Narrow Terence – Rumble’O’Rama

Narrow Terence, l'obscure créature des frères Puaux, après trois albums, quelques BO, une baston et 150 heures de Travaux d'Intérêt Général (pour faire court), nous présente un disque un peu dingue, Rumble'O'Rama, soit douze morceaux balayant un spectre musical particulièrement large, avec brio.

Lorsque s'effacent les dernières notes de "Monster", titre clôturant l'album et fruit d'une collaboration avec Troy Von Balthazar, l'auditeur est recroquevillé dans un coin de sa chambre, en position foetale, la tête cachée sous une couverture. Les jambes flasques d'avoir parcouru tant de paysages musicaux en si peu de temps, le cerveau embrumé, incapable de se souvenir de ce qu'il s'est passé.

Certains morceaux, c'est inévitable, diviseront... Les quelques ballades et leur voix de gorge soufflée ne feront pas l'unanimité, malgré leur composition toujours subtile, à moins que ça ne soit les titres plus lourds mettant en avant des guitares sur-saturées aux riffs heavy. Mais c'est là la preuve d'une prise de risque initiale parfaitement louable : alors que la tendance globale serait plutôt à l'enfermement de l'artiste dans un genre bien défini (untel fait du garage sixites, untel de l'électro-pop), facilitant une identification plus directe mais de ce fait, un intérêt plus éphémère (jusqu'au prochain groupe de garage sixities, d'électro-pop), une démarche aussi subversive et, en surface du moins, contre-productive commercialement parlant est à saluer mille fois. Pour peu que l'on parvienne à accorder toute notre confiance, sans aucune réserve, aux musiciens, l'expérience est totale ; en l'espace de trois quarts d'heure, on nous fera bouffer des dizaines d'influences différentes sans qu'on ne se sente un seul instant violenté.

Dans ces conditions, il serait vain de vouloir coller un nom précis sur le son auquel on a à faire, tant l'apparence de la musique est en mutation du début à la fin ; ceci, le groupe nous le fait comprendre dès le départ, grâce à la juxtaposition de deux titres radicalement opposés : une ballade pop et mélancolique, "My Fall", finement arrangée, suivie de la déflagration "Rumble-O-Rama" dont le son des guitares nous fait nous demander l'espace d'un court instant si on ne devrait pas plutôt refiler l'album à la rédaction Metal.

Mais non, vanité, vanité : si l'on a une équipe spécialisée dans les cheveux longs, la barbasse et les ventres à bière, on ne trouvera pas de rédaction chant de pirates pour traiter "Tic Toc", son rythme marin à trois temps, ses voix fédératrices de vieux loups de mer à qui on la fait pas, ses violons de bord saupoudrant le tout d'un sel épique. Pas de rédaction non plus pour le genre crooner sauvage et affamé de "Dust&Tar" – où le chant n'a rien à envier à un Tom Waits bourré au vu de la puissance émotionelle qu'elle y dégage – ni de section sauce Goran Bregovic, pour "Blank Page", un genre de post-it où il est écrit « nous vous rappellons qu'on peut éventuellement vous faire des putains de BO ».

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Les orchestrations diverses à base de cordes, de cuivres, continuent de brouiller allègrement les pistes, nous tirent de nos réflexions théoriques intellectualisantes et vaseuses et nous poussent vers le domaine de l'émotion pure ; leur potentiel d'expressivité est énorme, qu'elles fassent décoller le rafiot dans "Tic Toc", ou qu'elles foutent le feu à "Vapoï", le changent en un brûlot encore plus menaçant. Et étonnament, tout s'enchaine avec un naturel confondant, sans que tel titre violemment rock ne paraisse jamais s'opposer à telle chanson apaisée ; une preuve, si besoin est, que le style de l'artiste supplante le style de référence, et que le jeu des musiciens, leur son, suffisent amplement à construire la cohérence d'un album.

La vérité c'est qu'aucune autre rédaction que la nôtre n'aurait pu traiter Rumble-O-Rama. Le bonheur avec lequel les frères Puaux et leurs comparses s'approprient les genres, domptent les instruments, est résolument rock, un rock parfaitement indépendant ; le terme même d'indépendance s'en trouve reprogrammé, mis à jour dans une version plus radicale, plus profonde, inscrite dans l'essence même de leur démarche artistique. Sans être ni anachronique ni parfaitement révolutionnaire, l'album paraît légèrement à côté du temps, de l'air du temps, comme si l'influence d'une époque, d'une culture musicale n'était plus un fait inconscient et subi, mais un phénomène parfaitement maîtrisé.

Dates :
16 mars : Le Petit Bain, Paris (Release Party)
18 mars : Le Théâtre du Chêne Noir, Avignon (soirée Sounds Like Yeah!)
13 avril : Le Phare, Limoges
14 avril : La SMAC 07, Annonay
22 avril : La Souris Verte, Epinal

Sortie le 3 février chez Enkirama / Sounds Like Yeah! / PIAS

Crédits Photo : Olivier Boulet & RCA Factory

NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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