On nous glisse à l'oreille que le rock progressif est mort, que c'est une affabulation du passé et qu'il est aujourd'hui destiné à un public de niche. Pourtant, les actifs de cette scène fructueuse n'ont aucun mal à remplir les salles les plus emblématiques de la capitale, comme on pourra le constater en voyant le Trianon rempli sur chacun de ses étages pour la venue de Steve Hackett. La légende n'a pas besoin du groupe qui l'a rendu célèbre pour remplir de grands événements, et n'en a sûrement d'ailleurs que faire, si l'on se souvient de ce qu'il avait dit lui-même. Et si l'envie d'entendre les titres de Genesis que lui seul encore joue est évidente, il y a également une forte panoplie d'albums solo à défendre, et nous serons ravis d'entendre The Night Siren sur scene.
The Night Siren sera finalement peu représenté, malgré des titres bien choisis. On retiendra "Behind The Smoke" et ses effluves mystiques, morceau cher à l'ami Steve, et le premier set d'un service en deux parties sera centré sur des titres issus de la carrière foisonnante du guitariste. L'occasion de jauger un peu la pression avant de sombrer dans la folie pure, et d'admirer des musiciens de haut talent.
En effet, difficile pour l'auditoire de ne pas être béats devant une telle dose de musicalité interprétée avant autant de justesse. Il ne fait aucun doute que pour s'approprier un tel répertoire, il faut toucher sa bille, et chaque membre du quartier scénique est un virtuose à lui seul. Point besoin de nombreux instrumentistes, Steve Hackett est parvenu à dégoter, en la personne de Rob Townsend, quelqu'un capable d'assurer la flûte, le saxophone, alto comme soprano (même chose pour la flûte), le picolo, des percussions, claviers et chœurs additionnels. Et que dire de Gary O'Toole, qui offrira des envolées monstrueuses et implacables sur "Shadow Of The Hierophant", qui apportera son lot de frissons.
C'est donc un groupe hautement talentueux qui nous accueille au Trianon. Les interventions d'Hackett, souvent timides mais non dénuées d'humour, réchauffent la salle, et tout le monde prend son pied. C'est en constatant les réactions, qui ne sont pas toutes axées autour des annonces concernant les prochains titres de Genesis, que l'on voit qu'il y a une très belle base de fans présente ce soir. Mais quand "Eleventh Earl Of Mar" débute en introduction du second set, c'est évidemment la folie qui commence à prendre place. L'occasion de voir arriver sur scène l'impassible Nad Sylvan. A l'instar d'un Peter Gabriel des temps modernes, c'est costumé qu'il fera son apparition, et la théâtralité de son jeu de scène constrastera fortement avec les autres membres du désormais sextet. C'est ici un rappel de ce qui faisait la force du Genesis d'antan : chacun vient avec ses idées, son propre délire, et le tout s'accorde. Tout à coup, le kilt de Nick Beggs (le prodige des Mute Gods ici à la basse) ne nous semble plus tant hors sujet.
Si Wind And Wuthering n'est pas le plus complexe des albums de Genesis à reproduire, certains classiques plus touffus techniquement sont à l'honneur. Evidemment, si toutes les parties qu'il s'appropriera sont impeccables, Steve Hackett n'a plus la même dextérité. C'est alors que l'intervention de Rob Townsend est des plus intéressantes. En parallèle de la six cordes, il doublera toutes les parties de guitares au saxophone soprano. Opportunité quand Hackett faiblit sur certaines notes, où occasion pour ce dernier de jouer des parties plus simples mais ne figurant pas sur la composition originelle. Au-delà de simplifier, donc, Steve Hackett réussit à enrichir certains morceaux, la partie de guitare étant alors audible mais avec des couches supplémentaires qui ne font qu'accentuer l'émotion (et lorsque le groupe conclura avec "The Musical Box" ce set principal, la crise de larmes est garantie).
Le groupe ne se contente pas d'interpréter Wind And Wuthering dans son intégralité comme sur une simple tournée anniversaire. Il y aura un morceau faisant partie des sessions d'enregistrements mais pas sur le produit final, "Inside And Out", mais aussi la merveilleuse "Dance On A Volcano" ou encore "Firth Of Fifth", laissant l'incroyable Roger King (claviers) s'exprimer à sa guise. Des morceaux de choix interprétés avec brio et envie.
En conclusion, comme à l'accoutumée, "Los Endos". Bien différente de la version du sublime "A Trick Of The Tail", c'est une version bien réarrangée, incluant de nouveaux thèmes, qui est dévoilée ici. Pour notre plus grand bonheur. Le Trianon a vibré aux sons de Steve Hackett et de Genesis, on a vu des âmes s'essouffler devant des rythmes alambiquées, hautement progressifs, et s'envoûter devant le charisme de Nad Sylvan, qui ferait réfléchir Phil Collins sur l'orientation à prendre pour la prochaine reformation du groupe. C'est ce Genesis-là que nous avons envie d'entendre, pas la poutre commerciale incandescente et sans saveur que le géant est devenu.
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