compara avec conviction à celle de Nina Simone. Sarah MacCoy sait malmener son piano aussi violemment qu'un vieux bluesman embourbonné et dans le même temps, en tirer un jeu expressioniste à la Kurt Weil, subtilement accompagné par les notes de glockenspiel de sa complice Alyssa Potter. Une couleur musicale assumée et même revendiquée à travers son exubérance gestuelle tout autant que visuelle ; perruque et maquillage mauve flashy, une touche glam du plus bel effet ! Tout en savourant avec délection son verre de rouge, Sarah McCoy s'essaya même avec bonheur au français avec un naturel "so charming"… pour mieux nous cueillir comme des fleurs ensuite avec sa ronde destroy, le bien nommé "Merry go-round" ! Pour le final, délaissant son clavier pour venir au devant de la scène, elle se lança a cappella dans une démo de gospel païen qui fit dresser le système pileux à plus d'un dans la salle !
Photos © E. Jorda
Vêtus du noir de rigueur, The Limiñanas pénétrèrent sur scène dans la pénombre, tels des loups en maraude entrant dans Paris… Des effets lumière réduits au max, trustés pour éclairer Nika et Marie, dont la batterie trônait à gauche, bien visible pour une fois. Mickaël son alter ego rythmique se dissimulait dans son ombre, Pascal Comelade et son complice Yvan Telefunken monopolisaient discrètement le fond de scène avec leurs claviers tandis que Alban Barate s'était octroyé à la guitare le côté cour. Lionel Liminanas le chef du gang, avait beau se tenir à l'avant ; je ne verrais de lui qu'une silhouette découpée, arqueboutée sur sa guitare, sa longue barbe de barde rock s'agitant frénétiquement… Ça va ? Vous l'avez en visuel le décor ? Passons au son. "Malamore" titre éponyme du dernier opus, ouvrit le feu. Belle entrée en matière ; on démarre piano pour appuyer progressivement sur la pédale et nous habituer ainsi à des embardées fuzziennes. Et nous voilà partis pour un voyage psyché qui nous emportait "en douceur" pour une traversée de ce pays du fuzz ! Un rock trip, avec des pointes de vitesses toutes grattes dehors ("Funeral Baby ") et des descentes langoureuses ("Je ne suis pas très drogue"). Marie me confiera par la suite, le soin apporté - comprenez sans doute la prise de tête - pour construire cette setlist de quelques 25 morceaux et susciter une telle montée en puissance. Un petit apparté à propos de Marie et de son jeu. D'aucuns autour de moi, semblaient regretter qui le charley, qui le crash... Moi, les drums je les aime secs, sans glace, sans fioritures de forts du bras. Basique la rythmique de Marie ? Plutôt primale que primaire, rock tout simplement. Il est souvent plus ardu d'aller à l'essentiel, sans béquilles, ni filet pour créer cette émotion brute qui n'admet pour seule forme de partage que la musique elle-même... Pas de places non plus pour les appartés souvent nombrilistes, The Liminanas sont là pour jouer, straight ahead, droit dans la cible, droit dans leurs bottes. Chez ces gens là, on ne joue pas Monsieur... On donne. A l'image de leur cadeau en forme de guest. Certains attendaient Peter Hook, l'ex bassiste de Joy Division et c'est bien des Liminanas que d'inviter un autre franc du collier, Jean-Pierre Kalfon... Putain, Kalfon ! L'acteur au profil d'aigle. Le blues rocker déjanté, toujours bien vert à plus de 77 piges ! Il nous le prouva sans peine en déclamant de sa voix inimitable "L'orgie parisienne ou Paris se repeuple" de Rimbaud.
Impossible de ne pas clore ce live report comme il a commencé ; en vous faisant un peu rager donc… Passés backstage toujours grâce à la complicité de Buckaroo Banzaï, on se mêla, pas peu fiers, aux autres privilégiés. Félicitations obligatoires mais ô combien sincères aux musiciens et à Nika, qui avait bien tort de s'inquiéter ; elle se fait à merveille le porte voix des compositions de Lionel. Et tels deux groupies, nous tentâmes sans succès de figurer en arrière-plan du selfie que Philippe Manoeuvre prit en compagnie des Liminanas. Pas bien grave, en revanche j'ai un grand regret dont je dois vous faire part. Mal placé durant le concert, je n'ai pu admirer à leurs justes valeurs les évolutions voluptueuses de Mimi de Montmartre qui ondulait au rythme fuzzien en fond de scène… Que voulez-vous, j'ai trop écouté "J'aime regarder les filles" de Patrick Coutin. Mais, mais... à bien y réfléchir, c'est qu'il sonnait drôlement garage le tube de l'été 1981. J'serai le monsieur Jourdain du garage à l'insu de mon plein gré, finalement ?