Une tramontane glacée souffle sur la plaine de Gignac, frigorifiant les corps presque aussi sûrement que 2017 et ses échéances politico-déprimantes s’apprête à nous glacer les cœurs. Pour se réchauffer aussi bien le corps que le cœur, c’est dans les bras de Raoul Petite que nous allons nous nicher ce soir. A peine passées les portes du Sonambule, c’est déjà un autre vent qui souffle et qui annonce une tempête chaude, débridée, libertaire, arrosée d’une pluie de confettis, de chamallows, de biscuits tucs et de mousseux, de tartes à la crème, et j’en passe.
RAOUL PETITE PRESIDENT !
Tout commence quand, alors que nous sommes agglutinés au premier rang de la salle pleine à craquer, le batteur, Mario, entre en scène, lunettes rose fluos sur le bout du nez, et nœud pap à paillette, vite rejoint par le bassiste Klem, le guitariste Markus, le claviériste Alain, ainsi que la section des cuivres étincelants avec Manu, Tibo et Math.
Une intro instrumentale d’abord orientale, puis lourdement Metal nous met des fourmis dans la nuque, on trépigne, et puis voilà que les têtes autour de nous se tournent vers le fond de la salle, d’où le Sultan Carton arrive, sur une chaise à porteur, distribuant des poignées de dollars de cabinet, avant de se hisser sur scène, ou il est aussitôt rejoint par Juliette et Cathy, en tenues aguicheuses dignes d’un clip bling bling de rap west coast. Rappant sur un puissant groove Funky, Carton se présente comme le Robin des bois du Pays Artois. Plutôt north-Pas de Calais coast en l’occurrence !
Pour le morceau suivant « soyons légers », un délire Funk et Disco à l’énergie Punk donne le ton du concert. Klem et Markus rivalisent de virtuosité, l’un à la basse slappée, l’autre à la guitare disco. Lorsqu’ils s’affronteront en battle sauvage lors d’un épique solo de basse de Klem plus tard dans la soirée, la salle entière entrera en ébullition. Jusque dans les coulisses où les techniciens danseront à en perdre haleine.
Il est difficile de synthétiser un concert de Raoul Petite. Les morceaux ont majoritairement une teinte disco funk, parfois Ska, souvent Punk, mais les influences sont toujours mêlées. Le morceau «Tout est en mouvement» par exemple débute avec un solo de sax smooth Jazz typique des années 90, avant qu’une nappe de synthé ne déplace l’influence à la pop rock de U2, puis que la batterie ne bascule le tout sur un rythme Latin (peut être une samba) et que Juliette et Cathy n’entrent en scène en danseuses du ventre dans un joyeux mélange des genres.
D’autres morceaux sont clairement plus Rock, d’autres Reggae. Mieux que la valise de Mary Poppins : chaque nouveau morceau apporte sa surprise musicale et son lot d’accessoires ou de costumes.
«Mollosse» par exemple. Un drap est tendu pour projeter en ombre chinoise la silhouette tordue de Carton, tandis qu’une intro carrément Metal, rappelant «Antichrist Superstar» de Marylin Manson, nous fait rugir. Lorsque le drap tombe c’est un Carton en tenue d’esclave SM, jouet des maitresses Juliette et Cathy qui se déchainent à coup de fouet.
Côté Reggae, c’est «Fouidom» qui gagne le concours du costume le plus loufoque (même si le Louis XIV dégénéré de «Voisine» tient la corde) : Carton est en slip, avec un bonnet rasta sur le crâne, dont les dread locks sont d’énormes perles de bois, que Cathy et Juliette fumeront avec délectation….
Loufoque certes, mais les paroles sont subversives, sans avoir l’air d’y toucher : «Cessez de faire le jeu de tous les tortionnaires, de n’importe quelle manière». Il y aura aussi, encore dans un registre Reggae bien que plus mélancolique, la chanson «Irokoi», qui débutera avec un solo de trompette sur une nappe Électro au synthé.
Impossible de faire l’impasse sur les «Fouffe Power». Nous ne vous avons jusqu’à présent qu’à peine présenté les deux chanteuses qui accompagnent Carton et sa bande depuis 2003.
A notre arrivée au premier rang de la salle, un spectateur nous avait confié «moi je suis là pour les choristes». Il a été servi, même si par cette appellation, il tend à minimiser leur rôle. Juliette et Cathy (qui s’occupent aussi des costumes, bravo à elles) arranguent le public, et assurent une grande partie du spectacle.
Fouffe Power !
Cathy (l’inscription «pute discount » marquée sur le bras) semble parfois être atteinte d’un syndrome de la Tourette l’obligeant à faire des doigts d’honneurs et des tronches furibardes. Juliette n’est pas en reste, même si elle sait aussi nous surprendre quand elle chante comme une diva Soul dans la chanson «Mort mâché».
Elles dansent, elles chantent, elles slamment dans le public, font des pompes en talons aiguille… pour «Fouffe Power», elles surgissent en gigoteuses à imprimé léopard, fournies d’une généreuse touffe rose bonbon, et envoient le son, nom d’une pipe !
Quelques couplets sont chantés avec Carton mais vite leurs gros bras sortent tous les membres (mâles) de la scène qu’elles prennent en otage, pas vraiment pour conter fleurette aux gros lourds : «vient pas me parler d’excision, ni de lapidation, c’est comme si je prenais ta queue et que j’en faisais du saucisson». Tenez-le-vous pour dit.
Après le dernier morceau du show, le joyeux et frénétique ska punk «Faut y aller», les derniers musiciens n’ont pas encore quitté la scène que les rappels enflammés comme on n'a pas entendu depuis longtemps commencent à rugir : la salle et le public ne sont plus que grondements et applaudissements enragés.
Pour les rappels, un onzième membre se joint à l’équipe folle : Mario Vino qui enrichit la section cuivre de son bugle. Il restait encore de sacrées ressources dans la musette des Raoul Petite : Pour «Parano», Carton glisse sur scène enveloppé d’une cape noire, digne de Mandrake le magicien. Juliette et Cathy sont des infirmières inquiétantes, avec des traces de sang sur les blouses et des soutiens gorges peints d’yeux injectés de sang. Il revient ensuite en roi du disco, manteau moumoutte rose pour un grand moment de disco Funk, où une bonne partie du public monte sur scène pour danser à tout va, sous une pluie de chamallows.
Alors que toute la bande nous fait ses adieux pour la deuxième fois, la foule insatiable en demande encore. Ce sera donc au cours d’un deuxième rappel que j’aurai la réponse à cette question essentielle : Peut-on produire du stoner avec un tuba, un sax et une trompette ? Raoul Petite le peut, sans l’ombre d’un doute, et le prouve avec «Mammouth». Encore une fois, tous font preuve de leur fantaisie virtuose, réussissant à mélanger les vocalises baroque de Juliette, la guitare, basse, batterie Rock puissant, et les cuivres Reggae.
Et comme il faut se quitter, les derniers mots de Carton, au bord des coulisses, seront : « je m’en souviendrai toute ma vie », dans un énorme éclat de rire.
Raoul Petite est un groupe tellement improbable qu’on peut se demander s’il existe vraiment. Il existe bel et bien, et c’est heureux.
RAOUL PETITE PRESIDENT !