Encore très électrique et éclectique cette troisième Nuit de l’Alligator à la Maroq, avec un point commun néanmoins ; 2 one-man-band pour le prix d’un ! Et tous deux signés par le label Normandeep Blues Records. William Z Villain, l’américain bien azimuté et le ténébreux suédois Bror Jansson. Entre les deux, le country man Karl Blau s’est glissé sans trop de mal avec son trio. Un peu à l’image du Mad, qui s’était faufilé dans les rangs des bluesmen and women, venus en force ce soir là et qui trustaient le devant de la scène. Comment l’équipe dirigeante de la Grosse Radio a-t-elle pu parachuter ce baltringue soi-disant spécialisé dans la pop de garage, lui qui pense que le shuffle n’est qu’un Ipod et Muddy Waters, une boisson énergisante… Cela ne nous regarde pas, mais on pourra légitimement s’interroger sur la pertinence de cette décision après avoir parcouru ce live-report.
Un cajon esseulé au devant de la scène, un rack d’effets pour lui tenir compagnie attendaient sagement leur propriétaire, le sus-nommé William Z Villain. Une conduite exemplaire que je décidais de suivre, coincé entre le grand Sergio et le Docteur Blues himself. J’avais intérêt à surveiller ses arrières, car même Miss Béa, qui mitraillait comme Calamity Jane pouvait m’étaler pour le compte si je faisais mine de me positionner devant elle pour filmer en douce… Pas si vilain que ça le Guillaume le méchant au final. Costard gris à fines rayures et cravate assortie, une barbichette à la Napoléon numéro 3, la raie sur le côté et un épi en guise de concession à la rebelle attitude… Présentait plutôt bien le gars en débarquant sur scène dobro sous l’bras. Nul doute que cette allure soignée compenserait un blase digne d’un méchant de cartoon. Avant de commencer son set, le garçon met un point d’honneur à s’exprimer et à blaguer en français ; le public est conquis d’office. Raison pour laquelle, lorsqu’il passe un temps certain à réaliser ses boucles percus au looper, personne ne lui en tient rigueur. Sa voix haut perchée, ses mélodies entêtantes qui oscillent entre folk et rythmiques méditerranéennes trouvent leur écho, preuve finalement que les blueseux sont bien ouverts qu’on le dit… Il les met tous dans sa poche, en leurs faisant reprendre avec lui son drolatique "Henry, you’ve swear you never call the police…". Après avoir notamment interprété son tube "Anybody gonna move", William n’a pas eu beaucoup à se forcer lorsqu’un fan lui réclame son très beau "Her song" avec lequel il clôture sa prestation.
Photo Docteur Blues
Le Charles Bleu, le Docteur Blues me le vend en tête du tiercé de la soirée, avant même qu’il ne fasse son apparition. Karl Blau aurait sorti un magnifique album de reprises de gus inconnus à mon bataillon ; Don Gibson - "mais si, « c an’t stop loving you " ! - Townes Van Zandt, Barry Gibb (ah oui, la fratrie Bee Gees !) et bien d’autres… "Une version de dix minutes de Fallin’ rain !" exulte-t-il avec une ferveur quasi mystique. Après un tel brief, je pouvais donc m’attendre à un gonze autrement plus sérieux que le William. Et Karl Blau qui débarque sur scène, encadré de ses musiciens à stetson réglementaires, avec des couettes à la Sheila ! Le garçon a tout même une carrure de quaterback et la barbouze réglementaire. Je ne peux s’empêcher tout haut de penser tout haut : "c’est l’cousin ricain d’Obélix ou quoi ?". Personne ne m’a entendu, fort heureusement pour moi ; j’ai eu très chaud au scalp. Lorsque Karl Blau entame "The road to Memphis", un mien voisin lui fait remarquer à la cantonade que "pour une fois, le texte français de l’adaptation par Monsieur Eddy est bien meilleure que l’originale". De là à supputer que si je m’étais exprimé de la sorte, j’aurais pris une torgnole vite fait, bien fait, par mon entourage de puristes… Faut dire que question culture country, j’en est resté au générique de "Shérif fais moi peur"… Le côté bonhomme de Karl qui se proclame sur son site "singer-songwriter, spellcaster, human" séduit en tous cas, tout autant que son "Beautiful french people", a priori très sincère. L’impeccable pedal steel d’un de ses acolytes à Stetson avait ses adeptes, la country raffinée et so romantic également à la Maroq…
Photo Docteur Blues
Plus rien. Nada. Une scène vide. Après le set de Karl Blau, les backliners ont nettoyé l’espace et amené sur un tapis, le matos de Bror Gunnar Jansson. Celui-ci est venu leur prêter main forte et tandis que le parterre l’acclame, il s’installe avec un calme hiératique. Son élégance à lui confine au dandysme années trente. Feutre à large bord, cravate et complet trois pièces, rien ne manque… Hormis les chaussures ! C’est qu’il en faut de la sensibilité dans les arpions pour déclencher simultanément grosse caisse et charley du pied gauche et caisse claire du droit… Par bonheur, le personnage est fascinant à contempler autant qu’à écouter, sinon j’aurais pu me faire une fixette sur ses chaussettes durant tout le concert. Lorsqu’il ouvre démesurément la bouche pour gueuler son blues du delta, je crois voir le Cri de Münch avec un galure sur la tête et une guitare dans les bras ! L’effet est saisissant et va durer durant tout le concert. Ses morceaux ont beau durer des plombes, nous étions littéralement suspendus aux lèvres de frère Gunnar, véritable prêcheur du blues, tant il semblait ce soir-là, possédé par le démon de Robert Johnson…
Photos Miss Bea