2016, sans aucun doute, aura été une année prolifique pour le Villejuif Underground : après les dix titres de l'album éponyme publié en juin chez SDZ Records et une tournée chinoise, le groupe a révélé, cette fois via Born Bad Records, un nouvel EP de quatre morceaux du nom de Heavy Black Matter.
« Leur marque imprévisible de garage, de pop, de country et de disco a établi des comparaisons avec des groupes inspirés par le journalisme paresseux auxquels personne au sein du groupe ne se sent lié. »
Ainsi des mots que l’on trouve sur le site du label, dans la fiche de présentation du groupe ; autant dire que la pression qui pèse sur les épaules du pauvre rédacteur en quête de bons albums pour exister est intense – il semble, en gros, qu'on n’ait pas le droit de parler du Velvet Underground pour tenter de mettre des noms sur leur son ; on fera sans. Il est notable que ces mots sont paresseusement tirés de la traduction Google d'un texte en anglais, mais bon, quand la paresse provient du groupe lui-même, c'est différent, c'est concept.
Concept également, cette voix parlée nonchalante qui parcourt l'ensemble de l'EP ; un certain sens du « cool » s'en dégage, et chaque note, chaque bribe de mélodie s’échappant de ce ton monocorde affecté n’en est que plus appréciée. Mais cette caractéristique que le groupe s’impose à lui-même semble un peu contraignante, le fait tourner rapidement en rond, ce qui dans le cas d’un EP aussi court que celui-ci est étonnant, mais n'a pas encore d'incidence fatale sur notre appréciation.
C'est que plusieurs bonnes idées parviennent également à émerger en un laps de temps ainsi réduit : cette batterie toujours tranquille, ces lignes de basse non moins apaisées, à la composition appliquée, ce tempo qui ne bouge que peu entre les quatre pistes, une rythmique ininterrompue, en somme, de déambulation nocturne riche en évocations intra-picturales (un mot composé qui n'existe pas pour exprimer le fait qu'on a des images dans la tête), le tout empreint d'une classe de parisien, c'est à dire, ce genre de classe dandy que nul ne peut contester mais qui renfrognera quand même la moitié du pays, bien qu'elle se trouve quelque peu diluée par une espèce d'insanité latente amenée par les guitares dégoulinantes, et les sons absurdes ajoutés, ou laissés, çà et là (genre, un claquement de porte), les solos de basse avortés et autres mises en place, simplistes mais toujours efficaces, qui accrochent notre attention : cet arrêt sur le titre d'ouverture, évoquant un « et je coupe le son… et je remets le son » mou du plus bel effet (ça, c'est du journalisme paresseux).
On ressent également, et c'est ce qui rend le groupe attachant, une proximité avec les musiciens, comme une impudeur de leur part qui nous permettrait d'observer leur existence en dévergondant directement la porte plutôt que de se faire chier avec le trou de la serrure. Si l'on était mystique, on dirait que ça tient au lieu de l'enregistrement : chez eux tout simplement, dans l'intimité du foyer, la maison de Villejuif qu'ils partagent, et il se dégagerait de cette utopie rock'n'roll pratiquée un je ne sais quoi de magique nous touchant droit dans l'empathie ; mais on est plutôt rationnels, on s'accrochera donc davantage à des textes autobiographiques, par exemple, comme celui de la chanson-titre nous précipitant dans les abysses infernales de l'administration, lors de la demande de visa refusée du chanteur Nathan, exilé Australien trouvant asile en la dite maison de Villejuif, auprès de ses trois camarades autochtones.
Ainsi, en dépit de la linéarité un peu excessive de l'effort, on considérera que Heavy Black Matter est une réussite, en ce qu'il incarne parfaitement ce qu'un EP a vocation d'incarner : une promesse de futurs glorieux, laissant tout de même place à une marge de progression intéressante.
22 décembre 2016 chez Born Bad Records
Crédit photo : William Lacalmontie