Quetzal Snakes – Cult of Deafstruction

Quetzalcoatl est le nom donné, dans le centre du Mexique, à l'une des incarnations du serpent à plumes, qui était une des principales divinités pan-mésoaméricaines, et si Wikipédia le dit, c'est que ça doit être vrai. Le mot signifierait littéralement serpent-quetzal (le nom de quetzal désignant plusieurs espèces d'oiseaux de la zone néotropicale appartenant aux genres Pharomachrus et Euptilotis, de la famille des trogonidés). Le groupe Quetzal Snakes a donc pris pour nom la traduction littérale en anglais de la traduction littérale en français d'un mot issu du vocabulaire nahuatl, une macro-langue de la famille uzo-aztèque, Quetzalcoatl. Et pourtant, il viennent de Marseille.

Après Lovely Sort of Death, un EP, sorti en 2014 chez Howlin Banana Records (ce qui est ma foi un gage de qualité) et Retard Records (label créé par Alex, guitariste-chanteur du groupe), un second EP du nom de II en 2015, le quintet poursuit sa logique implacable de un-EP-par-an au moyen de ce Cult Of Deafstruction, publié le 21 octobre dernier. Six titres, enregistrés dans la cité phocéenne, et mixés ensuite à Brooklyn, ces messieurs sont des hommes du monde.

Quetzal Snakes, Cult of Deafstruction, Longwar, Out Records, Howlin Banana Records

C'est "Model" qui ouvre les hostilités, que l'on considérera : comme un avant-propos, une mise en bouche/en garde, un déflorage bruyant, un petit plaisir arrogant, ou comme une arnaque d'une minute vingt-cinq destinée à valider le sticker « EP 6 titres » sur la pochette – c'est au choix (on n'affirme rien, on lance des débats pour que les Hommes s'y entre-tuent). Après cela, une fois que l'animal qui criait se sera tu, tout ne sera plus que flammes et explosions, comme le nom de l'œuvre l'indique, une destruction par le son, une marche forcée vers la surdité (l'humanité était perdue quoi qu'il arrive).

Le fascinant dans cette apocalypse sonique, c'est la variété des supplices qu'elle nous propose, par la juxtaposition d'ambiances tantôt apaisantes, tantôt paniquantes. Cette remarque s'applique d'ailleurs tant aux morceaux en eux-mêmes : l'excellent "Lavamount", cette rêverie entrecoupée de sautes d'humeur, d'éruptions, en fait, de décibels, ces guitares bipolaires, éthérées puis agressives soudain ; qu'à l'album dans sa structure globale : l'enchaînement "Longwar" – "Napalm Trees" – "F.R.A.", deux épopées brûlantes coupées d'une mélopée brûlée. C'est justement grâce à ces titres, les plus rapides, les plus furieux, que la singularité du groupe se dessine réellement, et que l'on commence à discerner le propos sous les braises.

Cette singularité pourrait provenir de ce fait que le quintet, en plus de la traditionnelle section rythmique, utilise les guitaristes trois par trois ; inhabituel, mais pas complètement inédit non plus, certes... Seulement, là où d'autres groupes s'en serviraient plutôt pour ouvrir à fond les panoramiques et faire béatement dans la dentelle, Quetzal Snakes fait plutôt dans la grosse chaussette de ski bien épaisse, si l'on doit aussi filer cette métaphore à la con. Leur truc, c'est la répétition du même anti-riff jusqu'à plus faim : on sera plutôt dans la création instinctive de sensations que dans la recherche de la mélodie qui va bien – d'ailleurs à ce propos, les lignes de chant sont rares, et plutôt minimalistes, l'air de dire qu'ici on ne chante pas pour ne rien dire. En fait, putôt qu'une métaphore vestimentaire ridicule, on pourrait choisir une métaphore alimentaire ridicule. Cult of Deafstruction, c'est un peu comme un sandwich, la boulangère te dirait, tu as le droit à trois ingrédients en plus du pain et du jambon (dans ce cas de figure, le pain c'est plutôt la batterie et le jambon, la basse), et qu'au lieu de choisir de la salade, des cornichons et des oignons, Quetzal Snakes demande qu'on bétonne ça au fromage, trois fromages différents, et puis pas n'importe lesquels quoi, de la raclette, du camembert et du reblochon, genre on a des estomacs de montagnards (et puis du coup le chant serait un genre de filet d'huile d'olive bio balancé comme ça à la rasbaille). Bref. En tout cas ça fonctionne ; il en émerge une transe parfaitement bourrative, mais qui réchauffe comme il faut. Le cas de "Lavamount" est en cela le plus parlant : un unique thème est développé pendant trois minutes et quarante-quatre secondes. Là, la première véritable modulation survient ; quatre accords tournent alors en boucle pendant un peu moins d'une minute... Construction que d'aucuns jugeraient redondante, mais qui s'avère en fait parfaitement efficace ; on s'y perd et on oublie le temps.

Il faut dire aussi que le mix est intelligent ; la délicatesse du traitement de trois guitares grasses est surpassée avec finesse. On a laissé des trucs louches traîné çà et là, des genres de déchets attachants. Certaines coupures dans la partition de telle ou telle six-cordes sont abruptes, foutraques, c'est moderne. Il est un peu plus compliqué de saisir ce qui se dit de ce côté dans les deux derniers morceaux, bien plus violents, dont la frénésie fait gagner en brouillon, mais à ce stade, on ne s'en préoccupe plus ; on est dynamité.

Ainsi, sans faire preuve, soyons clairs, d'une originalité révolutionnaire, et malgré la légère redondance que l'EP présente probablement à cause de la contrainte des trois guitares que le groupe s'impose à lui-même, une identité parvient tout de même à émerger, et de la seule façon qui soit valable dans le monde du fucking rock'n'roll : via l'insoumission, en négatif, à rebrousse-chemin, par l'opposition, contenue finalement dans le titre du morceau final, une revendication traduisant un désir de faire un garage pas comme les autres, voire de ne pas faire un garage du tout, plutôt sun-gazer que shoe-gazer, comprendre plutôt se cramer les rétines en scrutant l'astre suprême que se taper une scoliose en observant ses pompes.
Cult of Deafstruction est donc un EP de bonne facture, suffisamment alléchant pour susciter l'envie d'aller les voir en live.

Sortie le 21 octobre chez Transfuges 

Crédits photo : Raw Journey

NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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