Dans un beau salon de l'Hôtel Scribe, c'est un Steve Hackett grippé et fatigué, mais totalement animé de l'envie de nous parler de son nouvel album, The Night Siren, que La Grosse Radio a rencontré pour vous.
On t'a rencontré il y a deux ans pour Wolflight, où tu nous as dit que le titre était inspiré de l'Odyssée d'Homère. On voit qu'il y a ici beaucoup de thèmes tournant autour du mystique, des légendes et croyances locales, c'est quelque chose qui te tient très à coeur ?
Oui, on en a beaucoup parlé avec Jo. On essaie d'étudier toutes les cultures. Je voulais faire un album qui soit le plus "world music" possible. On a des musiciens qui viennent de partout dans le monde, de multi-diversités culturelles. L'idée est de s'opposer à tout par l'art, de montrer qu'il n'y a rien de mieux que la musique pour être unis. Il faut prophétiser avec ton crayon, ton art. On a travaillé aves des gens d'Israël et de Palestine, d'Islande, de Hongrie, de Suisse, d'Azerbaïdjan, Angleterre, Etats-Unis. Il y a des influences celtiques, indiennes, péruviennes, tribales, orchestrales, rock. Beaucoup de choses différents pour faire l'album le plus varié possible. C'est un album pour la paix, surtout.
Il y a beaucoup d'influences, oui. On commence par des sons orientaux vers quelque chose de plus rock, on passe par des structures progressives... Comment fais-tu pour mixer autant d'influences et faire quelque chose d'aussi cohérent ?
Je pense que c'est l'album au son le plus contemporain que j'ai fait. Je n'ai pas l'impression que ce soit daté, mais que ça sonne classique. Il y a certains rythmes que je trouve tellement insistants qu'on ne peut pas les refuser. Je voulais leur donner une idée d'urgence, un côté primal et mystique. J'ai l'impression que je me suis ouvert à ce genre de choses quand j'ai découvert le Boléro de Ravel, quand j'étais gamin. J'avais 12 ans, j'en suis tombé amoureux, ça me faisait imaginer des milliers d'images, je pense que c'est du aux influences espagnoles. La musique arabique y est très utilisée dans les harmonies, dans les dissonances. Elles sont quelque part mystiques et romantiques à la fois. Le Boléro de Ravel est incroyablement cinématique aussi. Je ne sais pas si je peux y apporter de la lumière, pourquoi mon album arrive à garder une cohésion, j'ai réussi à passer d'un instrument à l'autre, à l'autre, à l'autre... J'adore l'harmonie de l'ensemble.
Tu sembles très proche de la nature elle-même, et beaucoup de cultures que tu cites sont basées sur cette harmonie avec la nature. Est-ce que c'est quelque chose que tu as étudié ou un sentiment personnel ?
Je dirai que plus je lis, surtout la culture indienne, plus j'ai conscience qu'il ont compris quelque chose. Ils pensent qu'on peut tout comprendre avec l'étude de la nature. Ca me fascine. J'ai des croyances spirituelles, je pense qu'il y a une vie après la mort, sous une autre forme. J'ai eu des expériences psychiques incroyables qui me laissent penser qu'il y a autre chose après, même si on ne sait pas bien ce que c'est. J'avais cette conversation avec Peter Gabriel il y a quelques semaines, et il me disait lui aussi qu'il sentait qu'il y avait quelque chose.
Dans "Behind the smoke", tu parles des gens qui fuient la guerre, la famine, et surtout, tu mentionnes nos racines, qui sont communes quoi qu'en en disent. Quand on voit qu'encore aujourd'hui, les peuples fuient, que certains ne les accueillent pas, comment te sens-tu par rapport à tout ça ?
