Cela commençait à faire quelques temps que les compères d’Aufgang n’avaient plus fait parler d’eux. Depuis trois ans en fait, puisque l’année 2013 marquait la sortie de leur troisième et dernier album en date au nom imprononçable (Istiklaliya, on vous laisse tenter votre chance !) qui m’avait tant marqué. Je ne sais pas pour vous, mais c’est personnellement avec Istiklaliya (encore ?!) que j’avais découvert le trio, et par la même occasion pris une claque grandeur nature au fur et à mesure de l’écoute cet album. Pour contextualiser, parce que ça ne fait jamais de mal et qu’en plus je ne m’en lasserais jamais, je vous laisse (re)découvrir le passage du Trio aux Deezer sessions :
Allez, pour les plus mauvais élèves d’entre vous, voici l’histoire d’Aufgang en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire : New-York, 2005, Rami Khalife et Francesco Tristano, deux pianistes de formation classique et Aymeric Westrich, batteur de Cassius, se rencontrent lancent rapidement sur la table une ébauche de projet musical à la croisée des styles, entre électro et musique savante. Aussitôt dit, (presque) aussitôt fait : en 2009 le trio sort Aufgang, un premier album qui est tout de suite très bien accueilli par la presse spécialisée (si si, quand Magic écrit que ce disque est, je cite, « brilliant de bout en bout », on peut avancer sans risque que l’accueil critique s’est bien passé !).
Il faut dire que le trio a de la gueule et que le son qu’il dégage, loin de se contenter d’être seulement original, recèle également son lot de petites perles auditives. Aufgang mène ensuite tranquillement sa barque, accouchant de deux autres albums dans les années qui suivent et perdant en cours de route Francesco Tristano en 2010, qui s’en ira voguer vers d’autres horizons musicaux.
C’est donc le duo Aufgang qui nous revient en cet automne 2016 avec l’ambition de nous refaire goûter à leur délicieux mélange stylistique dont eux seuls connaissent le secret. Turbulences, ce 4ème album, avait donc de quoi faire parler tout le petit monde qui gravite autour de la sphère Aufgang. Si on devait commencer par la base, on dirait que premièrement, l’absence d’un deuxième clavier, le passage du trio au duo, a naturellement de quoi décevoir. La puissance du son dégagé par la formation en pâtît, et rare sont les ambiances proposées dans Turbulences qui ont la même capacité qu’avait Istiklaliya à clouer l’auditeur sur son siège. Quelques chansons y arrivent encore, on pense notamment à la deuxième partie de la chanson « Turbulences », mais il reste en arrière-goût de tout ça cette sensation que la démarche est moins spontané qu’à l’accoutumé, que les compères auront forcé un peu pour en arriver là, ce qui n’était pas le cas quelques années en arrière. Peut-être en réponse au vide occasionné par la perte d’un tiers de sa force de frappe, Aufgang met en avant avec Turbulences un aspect auparavant quasiment inexistant : le chant. Jamais on n’aura autant entendu chanter dans une galette de la formation. Le résultat est assurément réussi (écoutez « Lost » ou « Runaway » pour vous en persuader instantanément). Les parties chants sont rondement menées et donnent au groupe l’occasion de s’épanouir dans des ambiances plus pérennes qu’à son habitude.
L’inspiration du tout très orientale, et on ne comptera pas les références éparpillées tout au long de l’écoute aux sonorités maghrébines et du Moyen-Orient, tant dans le chant que dans les instruments utilisés (l’exemple le plus flagrant restant le 1er titre et single de l’album, « Mizmar »). Si ce revirement de sonorité quelque peu soudain a de quoi surprendre, il ne donne pas pour autant une raison de tirer la grimace. C’est bien fait et on décèle tout de suite le potentiel accrocheur du titre (qui vous restera dans la tête, croyez-moi !).
Crédit : Yann Orhan
De manière générale et pour ma part, c’est sur un regret que j’ai terminé l’écoute de Turbulences. Si ce quatrième album est plutôt bon, j'ai pour le coup été beaucoup moins secoué que ce que j'avais espéré. Quelques turbulences supplémentaires en plein vol ne m'auraient pas déplues... Aufgang a perdu de sa superbe en cela que le temps ou ses musiciens mélangeaient avec brio la musique savante et l’électro est révolu. Comme le définissait Pitchfork, Aufgang «mélange avec virtuosité, piano, batterie et électronique, un pied dans les clubs, l'autre dans les conservatoires». Si ce constat définissait avec brio la formation jusqu’à Istiklaliya, force est de constater que ce n’est plus le cas avec Turbulences (il n’y a qu’à écouter « Fix », « Shaman » ou « Summer » pour s’en rendre compte). A La Grosse Radio on regrette surtout ces sonorités propres au groupe, qui laissaient imaginer des classiqueux complètement défoncés au crac qui perdaient les pédales sur leurs claviers dans un conservatoire obscur pendant qu’un batteur ivre de puissance réinventait le métier de bucheron sur ses fûts. Vous reprendrez bien un peu de Istiklaliya ?