C'est avec cet album que nous découvrons le trio anglais The Wave Pictures ; on ne peut pourtant pas leur reprocher de ne pas s'être manifestés avant : depuis leur formation, en 1998, leur activité est débordante, et leur a permis d'édifier une discographie incroyablement fournie, comptant pas moins de vingt-et-un albums et EP, sans compter les quelques à-côté, albums solo, splits et autres extra-ordinairetés (dont un 10 titres apparemment écrit par Bruce Springsteen). Etat des lieux des forces et des limites de ce Bamboo Diner In The Rain.
Le premier charme à opérer, instantanément, est celui de la voix : claire, distinguée, elle nous accroche dès les premiers mots. Le chant de Dave Tattersall est posé, légèrement nonchalant : le genre de lignes que l'on chante avec un verre de bourbon dans une main, un cigare cubain dans l'autre. Une véritable personnalité en émane, comme à l'occasion, par exemple, de "Hot Little Hand", une ballade nostalgique particulièrement émouvante, qui pourrait faire la bande son de la fin d'un épisode de Cold Case ou un truc comme ça, quand ils trouvent le coupable et qu'ils le font passer devant toute sa famille qui lui jette des regards abasourdis ou méprisants – faudrait pas qu'ils s'en servent d'ailleurs, c'est fou comme la télé a le don de gâcher la musique mais là n'est pas la question.
Les ambiances qui nous sont proposées sont plutôt convaincantes ; les guitares jouent clairement un rôle majeur dans la réussite de celles-ci ; qu'elles soient slide, surf, en forme de coucher de soleil, ou foutraques, en une superposition de solo savamment bordélique, ce sont elles qui donnent de la couleur aux grooves simples tissés par la section rythmique, plutôt discrète. On se demande d'ailleurs, puisqu'ils semblent être un vrai trio, comment ils s'arrangent en live pour combler les espaces remplis, en studio, par une six-cordes additionelle – d'autant qu'une très grande place est laissée aux solos, jamais prétentieux, ce qui par ailleurs a le mérite d'être couillu dans un monde où ceux-ci soit se sont raréfiés, soit sont devenus de vilaines démonstrations stériles.
Globalement, Bamboo Diner In The Rain semble vouloir mettre plus en valeur les influences blues, folk du groupe que sur les sorties précédentes, sans toutefois s'y limiter – on reste indiscutablement rock. Il est construit sur deux types de compositions : d'un côté, des mid-tempo bluesy, de l'autre, des balades acoustiques, comme ce "Bamboo Diner Rag", gentil instrumental americana, ou ragtime puisqu'ils nous le soufflent. Quoi qu'il en soit, c'est d'une façon que l'on pourrait qualifier de « très anglaise » que les Wave Pictures traitent ces influences américaines – étant bien entendu que ce terme d'anglais n'est rien d'autre qu'un subsitut à l'adjectif imaginaire « rolling-stonesque » ; ils appréhendent le blues sous le même angle que celui des vieillards lumineux, sans aller plus loin dans la comparaison.
Si tous les morceaux, pris un à un, sont indiscutablement bons, bien interprétés, et le son plutôt soigné, on relève quand même un problème important : on comprend sans doute un peu trop rapidement le propos, et une impression de tourner en rond nous saisit avant la fin. Comme on l'a dit, l'album est construit sur deux genres de compositions, les balades acoustiques, et les mid-tempo ; cette exclusivité paraît un peu redondante, surtout que les structures semblent également plutôt figées. Si l'album est rafraichissant, parce que le créneau choisi par le groupe, loin à la fois du rentre-dedans et du mielleux, est loin d'être surreprésenté, et parce que les mélodies sont belles, touchantes et addictives, on regrette cette linéarité un peu trop marquée.
La prise de risques, le morceau-surprise, qui bouscule sous le casque, enfin ce genre d'événements qu'on a pourtant cru appercevoir à l'occasion de Long Black Cars, leur album de 2012, ou Instant Coffee Baby, de 2008, notamment, ne vient pas. Pour autant, si ce défaut empêche à Bamboo Diner In The Rain de prendre une dimension supplémentaire, il nous reste quand même dix morceaux de très bonne qualité à faire tourner pour réchauffer nos petits corps, au cœur de l'hiver.
Sortie : 11 novembre 2016, Moshi Moshi Records/Pias
Crédits photo : The Wave Pictures