Mes propres ancêtres, et ceux de Jo, à la fin du 19ème siècle, étaient réfugiés de Pologne. Le morceau est surtout pour honorer leur mémoire. Il y a un désastre dans ce monde. Il n'y a jamais autant eu de déplacements de peuple que depuis le siècle dernier. La solution n'est pas le nationalisme, mais la compassion internationale. On doit avoir de la compassion pour tout le monde, il y a suffisamment de désastres naturels dans le monde, on ne devrait pas être l'un d'eux. Cet album a été conçu dans un esprit d'amitié, de paix, de passion partagée pour la musique et l'idée de faire l'impossible, faire jouer tous ces gens ensemble, de les faire jouer d'instruments du monde entier. J'ai joué du Ood, du Charango, tellement de choses. Malgré toutes ces influences, ça reste un album de rock, une musique qui vient de mes tripes, qui s'affranchit de tout code académique. Je ne sonne plus comme un guitariste anglais, et c'est la plus belle chose qui soit, de repousser ses frontières.
Il y a un morceau, "Fifty Miles From The North Pole", qui parle de ton concert en Islande. Y'a-t-il des endroits particuliers où tu aimerais jouer, que tu aimerais visiter ?
Cette année, on a des concerts en Australie, Nouvelle-Zélande, Hong-Kong, Jakarta, Singapour, des endroits où je ne suis jamais allé, il me tarde ! On a un set de morceaux solo, puis de morceaux de Genesis, pour célébrer les 40 ans de Wind and Wuthering, et trois morceaux du nouvel album. On fait une tournée américaine, puis anglaise, puis européennes, je vais être pas mal occupé.
Tu m'as dit plus tôt que tu ne sonnais plus comme un guitariste anglais, c'est fou de voir à quel point tu t'es éloigné de tes racines. Si je ne connaissais pas ton travail depuis Voyage of the acolyte, je n'aurais pas forcément su que The Night Siren est un album de Steve Hackett !
Sur cet album, tu veux dire ?
Non, en général, tu as toujours cherché à explorer de nombreux styles.
Oui, c'est vrai. Mon but est toujours de me surprendre, et de surprendre mon public par la même occasion, c'est ce qui m'intéresse. Ca n'a pas à être de la musique compliquée, je veux que ce soit accessible mais plein de surprises. Ce n'est pas toujours simple à accomplir, mais c'est ce que j'essaie de faire.
Ca me fait beaucoup penser au travail de Rick Wakeman en solo, hors de Yes.
Oh, merci !
Comment expliques-tu que tu es le seul membre ogirinel de Genesis qui joue encore des morceaux datant d'avant Wind and Wuthering ? Même quand Genesis étaient formés pour leur dernière tournée, ils n'ont pas joué le moindre titre progressif de la première période, les seuls réminiscences étant des facilités de The Lamb Lies Down On Broadway ou un medley, généralement instrumental.
Je suis très attaché à ces morceaux. Je les trouve fantastiques, et je veux que tout le monde continue de les entendre ou de les découvrir. Ce n'est pas vraiment le cas du trio qui a composé Genesis à la fin. Tu sais, ils ont été élevé comme ça, avec cet esprit de compétition, de toujours aller vers le succès. Quand on composait des thèmes progressifs et que le monde musical commençait doucement à se diriger vers quelque chose de plus simple, de plus "pop", ils n'étaient plus dans l'esprit de composer de la bonne musique, mais de composer des titres qui allaient se vendre. Il n'y a pas forcément eu que du mauvais, mais des choses qui étaient faites pour se remplir les poches, plus pour juste savourer un instant, se dépasser et créer des pièces intemporelles. Ce n'est pas pour rien que nous sommes partis, avec Peter Gabriel, il y avait là une idée de la musique que nous ne comprenions plus, nous restons des rêveurs dans un monde de vendeurs. Il y a une certaine hypocrisie dans le travail que Genesis a avec les médias. Par exemple, s'ils trouvent que je fais un bon album, ils me le diront éventuellement, mais éviteront le sujet en interview ou me descendront un peu. Personnellement, je n'ai jamais hésité à les féliciter publiquement quant à leur travail. Je trouve que tous les albums de Peter sont très intéressants. J'aime beaucoup Face Value, le premier album de Phil, ou le premier album de Mike + the mechanics.
Merci énormément, bon rétablissement et bonne tournée, on se voit en mars !