Depuis l'aube de la musique rock moderne, chaque formation n'est en réalité qu'un croisement. Carrefour de plusieurs carrières, qui se mélangent et se retrouvent. Dans les vétérans de ce style si chéri, il est donc normal de retrouver des musiciens à la carrière solo dantesque ou énormément de formations suppléantes auxquelles on oublie souvent de jeter une oreille. Pourtant, c'est souvent là que se trouvent les pépites.
Pourtant occupés par une tournée aux conditions éreintantes de King Crimson, Tony Levin et Pat Mastelotto, hommes de l'ombre du Roi Cramoisi, prennent le temps de travailler leurs compositions. C'est ainsi qu'avec Markus Reuter et leur formation Stick Men, les deux acolytes sortent Prog Noir, et avec lui son lot de mystère.
Faut dire qu'en centrant leur style sur un instrumental rythmique basé sur la déconstruction, on ne va pas se sentir dans notre zone de confort. Dès "Mantra", on ressent les influences de "Discipline" et l’addiction des musiciens pour la déstructuration. On se laisse porter par les emphases des Chapman Stick de Levin et Reuter, le voyage est enivrant, insolite.
Quelques lignes vocales par-ci par-là, souvent parlées, qui ajoutent au mysticisme général, nous faisant penser aux expérimentations de Lou Reed. D'ailleurs, nombreuses sont les entités qui composent le corps singulier de Stick Men. On pourra, sur "Plutonium" par exemple, savourer les lignes réarrangées de "Roundabout" de Yes ou de "Ô fortuna", partie la plus connue du recueil de poèmes Carmina Burana. De manière subtile et astucieuse, le groupe dissèque ses pères pour mieux les dépasser, repousse ses maîtres et s'élève vers ce qu'il est, son identité.
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Le seul bémol de Prog Noir sera sa répétition, qui finira par nous faire lâcher prise dans ses derniers instants. À défaut de ne pas nous proposer de continuité ou de progression dans les mélodies, le groupe en vient à enfermer son auditeur dans une sphère obsessionnelle. Les amoureux de rythmes désordonnés seront ravis, les maladifs de mélodies envoûtantes un peu moins. Une choses est sûre cependant : Stick Men, tout en restant une formation de l'ombre destinée à un public de niche, est toujours d'une qualité indéniable, et prouve ici avec Prog Noir que l'imagination n'a pas de limites.